100 ans après 1914, l'Europe est-elle capable de se protéger d'une nouvelle implosion, économique cette fois-ci ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Ces derniers temps, les opinions ont été chauffées à blanc par la "paresse espagnole", les "fraudes grecques" etc.
Ces derniers temps, les opinions ont été chauffées à blanc par la "paresse espagnole", les "fraudes grecques" etc.
©Reuters

Persistance historique

La Première Guerre mondiale est principalement l'effet d'un contexte, d'une tension entre les dirigeants européens et d'une exacerbation des intérêts nationaux. Une situation qui n'est pas sans rappeler celle de l'UE, dont l'état économique lui a fait frôler l'explosion plusieurs fois.

Atlantico : Dans son livre "The War That Ended Peace : The Road to 1914", Margaret MacMillan développe l’idée que la Première Guerre mondiale est en grande partie due à l’irrationalité des dirigeants tant individuelle que collective. Dans quelle mesure la situation actuelle de l’Europe est-elle en proie à une situation similaire autour des questions économiques ?

Mathieu Mucherie : Tocqueville disait que les peuples démocratiques n’aiment pas qu’on leur rappelle que les guerres ne tiennent qu’à un fil ou à quelques hommes. On préfère rappeler les grands courants idéologiques, de grands mécanismes compliqués. C’est plus valorisant, notamment pour les chercheurs, de brandir ces grandes forces historiques plutôt que le poids déterminant d’un individu en particulier ou le grippage d’un comité quelconque dans une négociation.

En zone euro, au-delà des grandes variables économiques, il y a surtout une concentration des pouvoirs tout à fait fabuleuse dans les mains de la BCE. Cette dernière tient en effet presque toutes les manettes de la gestion de la crise. Il s’agit donc de 23 personnes assises autour d’une table et qui décident du destin économique de l'Europe. Et puisque ce sont des individus, la comitologie est devenue plus importante que de savoir où en sont la règle de Taylor ou les agrégats monétaires. Ce sont des individus qui sur le plan personnel sont certainement rationnels mais qui collectivement ne le sont plus. C’est là que l’on en revient à Tocqueville, puisque des évènements historiques sont à la merci de quelques-uns.

La rationalité consiste à prendre toute l’information disponible en vue d’un objectif. Les dirigeants politiques de l’Union européenne font ainsi preuve d’une sorte de rationalité qui leur est propre, puisque si on considère que leur objectif est d’être élus et réélus, tous ceux qui appartiennent à des partis de gouvernements sont rationnels. De même, dans le petit jeu institutionnel européen, la Commission, la BCE et autres jouent leurs rôles en suivant une rationalité que je qualifierais d’endogène. Celle-ci n’est pas tournée vers des objectifs de résolution de la crise de la dette souveraine, aucune des décisions ayant été prises jusqu’à maintenant n’ayant réussies à faire baisser le niveau d’endettement en zone euro ni à relancer vraiment la croissance du PIB nominal, ni même stabiliser la masse monétaire… On ne peut donc pas dire que le comportement des dirigeants européens n’est pas rationnel, il l’est mais dans le but de garder leurs pouvoirs. L’exemple de la BCE est assez révélateur. Son actuel dirigeant Mario Draghi n’a pas réussi à réaliser ses objectifs de banquier central mais il a parfaitement réussi à maximiser son pouvoir.

Gérard Bossuat : Margaret MacMillan est une historienne renommée, en poste à l’université d’Oxford. Comme d’autres historiens, je pense à Pierre Renouvin, Antoine Prost, Jean-Baptiste Duroselle en France, Nicolas Offenstadt, elle est confrontée  aux causes de la guerre de 1914-18. Parle-telle vraiment d’irrationalité des dirigeants de l’époque ? Je crois qu’elle parle surtout de parcours individuels et de responsabilité personnelle des dirigeants dans les décisions qui engagent la paix et la guerre. Peut-être ces dirigeants ont-ils manqué de jugement et de prudence au moment du choix. Peut-être les alliances ont-elles conduit à la guerre. Mais rien n’était fatal ; tout pouvait être stoppé. Des hommes sont responsables du déclenchement de la guerre, comme aujourd’hui d’autres le sont de la résolution d’une crise économique qui répand ses ravages, même si tout est extraordinairement difficile.

