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40 000 élèves refusés dans les écoles privées... Que fuient leurs parents ?
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Avec plus de 2 millions d'élèves, soit 17 % des effectifs, l'enseignement privé connait de plus en plus de succès... au détriment de l'école publique, qui rencontre un grand nombre de difficultés.

Yves Dutercq

Yves Dutercq

Yves Dutercq est professeur à l’Université de Nantes, sociologue de l’éducation au Centre de recherche en éducation de Nantes (CREN, EA2661), dont il est codirecteur et responsable de l’axe de recherche « Politiques éducatives, acteurs et dispositifs ». Il est également chercheur associé à l’Institut français d’éducation (ENS Lyon).

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C’est une enquête menée par deux sociologues, Gabriel Langouet et Alain Léger, qui au milieu des années 1990 a alerté sur le fait que près de 40% des élèves français passaient à un moment ou à un autre de leur scolarité par l’enseignement privé, pointant des comportements des parents qui ne correspondaient plus à un choix idéologique mais à des stratégies. Ainsi, de nombreux parents alternent public et privé dans la scolarité de leurs enfants ou mettent certains d’entre eux dans le privé d’autres dans le public, en fonction de difficultés et de besoins différents. Pour mieux comprendre cette porosité entre les deux systèmes d’enseignement, il faut rappeler quelques spécificités de l’enseignement privé français.

D’abord ce système d’enseignement n’est pas en fait vraiment privé puisque, pour sa plus grande part, constitué de l’enseignement catholique sous contrat, largement subventionné par l’Etat, qui en particulier forme et rétribue ses enseignants. De cette manière l’enseignement privé français est d’un coût très abordable pour la plupart des familles. Ensuite la scolarité dans tel ou tel établissement n’est pas soumis à la carte scolaire, contrairement à l’enseignement public : n’importe qui peut inscrire ses enfants dans n’importe quel établissement privé, pourvu que celui-ci l’accepte. Cette particularité est essentielle car elle permet aux établissements privés de « choisir » leurs élèves, d’autant qu’effectivement la demande est supérieure à l’offre. C’est en même temps signaler une troisième spécificité de l’enseignement privé, à savoir l’origine sociale de ses élèves : l’enseignement privé se caractérise par la forte surreprésentation des enfants de milieu favorisé (32% des effectifs contre 19 dans le public) et la sous-représentation de ceux de milieu défavorisé (23% contre 39 dans le public). Ajoutons que parmi les milieux favorisés ce sont les parents travaillant dans le secteur privé qui choisissent l’enseignement privé tandis que les cadres du public mettent plus volontiers leurs enfants dans l’enseignement public.

On comprend alors que beaucoup d’observateurs analysent le comportement des parents qui inscrivent leurs enfants dans l’enseignement privé comme répondant à une recherche d’entre-soi et en clair à la fuite des établissements qui accueillent des élèves des classes populaires (notamment des enfants d’origine étrangère). Du reste l’analyse des stratégies de parents qui alternent entre public et privé le fait ressortir assez clairement : c’est à l’entrée en sixième qu’il y a le plus de fuite des élèves du public pour rejoindre le privé, élèves qui reviennent volontiers vers le public au niveau du lycée, quand l’ « écrémage » a été fait.

Les établissements privés obtiennent de meilleurs résultats que les établissements publics aux tests nationaux (notamment au bac), mais cette meilleure réussite est d’abord liée à l’origine sociale des élèves et à la faculté qu’a le privé de pouvoir « choisir » ses élèves et d’écarter éventuellement ceux qui auraient moins de chance de réussir. Les établissements publics sont en revanche tenus d’accueillir les élèves de leur secteur, quels que soient leur niveau scolaire et leur origine sociale.

Pour notamment remédier à cette difficulté, mais surtout pour permettre au plus grand nombre de choisir leur collège public, Xavier Darcos a en 2007 promulgué des mesures d’assouplissement de la carte scolaire à ce niveau. Ces mesures n’ont malheureusement pas eu l’effet escompté, puisque ce sont encore une fois les familles les plus favorisées qui s’en sont servies à leur avantage pour fuir les collèges populaires, contribuant à transformer un peu plus encore ces derniers en lieux de relégation et pénalisant les équipes pédagogiques contraintes de ne travailler qu’avec des élèves cumulant les difficultés scolaires et sociales.

Si cet ensemble de constats relativise fortement les raisons du succès du privé, il ne faudrait cependant pas négliger d’autres atouts dont il dispose et qui contribuent sans doute à son attractivité : proximité avec élèves et familles, culture d’établissement, individualisation de la relation pédagogique, adaptation à la demande, etc. autant de caractéristiques que je souligne dans mon ouvrage Où va l’éducation entre public et privé ? (De Boeck, 2011) et qui séduisent ou rassurent les familles. On ne peut nier en même temps que la plus grande homogénéité de la population accueillie dans les établissements privés contribue à favoriser par exemple la solidarité et l’esprit d’établissement. Par ailleurs les établissements privés fonctionnent dans un marché, dépendant fortement de leur clientèle, qu’ils doivent satisfaire s’ils veulent durer. C’est une forte contrainte pour les personnels qui, dans certains cas, peuvent être tenus de se mobiliser plus encore pour la réussite et le bien-être de leurs élèves dont ils dépendent en fait.

D’où viennent enfin les difficultés propres à l’enseignement public, outre ce qui a été précédemment souligné et qui tient à des avantages dont bénéficie l’enseignement privé, en termes de choix de ses élèves ? On peut en pointer quelques-unes : la quasi absence de projet collectif, alors même que les collèges et lycées publics sont tenus de produire un projet d’établissement, dont on sait qu’il est le plus souvent de pure forme ; l’insuffisant attachement de ses personnels à leur établissement, dépourvu d’identité propre, ce qui rejaillit aussi sur des élèves, rarement fiers d’être les élèves de tel collège ou de tel lycée ; la trop faible attention portée à l’individualité des enfants ; le peu de place fait aux parents qui de ce fait sont sans doute moins portés à soutenir l’établissement de leurs enfants ; enfin, conséquence de tout cela, un certain manque de souplesse et de capacité à adapter l’offre à la demande. Il ne s’agit pas de dire que tous les établissements publics pâtissent de la même manière de ces défauts et il faut reconnaître à certains d’entre eux et à leurs personnels, particulièrement à ceux qui accueillent les enfants les plus en difficulté, ceux dont justement les établissements privés ne veulent pas, un dévouement tout à fait remarquable et parfois insuffisamment reconnu.

Il reste qu’une des questions que je pose dans l’ouvrage évoqué me paraît d’évidence : puisque le privé a su développer des recettes favorables à la réussite de ses élèves, pourquoi le public ne les reprendrait-il pas, chaque fois que c’est possible ? Il y a sans doute pour les établissements publics à réfléchir, en particulier sur l’attention plus grande portée à la personnalité des enfants comme à l’intégration des parents de la part des établissements privés confessionnels.

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