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"Fondation espérance banlieues" : de nouvelles écoles privées pour faire face à l'échec de l'Etat en zones sensibles
©Pixabay

Bonnes feuilles

30 à 40 % des enfants des banlieues sont en échec scolaire et le risque d'éclatement de la communauté nationale n'a jamais été aussi grand. Extrait de "Espérance banlieues", de Harry Roselmack et Eric Mestrallet, publié aux éditions du Rocher. (2/2)

Eric Mestrallet

Eric Mestrallet

Eric Mestrallet est chef d'entreprise et président de la fondation Espérance Banlieues qui a crée cette école.

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Harry Roselmack

Harry Roselmack

Harry Roselmack est journaliste à TF1. Il est parrain de l'école pilote de Montfermeil.

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Harry Roselmack : L’État investit beaucoup dans l’éducation, notamment en banlieue. Pourtant, il vous a semblé nécessaire de créer une école privée, indépendante de l’État : pourquoi ?

Éric Mestrallet : Il est vrai que l’État dépense beaucoup d’argent pour l’éducation en banlieue – plus d’un milliard d’euros par an –, mais les résultats ne sont pas satisfaisants. Ce constat très préoccupant est connu. Je reprendrai ici, pour le rappeler, les mots mêmes de la ministre de l’Éducation nationale, en introduction de son plan du 22 janvier 20152 :

>>>>>>>>> "Fondation espérance banlieues" : le projet pilote qui tente de redonner aux élèves défavorisés les moyens de leurs ambitions

Le sentiment de désespérance, l’accroissement des inégalités et la prévalence du déterminisme social, l’incapacité collective à prévenir le décrochage scolaire endémique d’une partie de notre jeunesse, ont entamé la mission d’égalité de l’École. Les discriminations, l’écart entre les valeurs affichées et les réalités vécues, les replis identitaires, les velléités communautaristes, les logiques d’entre-soi ont affaibli son ambition de fraternité. Dans une société en perte de repères et caractérisée par une forme de relativisme ambiant qui favorise amalgames et indifférences, l’École peine aujourd’hui à assurer les missions que la République lui a confiées : transmettre des connaissances et être un creuset de la citoyenneté, et à susciter la confiance des élèves et des familles.

Je suis mal placé pour juger de la pertinence intrinsèque de la politique publique d’éducation et en particulier de la politique d’éducation prioritaire. Ce que je vois simplement, c’est qu’en tout état de cause, on ne peut pas se satisfaire d’un système scolaire où 20 % des élèves ne savent pas lire à leur entrée en 6e. Ces 20 % d’élèves en grave échec, on les retrouve à la fin de la période de scolarité obligatoire, à 16 ans : ce sont les 20 % d’une classe d’âge qui sortent sans aucune qualification du système éducatif. Et ils viennent majoritairement de quartiers et de banlieues défavorisés. Si l’on ajoute à ces 20 % les élèves qui lisent à peu près mais qui n’ont pas les bases suffisantes pour suivre en 6e, on atteint 40 %. Or, il s’agit d’une moyenne nationale. Je vous laisse imaginer les proportions que l’on atteint dans certaines banlieues ou quartiers défavorisés où les enfants ont une relation plus difficile encore avec la langue française. D’après un récent rapport, moins de la moitié des élèves des zones d’éducation prioritaire maîtrisent les savoirs fondamentaux à la fin du collège. C’est absolument énorme. En tant que citoyen, je me sens irrésistiblement poussé à m’engager pour trouver une solution à ce problème. Se résigner à un tel gâchis humain me semble intolérable. Surtout quand on imagine les souffrances humaines que cachent ces chiffres froids : souffrance et sentiment d’exclusion des élèves en échec, souffrance de leurs familles, d’autant plus qu’elles se sentent souvent impuissantes à les aider, et souffrance des professeurs des quartiers défavorisés face à la détresse et parfois la violence de leurs élèves…

HR : Votre constat est sévère ! L’Éducation nationale n’a-telle pas à son crédit de nombreuses réussites ?

