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"Pas d’utérus, pas d’opinion" sur la PMA ou l’IVG, ou le naufrage intellectuel de progressistes à la dérive
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Wahhabisme à l’insu de leur plein gré

Un slogan réapparaît régulièrement lorsque le débat public touche à une question qui concerne le corps féminin (IVG, PMA, etc.) : le "no uterus, no opinion". Il consiste à interdire à tout homme d'exprimer son opinion, justement parce qu'il est homme.

Bérénice Levet

Bérénice Levet

Bérénice Levet est philosophe et essayiste, auteur entre autres de La Théorie du Genre ou le monde rêvé des anges (Livre de Poche, préface de Michel Onfray), le Crépuscule des idoles progressistes (Stock) et vient de paraître : Libérons-nous du féminisme ! (Editions de L’Observatoire)

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Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
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Atlantico : Un slogan réapparaît régulièrement, surtout sur les réseaux sociaux, lorsque le débat public touche à une question qui concerne le corps féminin (IVG, PMA, etc.) : le "no uterus, no opinion". Il consiste à interdire à tout homme d'exprimer son opinion, justement parce qu'il est homme. Si l'on applique le principe logique de cet argument à d'autres débats, n'aboutit-on pas à une formule antidémocratique ? Les "féministes" qui l'utilisent ne se contredisent-elles pas ainsi en l'utilisant ?

Bérénice Levet : Que les hommes aient leur mot à dire sur l’extension de la PMA aux femmes célibataires et aux couples de femmes, c’est la moindre des choses !  Si ce projet de loi est adopté, il ratifie l’éviction du père, et laisse entendre qu’il n’est jamais qu’optionnel.

Je ne me demande d’ailleurs jusqu’à quel point les Français que l’on dit acquis à 66% à ce projet de loi,  prennent bien la mesure de ce qui se joue avec cette extension.  L’existence, la présence d’un père deviennent optionnelles. Des enfants orphelins de père, il y en a, il y en a toujours,  mais ce sont des accidents de la vie. Ici, il s’agit de priver volontairement,  au motif  qu’on se refuse à toute relation sexuelle avec un homme, un enfant de père.  Les hommes sont peut-être donc les premiers concernés dans cette affaire.

Mais évidemment que ces questions sur lesquelles les hommes ne sont pas autorisés à s’exprimer par ce féministe radical, l’IVG comme la PMA, sont des questions de civilisation. Elles décident du monde dans lequel nous vivons, et voulons vivre. Il est donc impensable que seul un groupe ait voix au chapitre. Un tel énoncé vise de toute façon à proscrire toute conversation civique, à confisquer par avance tout débat, pour faire référence à l’ouvrage, qu’il faut lire impérieusement, du psychiatre Christian Flavigny (Editions Salvator). Je me demande bien ce que ces féministes font des femmes qui n’ont pas d’utérus et de celles qui, comme moi, s’écartent de leur droit chemin.

Mais je reviens précisément à votre question et au slogan « No Uterus, no opinion ».  Bien que son usage semble encore limité en France,  il mérite en effet de retenir notre attention. Car il est à l’unisson des interdits prononcés par les indigénistes qui refusent aux « blancs »  l’accès à leurs universités d’été et ont forgé la notion d’ « appropriation culturelle »  comme arme massive contre les Occidentaux curieux des autres civilisations. Partout le principe de la non-mixité s’impose, non-mixité sexuelle pour les « no uterus, nos opinion », non –mixité ethnique pour les décoloniaux. L’entre-soi triomphe. 

Ce n’est toutefois pas le point le plus préoccupant. L’enjeu est anthropologique, nous assistons à un vaste mouvement de réassignation identitaire : chacun est renvoyé à ses identités les plus particulières, rattaché  à son groupe, sa tribu. Régression redoutable. L’enjeu est anthropologique car  cela revient à nier l’existence  en l’être humain de ce que René Char appelait une « enclave de liberté ». Ce slogan conteste  la liberté de penser, ou plutôt la pensée comme exercice de la liberté, c’est-à-dire comme émancipation par rapport à toutes les formes de déterminismes, est tout simplement niée. Il postule que nous que nos pensées, nos opinions sont déterminées par notre identité sexuelle. Or, ce n’est pas en tant qu’homme ou en tant que femme que nous intervenons dans la sphère publique.        

Mais c’est précisément ce postulat de l’émancipation – essentiel à la conception française de la République - qui a aujourd’hui du plomb dans l’aile. Si cette idéologie diversitaire gagne du terrain, c’est que l’idéal universaliste ne fait plus autorité et est dénoncé comme ruse de la domination occidentale.

