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"Pas de meilleure sécurité pour les salariés que la compétence" : mais l'économie française a-t-elle suffisamment besoin de travailleurs qualifiés pour que l'objectif d'Edouard Philippe soit atteignable ?
©Capture d'écran Dailymotion

Compétences pour tous

Lors de son déplacement à Berlin du 15 septembre, le premier ministre Edouard Philippe a déclaré : ​"je ne connais pas meilleure sécurité que la compétence". Un objectif illusoire ?

Xavier Timbeau

Xavier Timbeau

Xavier Timbeau est directeur du département "Analyse et prévision" à l'Ofce.

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Atlantico : Lors de son déplacement à Berlin du 15 septembre, le premier ministre Edouard Philippe a déclaré ​"Je ne connais pas meilleure sécurité que la compétence. Ni meilleure mesure de cohésion sociale qu’un travail stable, correctement rémunéré." ​Pourtant, au regard des derniers chiffres publiés par l'INSEE sur l'emploi, il apparaît que ce sont les emplois peu qualifiés qui sont créés actuellement en France; agents de sécurité, de nettoyage, serveurs etc... En quoi l'objectif de la "compétence pour tous" est il adapté à l'économie d'aujourdhui ? Cet objectif est il "possible", n'est il pas illusoire ? 

Xavier Timbeau : Il y a quelques éléments factuels qu'il est important d'avoir en tête. D'une part, la qualification, en particulier le diplôme, est un bon rempart contre la probabilité individuelle de chômage. Au delà du chômage, la qualification est aussi un vecteur des inégalités de rémunération. Ceci d'autant plus que l'accès à l'enseignement supérieur est difficile et sélectif. De plus, il est difficilement contestable qu'un haut niveau de développement nécessite un bon niveau de formation de la population en général et d'un enseignement supérieur qui "fabrique" une élite. Enfin, comme on l'observe dans la plupart des pays développés, que l'emploi peu qualifié est très dynamique et que les qualifications intermédiaires telles qu'on les a connues dans l'industrie sont beaucoup moins dynamiques. Les projections de besoin de main d'oeuvre réalisées périodiquement par France Stratégie indiquent que ce n'est pas un phénomène conjoncturel, mais que c'est en partie lié au vieillissement de la population, à la saturation des besoins en consommation matérielle et à l'émergence de nouvelles préoccupations comme la sécurité.

On est donc face à des injonctions contradictoires. D'une part le besoin en main d'oeuvre peu qualifiée demande d'abaisser le coût du travail. Le coût de la main d'oeuvre dans les services intervient directement dans le coût des entreprises (services aux entreprises) et dans le pouvoir d'achat (service aux personnes). L'Allemagne illustre parfaitement la double dualité interne (flexibilisation des marchés du travail dans les services, baisse des rémunérations) et externe (délocalisation de certaines productions dans les pays voisins à bas coût de main d'oeuvre) mise au profit des activités exportatrices et des salariés des ces industries. De l'autre, la nécessité de la qualification pour l'excellence et assurer les gains de productivité dans certains secteurs explique le succès des voies professionnelles. Il conduit aussi à inscrire l’enseignement supérieur dans une logique hypersélective et de concurrence globalisée. L'importance croissante des classements (de Shangai, du FT pour les Business School et autres) traduit comment la concurrence globale accentue l'élitisme. Au final, le non dit est la montée des inégalités, rendue inéluctable par la globalisation et le glissement de plus en plus marqué vers la notion d'égalité des chances et l'égalité d'opportunité. Mais l'égalité des chances qui est proposée sert plus de cache misère à une sélection précoce, irréversible et impitoyable. Dans ce cadre, les parents font tout pour protéger leurs enfants, que ce soit par l'investissement en temps, en argent ou par tous les moyens détournés de se jouer de ce processus. La ségrégation sociale est à la fois un moyen d'assurer le plus haut niveau possible d'éducation mais aussi d'exclure le plus grand nombre possible d'une chance égale. 

Il n'y a donc pas d'illusion à proprement parler, mais plutôt de poudre aux yeux pour masquer une structuration nouvelle de la société autour de l'éducation.

Les progressistes de tout poil sont d'ailleurs frappés de plein fouet par ces non dits. Ils ont toujours défendus l'éducation dans une perspective d'émancipation et de progrès. L'émancipation est remplacée par le pire de l'individualisme et le progrès par l'unique recherche de l'efficience.

Comment expliquer que les emplois créés semblent peu reposer sur la compétence ? Quelles en sont les conséquences pour l'économie française ? 

Le marché du travail est avant tout segmenté. Le sous emploi (ou le chômage) est élevé pour les moins qualifiés. Les gains de productivité sont moindres, les salaires sont moins élevés et surtout plus flexible. Par ailleurs, les moins qualifiés ont un capital humain plus faible, moins spécifique et sont plus substituables. A quelques exceptions près, les emplois dans l'intérim ou les emplois qui ont été sous traités, sont des emplois qui correspondent à des tâches ou des fonctions très génériques (et donc non stratégiques pour les entreprises), que l'on peut facilement soumettre à la concurrence et que l'on peut ajuster très rapidement à l'évolution de l'activité. Les emplois qualifiés sont au contraire associés à des tâches très spécifiques à l'entreprise, plus floues dans leurs définitions et qui correspondent à des relations de plus long terme entre le salarié et l'employeur. Dans ces emplois là, le salarié a intérêt à rester chez son employeur (qui connaît son engagement, qui mesure son implication et qui lui propose une carrière) et l'employeur à intérêt à fidéliser ces salariés (qui participent à la stratégie de l'entreprise). Les qualifiés sont en contrat à durée indéterminée, les moins qualifiés sont en contrat flexible, qu'il soit à durée déterminée, dans l'intérim ou dans une structure satellite qui peut faire faillite du jour au lendemain. Changer la nature juridique du contrat de travail ne changera rien à cette dualité qui est bien plus profonde.

Dans une phase de reprise, au risque de caricaturer, les salaires des qualifiés augmentent quand ce sont les emplois des non qualifiés qui s'accroissent. Le mode d'ajustement de la masse salariale à la baisse de l'activité est aussi dual que la structure de l'économie.

​Quels seraient les pistes à explorer permettant de soutenir une croissance plus créatrice d'emplois "de la compétence" ? 

Un puissant levier pour faire disparaître les emplois peu qualifiés est de jouer sur le salaire minimum. Cela poussera à automatiser les tâches peu qualifiés et lorsque ces tâches ne peuvent pas être automatiser, de forcer la rémunération à être décente. La politique de baisse de charge à conduit à compenser le niveau du SMIC et a empêché cette substitution de se produire, stabilisant puis faisant réaugmenter la part de l'emploi peu qualifié dans l'emploi en France. Il faut dire que l'argument de compétitivité et le tempo donné par l'Allemagne n'ont pas laissé beaucoup de place à une autre stratégie. Ceci ne fait que renforcer la nécessité d'une coordination des trajectoires techniques et sociales entre les pays européens. De l'autre côté, une politique de diplomation non seulement qualitative, parce qu'il est difficile d'échapper à la globalisation mais aussi quantitative est essentielle. C'est d'abord le moyen de donner un peu plus corps à la notion d'égalité des chances et aussi de diminuer la rareté des compétents et donc leur rémunération (à l'avantage des moins compétents non substituables et des consommateurs; ce qui limitera l'explosion des inégalités). Enfin, l'égalité des chances ne doit pas être une offre unique pendant une courte fenêtre d'opportunité. Il faut une seconde égalité des chances, un troisième et une millième si nécessaire, au risque de figer les hiérarchies de la société de façon intolérable.

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