Il est exagéré de comparer la situation économique de crise de 2013 avec la situation politique de 1914 en Europe. Le terme d’irrationalité ne peut être retenu, ni en 1914, ni aujourd’hui. Les événements quels qu’ils soient ont des causes reconnues à la suite du travail des historiens. Ils sont rationalisés parce que nous devons donner des raisons à l’opinion publique sinon nous entrons dans le règne de la folie, de la magie, de l’irrationnel.

Comment rendre compte alors de l’été 1914 ? Les historiens retiennent que les nationalismes étaient exacerbés, que les rivalités coloniales et économiques entre les deux blocs, l’Entente et les Empires centraux renforçaient la possibilité d’un affrontement, que les alliances étaient exigeantes. La peur a joué aussi, augmentée par l’absence d’organisation internationale pour les règlements des conflits, ni en Europe, ni dans le monde. Le voisin était l’autre, inconnu, dangereux. Les nationalismes qui excluent, qui se donnent comme but de limiter ou de repousser l’étranger sont à l’œuvre en 1914 et c’est la seule ressemblance avec ce qui se passe actuellement en Europe. Mais qui d’autre que Jaurès a appelé à la raison, le payant de sa vie ? Personne. On peut alors accepter l’idée que la génération des responsables politiques européens de 1914 n’était pas à la hauteur de la génération de Bismarck, du comte de Witte ou de Lord Salisbury.

Sans tomber dans les comparaisons historiques approximatives, quels sont les autres exemples historiques qui peuvent être rapprochés de cette situation ?

Gérard Bossuat : La situation de l’été 1914 est évidemment unique. Si, cependant, on cherche à retrouver une situation dans laquelle l’absurde, sinon l’irrationnel, semble à l’œuvre, on songe  au conflit du Proche-Orient dans le sens où il apparaît sans fin et que le Jaurès d’Israël, Yitzhak Rabin a été lui aussi assassiné, relançant le conflit avec les Palestiniens.

Mathieu Mucherie : Parmi les irrationalités économiques, il est une chose qui m’a toujours étonné, c’est le système de change fixe. Depuis, très longtemps tout le monde sait que ça ne fonctionne pas : on crée un système qui finit toujours par sauter, c’est l’histoire du monde. A ma connaissance, le seul qui tienne le coup est celui de Hong Kong qui réussit depuis 30 ans, moyennant quelques ajustements, à maintenir un taux de change fixe avec le dollar américain. Pourtant, en Europe, nous avons mis en place l’euro qui n’est autre qu’un système de change totalement fixe qui va à l’encontre de ce que défendent les économistes depuis 50 ans, c’est-à-dire la supériorité du change flexible.

Autre exemple d’irrationalité économique : l’illusion nominale ; tout le monde dit que les taux sont bas, alors que c’est évidemment faux. Si les taux étaient bas, les gens emprunteraient. Apparaitrait de nouveau une bulle immobilière, en Espagne et ailleurs. Cela vient d’une erreur qui consiste à raisonner en « nominal » plutôt qu’en réel. La croissance et l’inflation disparues, il faudrait quasiment des taux négatifs pour qu'ils puissent être vraiment considérés comme bas. Or, ils ne le sont pas. Cette illusion nominale est pourtant connue et présente dans la théorie économique depuis très longtemps, notamment à travers une littérature fabuleuse à ce propos qui en a décortiquée les causes, les conséquences et les raisons psychologiques. Et pourtant, d’authentiques spécialistes de la question tombent dedans, cela est même arrivé à Bernanke…

