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6 secrets scientifiquement validés pour prédire l’avenir (et les tics de vocabulaire qui permettent de repérer les vrais bons experts)
©Pixabay

Madame Irma

Il y a beaucoup de fausses prédictions qui circulent. Mais il existe aussi des "super-prédicteurs." Quel est leur secret ?

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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"La Grèce va sortir de l'euro." "La Grèce ne va pas sortir de l'euro." "Le prix du pétrole va monter." "Le prix du pétrole va baisser." "François Hollande sera réélu."

Le monde ne manque pas d'experts tout à fait prêts à faire des prédictions sur l'avenir. Parfois, ils le font avec une énorme confiance en eux. Et pourtant, chacun sait que les experts se trompent fréquemment. Ils sont nombreux à dire aujourd'hui "avoir prévu la crise" alors qu'en réalité on ne les entendait pas à l'époque. 

Pourtant, faire des bonnes prédictions est plus qu'un jeu à jouer sur les plateaux de télé. Cela représente des milliards d'euros de valeur, des décisions d'aller à la guerre ou pas, et d'autres choix politiques importants. Si nous pouvions collectivement améliorer notre capacité à anticiper l'avenir, les résultats pour la société seraient incommensurables. 

Le crowdsourcing

Une entreprise qui cherche à résoudre ce problème est Wikistrat, et sa solution c'est le crowdsourcing. Sa plate-forme aggrège les contributions de nombreux analystes extérieurs, comme Wikipedia. Mais les analyses de Wikistrat produisent des analyses stratégiques : ils élaborent des scénarios, font des projections. 

Wikistrat a été fondée par Thomas P.M. Barnett, analyste pendant plusieurs décennies pour diverses agences liées à la défense américaine, et les clients de l'entreprise incluent les services secrets américains. Pour le général des Marines James L. Jones, ancien conseiller à la sécurité nationale de Barack Obama, "Wikistrat déploie des capacités intéressante pour les clients de plus haut niveaux, pour produire des analyses prédictives", et son approche technologique est "très impressionnante."

Les super-prédicteurs

Et s'il y avait une meilleure approche que celle de la foule ? Philip Tetlock, professeur à l'Université de Pennsylvanie, étudie la capacité humaine à la prédiction. Son livre, "Superforecasting" (la "super-prédiction"), co-écrit avec le journaliste Dan Gardner, représente le résultat de ses recherches et montre quelques méthodes clés pour arriver à mieux anticiper l'avenir. 

Comme le raconte Ana Swanson du Washington Post, Tetlock est devenu connu grâce à une étude réalisée sur 20 ans, où un groupe d'experts a réalisé plus de 28 000 prédictions sur l'avenir--sur la politique, la guerre, l'économie. Le résultat de l'étude fut que, en moyenne, les prédictions précises sont aussi fiables qu'un lancer de dés. 

Ce résultat a fait beaucoup de bruit à l'époque, moins qu'un autre : si, en moyenne, les experts sont très mauvais, parmi ceux qu'il avait étudié, un sous-groupe était assez bons. Ce sont les "superforecasters". Quels sont les secrets des "superforecasters" ? C'est ce que Tetlock a étudié pendant des années.

Les erreurs des mauvais prédicteurs

Avant de savoir ce que font les bons prédicteurs, il faut déjà éviter de faire ce que font les mauvais. Tetlock désigne les mauvais du nom de "hérissons" et les bons du nom de "renards", d'après un vers de poésie grecque : "Le renard sait beaucoup de choses, et le hérisson sait une seule grosse chose." 

Ce qui caractérise les hérissons, ce sont leur certitude. Le trait des hérissons, c'est qu'ils ont une idée principale--qu'il s'agisse du socialisme ou du libéralisme ou de l'écologisme ou du non-interventionnisme--qu'ils appliquent à tout. Leur certitude vient, non de leur appréhension des faits, mais du fait qu'ils ont construit dans leur esprit une histoire très cohérente pour eux. Comment détecter les hérissons ? Tetlock nous donne un indice : ils disent plus souvent "de plus" que "pourtant". Ils construisent un argument au lieu de se remettre en question.