EM : Comme je viens de vous le dire, ce n’est pas moi qui constate que l’école publique va mal, qu’elle n’arrive pas à répondre aux besoins éducatifs réels de l’ensemble des élèves. C’est une vérité connue de tous. Le budget de l’Éducation nationale a doublé en trente ans et les performances se sont effondrées. Toutes les évaluations, nationales et internationales le montrent, année après année, à commencer par l’évaluation PISA menée par l’OCDE3. La France s’enfonce, dans toutes les matières. Nier l’évidence, ce serait perdre du temps. Or, le temps presse ! D’autant que l’OCDE a même montré que, outre le niveau académique de ses élèves qui se dégrade dangereusement, évaluation après évaluation depuis 2000, c’est la justice même de son école qui pose problème. La France est, selon le rapport de l’OCDE, le pays du monde dont le système scolaire accroît plus les inégalités sociales ou, autrement dit, le système le plus incapable de toute l’OCDE à réduire les inégalités scolaires. Comme l’indique le journal Le Monde,

plus qu’ailleurs et plus que par le passé, les origines sociales pèsent sur la réussite scolaire. C’est, en France, entre un cinquième et un quart des résultats des élèves en mathématiques (22,5 %) qui sont directement imputables aux origines socio-économiques, contre 15 % en moyenne dans l’OCDE. Il n’y a en réalité que sept pays sur les 65 du classement où l’origine socioéconomique conditionne autant les destins scolaires (plus de 20 %). Un chiffre qui vaut à la France la triste réputation de pays le plus inégalitaire de l’OCDE4.

HR : Mais alors, à quoi sert tout l’argent dépensé ? Et particulièrement le fameux milliard d’euros réservé aux « zones sensibles » ?

EM : En banlieue, l’effort budgétaire supplémentaire sert essentiellement à réduire les effectifs, ce qui est une excellente idée en soi. Mais c’est très insuffisant : l’inertie de la structure n’a permis que de passer de 27 à 25 élèves en moyenne par classe. Or, toutes les études prouvent que la réduction des effectifs est une mesure efficace à une condition : qu’elle soit très significative. Sinon, ça ne sert à rien. Je vous renvoie par exemple à l’étude de Piketty et Valdenaire5. En outre, l’argent sert à financer toutes sortes d’activités annexes plus ou moins « occupationnelles », qui sont sans rapport avec la nature du problème : ce qu’il faut, c’est augmenter les horaires consacrés aux matières fondamentales, en prenant sur les très nombreuses heures consacrées à des activités qui relèvent quasiment du divertissement. Il faut savoir que, depuis les années 1970, le nombre d’heures hebdomadaires consacrées au Français en CP est passé de 15 à 9 ! Les enseignants devraient pouvoir user librement des heures censées être consacrées chaque semaine à « l’histoire des arts » ou à « la découverte du monde » pour renforcer les enseignements de savoirs fondamentaux. Pour s’ouvrir au monde, il est d’abord primordial d’avoir de solides bases en français et en mathématiques. Pas de suivre des séquences semi-ludiques semi-touristiques que les élèves peuvent voir tous les jours à la télé. Dans le passé, les enfants comptaient sur l’école pour s’ouvrir au monde, dans un contexte où l’accès à l’information était plus rare et difficile. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. Les enfants sont écrasés par la surinformation. Ce qui leur manque c’est l’aptitude à trier, organiser, structurer, assimiler et, le cas échéant, critiquer cette information. Et cela passe par la formation de leur intelligence. En résumé, il faut leur apprendre à penser, non pas leur dire quoi penser.

Extrait de "Espérance banlieues", de Harry Roselmack et Eric Mestrallet, publié aux éditions du Rocher, 2015. Pour acheter ce livre,cliquez ici.

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