Dernier exemple, la myopie à la déflation. Il a en effet été dit, à plusieurs reprises, par les officiels dont Mario Draghi, qu’il n’y a jamais eu de déflation en zone euro. Dans aucun des pays qui la composent… Pourtant, si l’on se penche sur les courbes, qu’elles soient irlandaises, grecques ou encore portugaises, que ce soit la masse monétaire, le prix des actifs ou autres, on ne peut que conclure de façon évidente qu’il y a eu de la déflation. Et il est toujours possible pour ces gens de faire tous les mois une conférence de presse devant tout l’establishment européen en affirmant qu’il faut attendre de véritables signes de déflation pour penser à mettre en place des taux directeurs négatifs en zone euro. Non seulement c’est de l’irrationalité mais en plus elle est tellement immense qu’elle finit par convaincre des gens rationnels.

Les représentants politiques et institutionnels de l’Union sont-ils encore capables d’affronter les problématiques internes de l’Europe en mettant de côté leurs intérêts individuels ? Les rapports de force peuvent-ils se cristalliser au point de faire exploser économiquement l’Europe ?

Mathieu Mucherie : L’explosion, ou l’implosion, économique de l’Europe est toujours une question de rationalité mais de rationalité allemande. Si les Allemands sont rationnels, au moment où nous serons au bord du gouffre pour la énième fois, ils devraient s’organiser pour renflouer le système d’une manière ou d’une autre, qu’ils lâchent budgétairement et surtout monétairement. Ils ont tout à perdre d’un démantèlement dans le désordre de la zone euro puisque la première des conséquences immédiates serait la dévaluation de tous les autres pays par rapport au Deutschemark. Les Allemands perdraient alors ce qu’ils appellent compétitivité et qui n’est en fait que l’impossibilité pour les autres, les Italiens, les Français, les Espagnols, de dévaluer alors qu’ils le faisaient tous les 10 ans depuis les années 1950. La Bundesbank et ses alliés perdraient également beaucoup de moyens de chantage dans une explosion de la zone euro. Ce serait donc aussi bien une catastrophe politique qu’économique pour l’Allemagne. Or, le modèle allemand n’a jamais autant dépendu de la zone euro.

Toutefois, j’ai peur qu’ils ne soient pas rationnels même au bord du gouffre pour plusieurs raisons. Les opinions ont été chauffées à blanc par la « paresse espagnole », les « fraudes grecques » etc., la presse internationale est vent debout contre toute détente monétaire sérieuse, et surtout il y a en Allemagne un Etat dans l’Etat qui n’est autre que la Bundesbank. Celle-ci n’a aucunement envie de céder sur ses totems et a l’opinion publique derrière elle en cas d’engagement contre le gouvernement allemand ; elle d’ailleurs gagné tous ses matchs contre lui depuis les années 1970. Cela ne laisse rien présager de bon.

Gérard Bossuat : La question porte sur les représentants politiques et institutionnels de l’Union. S’agit-il des commissaires européens et du président de la Commission, des représentants des États au conseil des ministres, du président de l’Eurogroupe, de la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères, du président de la BCE, des députés européens et du président du Parlement ? Je ne crois pas qu’ils défendent leurs intérêts individuels car ils sont soit issus du suffrage universel, soit désignés par les États et le Parlement pour exercer des fonctions rappelées plus haut. Les cas de malversation, de corruption, de prise d’intérêt me semblent rares. Défendent-ils des intérêts partisans ? Oui, certainement parce que les eurodéputés sont élus sur des listes politiques et les hauts responsables de l’Union sont issus de formations politiques qui les ont marqués. Leur programme est politique quoiqu’ils en disent. Toutefois ils sont invités par la nature même des institutions européennes à prendre en charge l’intérêt commun européen. Un homme a su l’incarner dans la fonction de secrétaire général de la Commission (1958-1987), Emile Noël. Cet exemple et d’autres encore, ceux de Hallstein, de Monnet, de Hirsch, de Delors laissent espérer que parmi les hauts responsables européens s’en trouvent qui cultivent l’intérêt général européen. Encore faut-il le définir en fonction des contraintes du moment. Ce n’est pas s’abandonner à la satisfaction des intérêts nationaux, ni non plus à se complaire dans les solutions technocratiques qui heurte l’opinion publique, c’est dire clairement, en prenant des risques, qu’il est nécessairement supérieur aux intérêts nationaux et qu’il exige des compromis avec les autres partenaires.