La recherche de Tetlock s'appuie en partie sur celle de Daniel Kahneman, psychologue de formation et Prix Nobel d'économie, qui a inventé le concept de biais cognitifs : ces manières que nous avons de voir le monde qui déforment la réalité. Dans son livre, "Thinking Fast and Slow", Kahneman résume ses trente années de recherche qui lui ont permis d'avoir le Prix Nobel.

Les hérissons sont affectés par le biais de confirmation : le fait qu'on tend à remarquer plus les faits qui rentrent dans une idée préexistante que nous avons déjà, plutôt que les faits qui ne le font pas. Ils ont aussi le biais de sur-confiance et de sur-optimisme, qui est un biais fréquent. Dans une expérience connue, de nombreuses personnes à qui on a posé certaines questions et qui ont répondu qu'elles étaient "certaine à 99%" de leur réponse avaient en réalité tort à 40%. 

Les 6 secrets pour devenir un super-prédicteur  

Depuis plusieurs années, Tetlock s'occupe du Good Judgement Project, un projet pour étudier la capacité à faire des bonnes prédictions, en étudiant une multitude d'experts bénévoles. Voici les recommandations de Tetlock pour devenir un super-prédicteur : 

  • D'abord, y travailler. Ca ne vient pas tout seul. 

  • Ensuite, il n'y a pas besoin d'être un génie. Oui, les super-prédicteurs sont tous relativement intelligents, et connaissent assez bien le domaine en question, mais le QI et la connaissance du sujet ne sont pas les facteurs clés. 

  • Être capable de se remettre en question. "Il faut empêcher ses croyances de troubler ses prédictions," dit Tetlock. Il faut être conscient de ses biais cognitifs, et de la manière dont son idéologie peut changer sa vision du monde. Contrairement aux hérissons, les renards ont une envie de toujours se remettre en question, de revenir sur leurs conclusions, d'améliorer leur compréhension. Ce trait de caractère est "ce qu'il y a de plus important" pour les super-prédicteurs. 

  • Penser à l'histoire. Si on essaye de prédire le résultat de la prochaine élection présidentielle en France, on risque de penser aux années à venir et récentes : l'impact du terrorisme sur la vie politique française, la position des Républicains, etc. Les super-prédicteurs s'intéressent aussi à ces questions, bien sûr, mais lorsqu'ils abordent une question comme celle-là ils commencent par regarder l'histoire longue : ils regarderaient ce qui a joué, politiquement et économiquement, dans toutes les élections de la Vème République, par exemple, avant ensuite de regarder ce qui peut jouer plus directement sur celle de 2017.

  • Penser beaucoup aux probabilités. Certaines des prédictions qui ressortent du projet de Tetlock sont très spécifiques : par exemple, une probabilité de 68% que les Démocrates remporteront l'élection présidentielle américaine de 2016. Ca peut ressembler à de la pseudo-science, mais pour Tetlock c'est important. La plupart des gens, lorsqu'on leur demande de faire une prédiction, la font rentrer dans une de trois boîtes : "oui", "non", ou "peut-être". A contrario, les super-prédicteurs passent beaucoup de temps à se demander s'il y a une probabilité de 67 ou 68%. 

  • Les super-prédicteurs testent leurs résultats et reviennent sur leurs échecs. Il est important de faire des prévisions précises ("Le prix du pétrole va baisser de tant d'ici à l'été 2016" plutôt que "Le prix du pétrole va baisser") pour pouvoir se tester et revenir sur ses échecs. Sinon, "c'est comme s'entraîner au lancement franc en basket dans le noir", dit Tetlock. C'est en échouant qu'on s'améliore. 

C'est sûr que si tous ceux qui sont décideurs, et ceux qui commentent l'actualité, pouvaient s'en tenir à ces règles, peut être que nous ne prédirions pas tous l'avenir, mais beaucoup de décisions seraient mieux prises...

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