Or, c’était un idéal magnifique dont il convient de rappeler le sens, il postule que tout être humain « porte en lui, pour le dire avec les mots de Montaigne,   la forme de l’humaine condition », mais il consiste aussi en un pari, un pari admirable sur la liberté : il mise sur la possibilité en tout être humain de s’affranchir de toutes les formes de déterministes. Et les parieurs sont de moins en moins nombreux !  

Tyrannie des identités qui travaillent à morceler la France, à la décomposer. L’exlatation des identités particulières signe la liquidation du monde commun, passion française par excellence. C’est là que je me sépare de l’essayiste Laurent Dubreuil et de son diagnostic, pertinent,  d’une tyrannie des Identités : l’identité nationale est la seule à fabriquer du commun.

Aude Mirkovic : Tout d’abord, cette exclusion des hommes parce qu’ils sont des hommes est une attitude stérile qui rend impossible tout débat social voire même toute communication. A ce compte-là, celui qui ne se drogue pas ne peut rien dire de pertinent sur la drogue, celui qui n’est pas diabétique n’a rien à dire sur le sujet etc. 
En outre, c’est stupide venant de la part de femmes quiparaît-il ont lutté pour ne pas être réduites à leur utérus… Si un patron se permettait de prendre en considération ce fameux utérus dans un processus de recrutement, pour risque de grossesse par exemple, ou dans une grille de salaires, les mêmes crieraient au scandale, à juste titre. Et voilà qu’elles revendiquent leur qualité de femme en brandissant un élément morphologique, purement physique, qui deviendrait cette fois non seulement pertinent mais justifierait d’exclure les autres… A vrai dire, inutile d’épiloguer pour saisir le ridicule de ce slogan, il suffit d’imaginer la version non pas féministe mais machiste : no penis ni opinion. Cela se passe de commentaire. 

En quoi est-ce révélateur des idées et des méthodes des Social Justice Warrior et plus généralement des nouvelles formes de mouvements sociaux "progressistes" ? 

Aude Mirkovic : Ces méthodes qui consistent à disqualifier quelqu’un d’entrée de jeu ne risquent pas de faire progresser d’un iota la justice. Celui-ci est disqualifié parce qu’il est homme, celui-là parce qu’il est vieux, une autre fois ce sera sur un autre critère. Cette condamnation sans appel, à priori et définitivement de toute opinion sous prétexte que son auteur n’aurait pas voix au chapitre est une forme de démission intellectuelle. C’est irrationnel : les êtres humains ont une intelligence, une raison, une pensée qu’ils peuvent exprimer, partager, confronter. L’être humain grâce à sa raison a la capacité de penser l’universel au-delà de son petit cas personnel, et c’est d’ailleurs la définition de la loi : une norme générale et universelle. Si nous ne sommes pas capables de penser l’universel, comment penser la loi ? Comment voter la loi si la moitié, ou le tiers, ou les 9/12ème du parlement sont disqualifiés sur tel ou tel sujet supposé ne pas les concerner ? La démocratie ne signifie déjà plus grand chose, mais là on sombre dans un espèce de suffrage censitaire nouvelle formule, suffrage « anatomique » : seuls peuvent s’exprimer ceux qui correspondent à tel critère physique (ou autre). Aucune raison de se limiter au fait d’avoir un utérus ou non. D’autres critères peuvent devenir source d’exclusion. Jolie société en perspective !

Empêcher les hommes de s'exprimer sur ces questions, n'est-ce pas aussi risquer de modifier les rapports hommes-femmes ? Est-ce que cela ne révèle pas par exemple que ces militantes ne voient pas le lien entre l'homme et la filiation ?

Bérénice Levet : Ce slogan « no uterus, no opinion » nous vient des Etats-Unis et il est tout à fait symptomatique du féminisme identitaire et séparatiste qui triomphe en Amérique, exhortant les femmes à se penser, à se vivre partout et toujours comme groupe distinct de celui des hommes. Ce qui est fort préoccupant est de le voir s’imposer en France, où le féminisme universaliste, attaché à la mixité des sexes, refusant de penser l’homme et la femme comme deux espèces séparées,  avait eu raison d’une féminisme plus radical qui existait dans les années 1970.  Dans mon essai, Libérons-nous du féminisme !, j’évoque le meeting organisé en avril 1971 par France Observateur dans le sillage de la publication du « Manifeste des 343 », sur le thème « Faut-il, oui ou non, dépénaliser l’avortement ? », A l’occasion de son intervention, la sociologue Évelyne Sullerot, co-fondatrice du Planning familial, exprime  sa vive opposition au slogan brandi par certaines des militantes, « Mon ventre est à moi et ce qui est dedans aussi », rappelant hardiment que dans l’avortement « trois personnes sont concernées : la femme, le bébé et le père ». « Quand j’ai dit le père, se souvient-elle, j’ai entendu des hurlements […]. J’ai vu des filles arriver sur moi comme pour me jeter dans la fosse en m’assenant des coups. ». Mais il est vrai que depuis quelques années, et singulièrement depuis #metoo, ce féminisme que j’appellerai volontiers de chien de faïence – les hommes et les femmes risquant bien de finir par se tenir les uns en face des autres, se mesurant des yeux, la complicité cédant la place à l’esprit de suspicion –ce féminisme donc avance à grands pas dans notre France fière hier encore, de sa tradition galante et libertine.