Ces représentants européens élus ou nommés peuvent-ils empêcher l’Europe d’éclater du fait des problèmes économiques qui l’assaillent ? Je ne répondrai pas à la façon de l’optimiste qui croit à une fin heureuse de l’unité européenne. Personne ne sait ce que va devenir l’Union. Objectivement l’Union a créé des structures et des règles solides ; la fin de la crise financière l’a montré avec la mise en place de systèmes de sécurité bancaires ; l’euro reste une valeur sûre et la BCE a su dernièrement baisser encore le coût de l’argent pour les banques ce qui devrait soutenir la reprise. En revanche la sortie de la crise économique et le retournement de la courbe du chômage ne semblent dépendre que des États. A-t-on vu la Commission proposer des solutions pour Florange ou pour la crise de l’agriculture intensive bretonne (et d’ailleurs) ? A quel prix la solidarité européenne est-elle pratiquée ? Au prix de violences verbales et de mépris pour les « PIGS ». L’Union européenne va mal parce qu’elle n’a plus de projet et que personne n’incarne la relance européenne.

Plusieurs domaines pourraient être valorisés par l’Union européenne : une nouvelle politique des transports, une nouvelle industrialisation, une coopération renforcée entre les États pour la défense européenne et pour la paix internationale, un commerce international équitable sans dumping social. Sans innovations programmatiques, la désespérance populaire peut entrainer l’Union dans des aventures sans lendemain et altérer gravement le projet européen de la génération de nos pères. Simon Nora, ce haut fonctionnaire mendésiste et prudent à propos de la Communauté européenne se demandait déjà en 1966, au Club Jean Moulin, si l’Europe était capable de maitriser « les mécanismes de marché pour mieux le réaliser » ; quelle actualité brûlante ! Car, dit Nora , si « l’Europe ne progresse pas dans des domaines nouveaux, elle reculera même dans ceux qui paraissent conquis ». Nous en sommes exactement là aujourd’hui, car exister, pour l’Europe, « c’est surtout s’accorder avec elle-même pour se proposer aux autres comme un interlocuteur indépendant apportant aux tensions mondiales des solutions neuves ».

Si une telle explosion devait survenir, autour de quels éléments le ferait-elle ?

Gérard Bossuat : L’historien ne peut être appelé à prédire l’avenir de l’Union européenne. La question met en causes radicalement la solidité des institutions européennes et surtout la volonté des peuples de poursuivre cette coopération inter-européenne qui leur a apporté tant de sécurité. Faut-il supprimer l’euro ? Quels seraient les avantages ? Introduire le retour au désordre monétaire, aux dévaluations compétitives, aux déficits de la balance des paiements ? Si l’on reste dans le cadre du système monétaire européen, des disciplines équivalentes, indispensables, seraient demandée aux adhérents ! Rétablir comme certains partis le demandent des barrières aux frontières contre les marchandises de l’Asie et les migrants du Sud ? D’autres ensembles n’hésiteraient pas non plus à les rétablir à leur tour, provoquant des dégâts économiques et humains en Europe et en France. Une nouvelle guerre douanière serait ouverte.

