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#TuSerasUnHommeMonFils : ces risques à faire de nos enfants les objets d’un projet politique décalé de la réalité des comportements sociaux
©Pixabay

Education

"Le harcèlement et les violences faites aux femmes, ce n'est pas que l'affaire des femmes", rappelle ce mercredi 30 mai, une campagne télévisée lancée par la Fondation des Femmes pour "sensibiliser les hommes" et portée par la voix du rappeur Oxmo Puccino.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Si cette campagne affiche de bonnes intentions en matière d'éducation, quelle est l'efficacité de ce type de message ? Peut-on appliquer un concept politique et sociétal  sur ce sujet lorsqu'on éduque des garçons?

Eric Deschavanne Une telle campagne "publicitaire", comme d'autres du même genre, ne remplit sans doute pas la fonction à laquelle elle prétend. Comment imaginer, comme l'affirme le co-fondateur de la Fondation des femmes – la structure à l'origine de cette initiative - qu'une campagne télévisée puisse "agir pour empêcher la reproduction des violences et inégalités d'une génération à l'autre" ? En réalité, il semble bien plutôt que le film publicitaire d'intérêt public remplisse dans nos sociétés la fonction qui était celle du sermon des curés dans les villages d'antan : c'est une manière de communier dans le rappel des valeurs partagées. Cet exercice de réassurance de soi et de rappel à l'ordre ne fait sans doute pas de mal, mais il ne contribue évidemment en rien à changer les mentalités ou à lutter contre la violence et les inégalités. 
La démarche, paternaliste et auto-contradictoire, est en effet fondée sur une erreur de diagnostic. Ses concepteurs s'auto-investissent d'une mission d'évangélisation des barbares, persuadés d'appartenir à un élite éclairée en possession de la juste conception des relations hommes/femmes. Or, le fait même qu'une telle campagne soit simplement possible repose précisément sur le consensus autour des valeurs que l'on entend faire partager au plus grand nombre. Faire une campagne contre la violence faite aux femmes est aujourd'hui à peu près aussi audacieux et ambitieux que de faire campagne contre le racisme ou pour la démocratie : tout le monde est par avance d'accord, à l'exception de minorités qu'une campagne de ce type n'a à peu près aucune chance de pourvoir atteindre ni encore moins convertir. 
Le diagnostic, en l'occurrence, est celui de l'idéologie féministe issues des genders studys : la cause commune du harcèlement, de la violence faite aux femmes et  de l'inégalité hommes/femmes est la domination masculine; celle-ci est présentée comme un fait de culture - le produit d'une histoire dont nous portons l'empreinte sous la forme des stéréotypes de genres ancrés dans nos esprits. L'objection qu'on peut formuler à l'encontre de cette vision des choses est toute simple : comment se fait-il, s'il est vrai que la domination masculine soit structurelle et ancrée dans nos inconscients, que puisse exister aujourd'hui un tel unanimisme pour condamner la violence faite aux femmes et l'inégalité entre les hommes et les femmes ? Comment le féminisme peut-il être l'idéologie dominante d'une société structurée par une domination masculine systémique ? 
Il serait intéressant de savoir si les concepteurs de cette campagne fonde leur démarche sur autre chose que sur leurs préjugés idéologiques. J'en doute fortement. Une campagne pour la sécurité routière ou contre le tabagisme, par exemple, vise à souligner une relation de cause à effet bien établie, et fait appel à l'intelligence de l'intérêt bien compris. L'amalgame indiscriminé des phénomènes (viol, violence, harcèlement, irrespect, inégalités), en revanche, est le propre de l'idéologie. La campagne "Tu seras un homme mon fils" ne peut donc ambitionner autre chose que de prêcher des convaincus. Cette campagne suggère notamment que la lutte contre la "violence faite aux femmes" serait une affaire d'éducation, dans la mesure où ladite violence aurait une cause culturelle (les fameux "stéréotypes de genre" hérités de l'histoire). Rien ne semble pourtant plus douteux. Le type qui devient violent sous l'effet de l'alcool ou de la colère peut fort bien, rendu à son état normal, partager les valeurs ici promues. L'idée qu'un homme se déshonore en frappant une femme me paraît du reste parfaitement ancrée dans la conception la plus commune de l'identité masculine.

L'expérimentation des relations avec le sexe opposé peut-elle s'appuyer sur ce type d'injonctions? Comment éviter que cet apprentissage soit  influencé par des mouvements d'idées et d'opinions collectives?

Poser la question, c'est y répondre. Cette campagne télévisée est totalement à côté de la plaque ! En premier lieu, les injonctions morales paternalistes sont sans efficacité. Les parents savent bien que l'éducation morale ne consiste pas à "faire la morale". Un film publicitaire ne peut être qu'impuissant à modifier une manière d'être instituée par le modèle éducatif parental. L'éducation est indissociable de l'exemple donné au quotidien d'une relation respectueuse, laquelle peut du reste se fonder sur des traditions morales différentes. Une deuxième donnée doit être prise en considération : en matière de sexisme, comme en matière de racisme ou d'homophobie, le consensus sociétal génère la possibilité d'une affirmation identitaire par opposition aux valeurs dominantes. Cette campagne télévisée ne peut donc à cet égard, de par sa conception, atteindre sa cible, contribuant même à renforcer la construction identitaire contre laquelle elle entend lutter. 
En troisième lieu, la campagne"Tu seras un homme mon fils" et l'idéologie qui la sous-tend méconnaissent le moteur de la civilisation des rapports hommes/femmes dans le monde moderne. Ce moteur, depuis le 17e siècle au moins, est précisément la liberté de la femme. Dès lors, par exemple, que la femme dispose de la liberté de choisir celui qui deviendra son mari, elle est en mesure d'opérer une sélection en fonction des vertus qu'elle valorise chez un homme. Plus les femmes sont émancipées, autrement dit, plus elles sont en situation de façonner l'identité masculine qui leur convient. Le pouvoir des femmes est une réalité, imposant sans contrainte aux hommes un code de bonne conduite. Le problème posé par l'identité machiste dans laquelle s'enferment certains jeunes hommes ne tient pas au prétendu système de la domination masculine mais à une forme d'incapacité à intégrer les codes de la socialisation des rapports hommes/femmes, ainsi bien sûr que les codes de la séduction imposés par la culture dominante.

Beaucoup de femmes reconnaissent  leur penchant pour un profil d'hommes très masculins. Ces injonctions sont-elless paradoxales, et génératrices de souffrance pour les garçons?

La réalité me semble plus complexe. La féminité et la virilité sont en redéfinition permanente, ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas des constantes. Ce qui est pour le moins paradoxal, c'est la prétention de lutter contre les stéréotypes par d'autres stéréotypes, en construisant une image outrageusement simpliste et caricaturale de la réalité des relations hommes/femmes dans notre société. Que les garçons puissent souffrir de la chape de plomb du fémnisme idéologique est une hypothèse crédible. Il peut en effet exister chez certains jeunes hommes une réaction "viriliste" agressive qui exprime une révolte contre ce qui est confusément vécu comme une oppression morale. 

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