Dans certaines  entreprises américaines, raconte la journaliste Kim Elsesser dans son livre Sex and the Office, afin d’éviter toute tentation et surtout de tomber sous le coup de quelque accusation que ce soit (sexisme, harcèlement, agression sexuelle), les hommes prennent le parti de se tenir à l’écart de leurs collègues féminines :  « Une barrière invisible » se dresse, une insidieuse « partition des sexes », note-t-elle.

Aude Mirkovic : Les rapports hommes/femmes sont déjà bien trop souvent pensés dans la confrontation. Cette disqualification de l’opinion des hommes parce qu’ils sont hommes va même plus loin : il n’y a même plus de confrontation,il n’y a plus de relation du tout. Cela flatte sans doute les aspirations individualistes de notre époque mais cela m’étonnerait que cela rende qui que ce soit heureux. A tous et à chacun de redécouvrir la valeur, la richesse de l’altérité homme/femme et delacomplémentarité qui en découle. La lutte des classes transformée en lutte des sexes, c’est déjà ringard et il est temps de passer à autre chose ! 
Ceci est urgent car, en effet, cette exclusion des hommes n’est pas juste un snobisme de femmes qui se pensent malines à se réduire elles-mêmes à leur utérus. Cela a des conséquences sur le lien social et, en particulier, sur cette relation sociale fondatrice qu’est la filiation. La filiation ne désigne pas seulement à l’enfant qui vient au monde ses responsables légaux, ses éducateurs. Tout cela est très positif mais les parents sont plus que cela : ils ont pour rôle statutaire d’indiquer à l’enfant son origine, de le situer dans la chaîne des générations, de l’inscrire dans une généalogie. Et la généalogie comporte deux branches, paternelle et maternelle. Certaines femmes considèrent l’enfant comme un projet personnel, sans homme, mais l’enfant est toujours issu d’un homme. D’ailleurs, on se demande par quel artifice les mêmes qui se revendiquent du NUNO se considèrent habilitées à revendiquer le don de sperme, car le sperme ne sort pas d’un utérus que je sache. Dans le monde de l’irrationnel, on n’est pas à une contradiction près !

Empêcher les hommes de s'exprimer sur ces questions, n'est-ce pas aussi risquer de modifier les rapports hommes-femmes ? Est-ce que cela ne révèle pas par exemple que ces militantes ne voient pas le lien entre l'homme et la filiation ?

Aude Mirkovic :Les rapports hommes/femmes sont déjà bien trop souvent pensés dans la confrontation. Cette disqualification de l’opinion des hommes parce qu’ils sont hommes va même plus loin : il n’y a même plus de confrontation,il n’y a plus de relation du tout. Cela flatte sans doute les aspirations individualistes de notre époque mais cela m’étonnerait que cela rende qui que ce soit heureux. A tous et à chacun de redécouvrir la valeur, la richesse de l’altérité homme/femme et delacomplémentarité qui en découle. La lutte des classes transformée en lutte des sexes, c’est déjà ringard et il est temps de passer à autre chose ! 
Ceci est urgent car, en effet, cette exclusion des hommes n’est pas juste un snobisme de femmes qui se pensent malines à se réduire elles-mêmes à leur utérus. Cela a des conséquences sur le lien social et, en particulier, sur cette relation sociale fondatrice qu’est la filiation. La filiation ne désigne pas seulement à l’enfant qui vient au monde ses responsables légaux, ses éducateurs. Tout cela est très positif mais les parents sont plus que cela : ils ont pour rôle statutaire d’indiquer à l’enfant son origine, de le situer dans la chaîne des générations, de l’inscrire dans une généalogie. Et la généalogie comporte deux branches, paternelle et maternelle. Certaines femmes considèrent l’enfant comme un projet personnel, sans homme, mais l’enfant est toujours issu d’un homme. D’ailleurs, on se demande par quel artifice les mêmes qui se revendiquent du NUNO se considèrent habilitées à revendiquer le don de sperme, car le sperme ne sort pas d’un utérus que je sache. Dans le monde de l’irrationnel, on n’est pas à une contradiction près !

Bérénice Levet, philosophe et essayiste, a publié récemment Libérons-nous du féminisme ! Nation française, galante et libertine, ne te renie pas ! (Editions de l’Observatoire, 2018)

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