Croit-on possible de limiter les mouvements de travailleurs et des personnes au sein de l’Union ou vers l’Union ? Ces chimères qui encombrent la conscience sociale et politique française devraient, au contraire, conduire l’Union et les États à construire ensemble de nouvelles politiques sociales afin d’uniformiser les contrats de travail et empêcher le dumping social au détriment de nos travailleurs. Le chômage est un secteur explosif et déstabilisant pour les personnes et les États et pour l’Union. Quand on rêve à haute voix de mettre fin à l’État organisateur, à l’État arbitre, à l’État régulateur, le désespoir se développe car les plus pauvres sont forcément les plus atteints. Les électeurs de New-York l’ont compris ! Qu’attendent l’Union et ses institutions, Commission, Coreper et Conseil européen, Parlement, pour donner des repères aux peuples : l’Union est faite pour inventer de nouveaux modes de production et de répartitions des richesses produites et non pas pour réutiliser les vieilles recettes d’un capitalisme financier usé. Si explosion il y a, par quoi remplacer l’Union européenne ? Aucun programme des anti-européens ne le dit sauf à revenir aux États nations et à la coercition contre les migrants. Ce n’est donc pas sérieux car on peut être patriote, attaché à la nation tout en acceptant de partager avec d’autres nations les avantages et les inconvénients d’une Union. Mais qui se bat en France pour rendre cette Union moins technocratique, plus démocratique, plus sociale, plus sécurisante ? Les diplomaties de nos pays devraient rechercher les terrains de compromis et de coopération. Des conseils de Premiers ministres européens devraient être tenus chaque semaine pour gouverner l’Union.

Quid de la protection conférée par la création des institutions européennes ? Sont-elles un garant suffisant à la prévention d’une implosion économique de l’Europe ?

Gérard Bossuat : Le Plan Schuman de Haute Autorité du charbon et de l’acier du 9 mai 1950 a montré sa capacité à faire disparaître les tensions franco-allemandes séculaires. La CECA a protégé l’Europe de l’Ouest de conflits internes et elle est devenue un facteur de paix générale en pleine guerre froide. L’Europe c’est la paix ! Les institutions européennes ont eu, si on s’en tient à la crise commencée en 2007, un rôle stabilisateur, après quelques épisodes tragi-comiques. Mais la politique de l’exécutif européen est sans ambition. Il faudrait donc renforcer son efficacité en limitant désormais les nouvelles adhésions à l’Union et approfondissant l’Union par le développement des coopérations partagées et en développant les pouvoirs de l’exécutif européen. Commençons par nous doter d’un ministre des Finances européen chargé de gouverner l’euro avec la BCE et de proposer aux instances nationales et européennes une politique fiscale commune de façon à interdire le dumping social source de chômage…

Mathieu Mucherie : La survie de la zone me semble se trouver dans les mains de la Bundesbank et de la volonté ou pas de celle-ci de mettre un peu d’eau dans son vin. Les États n’ont plus la main sur ces questions puisque les banquiers centraux sont indépendants. Tout se passe désormais, sur la question économique, entre la Bundesbank et la BCE.

La Commission européenne a quant à elle été lourdement démonétisée depuis longtemps, ne bénéficiant que d’un budget fixe essentiellement destiné aux questions structurelles ou agricoles. Et depuis que son enfant, le pacte de stabilité et de croissance, a été violé dans les grandes largeurs, elle assiste à tout cela en spectateur. Plus personne ne l’écoute, en particulier sur les marchés. Reste l’Eurogroupe, qui en plus de n’avoir jamais vraiment pris, s’est fait rafler la politique de change par la BCE dès les premières années. Le Parlement européen, enfin, passe beaucoup plus de temps à lutter contre la peine de mort aux Etats-Unis et la pollution que contre l’indépendance de la BCE. Il n’est donc ni légitime ni sérieux de lui demander de jouer un rôle là-dedans.

La crise grecque a-t-elle montré que l’Europe était fragile ou au contraire qu’elle est solide, voire indestructible ?

Gérard Bossuat : Avec la crise grecque la stupeur a frappé les gouvernements et les peuples européens alors que l’adhésion de la Grèce à la Communauté européenne et son adhésion à l’euro avaient été marquées par  une ignorance volontaire de sa situation économique et budgétaire. L’hypocrisie régnait alors en maitre.

L’Union européenne est-elle fragile ? Depuis 2007 début de la crise financière, la BCE contrairement à ce qui a été souvent dit, est intervenue sur les marchés en injectant des liquidités. Le Conseil européen du 7 novembre 2008 déclare « qu’aucune institution financière, aucun segment de marché, aucune juridiction ne doit échapper à une régulation proportionnée et adéquate ou au moins à la surveillance ». Fin décembre 2008, un Conseil Ecofin prend des mesures de stimulation de l’économie, de l’ordre de 170 milliards d'euros, financés par les budgets nationaux et de 30 milliards d'euros financés par la Banque européenne d'Investissement (BEI) et par le budget européen. L’éclatement de la crise grecque en octobre 2009 déclenche les polémiques que l’on sait, mais aussi la peur des marchés qui spéculent sur les dettes souveraines de l’Espagne, de Chypre, du Portugal, de l’Irlande et de l’Italie. Le paroxysme de la crise se produit en mai 2010. Une réaction lente de l’Union se dessine. L’Eurozone décide de créer un Fonds européen de stabilité financière (FESF) d’une durée de 3 ans , pour mobiliser potentiellement 440 milliards € et venir en aide aux banques et aux États déstabilisés. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) (entré en vigueur en 2012) manifeste la solidarité inter-européenne demandée par les opinions publiques, mais il s’accompagne de règles strictes s’apparentant à un programme d’austérité. Angela Merkel, Gordon Brown, Nicolas Sarkozy, ses auteurs, deviennent des adeptes de John Maynard Keynes et redécouvrent la régulation, l'investissement public et les grands travaux. L’Eurozone crée en mars 2011 le « Pacte pour l’euro-plus » qui a pour but de renforcer la coordination des réponses des États à la crise des dettes souveraines. Il s’accompagne d’engagement à faire reculer l’âge de la retraite. Il établit un lien entre salaire et productivité. Il demande un accroissement de la compétitivité pour créer des emplois, tout en renforçant la viabilité des finances publiques. Un nouveau traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) appelé aussi Pacte budgétaire européen, est signé officiellement le 2 mars 2012, par 25 pays sauf la Grande-Bretagne et la République tchèque. Il conforte la discipline budgétaire et la coordination des politiques économiques dans la zone euro Le traité prévoit des sanctions automatiques contre les pays qui dépasseront la limite de 3% du PIB de déficit public annuel. Il impose l'équilibre des comptes publics et l’inscription dans les textes constitutionnels des États de la règle d’or de l’équilibre budgétaire.

L’Union européenne a montré laborieusement mais réellement une réactivité aux crises financières et  budgétaires, elle n’a pas apporté de solution à la crise économique, d’où un mécontentement persistant au sein des opinions qui peut se transformer en crise de confiance durable. Le plus important pour l’Union, comme pour le président français, est de renverser la courbe du chômage et de faire repartir l’économie sur un nouveau modèle.

Les institutions de l’Union fonctionnent mais l’unité européenne ne fait plus rêver comme avant la crise ; des pans entiers des opinions publiques doutent maintenant  de l’intérêt de vivre dans l’unité et se transforment en eurosceptiques exploités par les partis d’extrême droite qui réclament de se débarrasser de certaines contraintes communes sans reconnaître les avantages que les peuples retirent de l’Union européenne. Il est temps que l’Union adresse un signe fort en direction des déçus de l’Europe.

Mathieu Mucherie : Parvenir à un recul de PIB de 22 points en 6 ans est quand même très fort. La Grèce a été un désastre, monétaire, et aurait eu besoin d’une grande dévaluation en 2008-2009. La BCE pouvait éviter toute la partie spéculative car si elle avait, au moins avait fait mine, d’acheter 30 milliards de titres grecs, il n’y aurait pas eu de spéculation sur ces derniers. De là, les taux n’auraient pas explosé et aurait même pas eu un entrefilet dans la presse sur la crise grecque. Mais à partir du moment où la BCE refuse de faire ce que fait la Fed, c’est-à-dire d’être prêteur en dernier ressort, ce sont les politiques qui tentent de faire quelque chose. Ils ont été très maladroits, trop lents mais rappelons-nous que cette crise aurait pu ne jamais exister avec quelques mots sur le site de la BCE.

La Fed a été plus présente sur le dossier mexicain en 1994 que ne l’a été la BCE sur le dossier grec depuis 5 ans… C'est dire.

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