"Convergence des luttes" : les contradictions entre le discours du gauchisme postmoderne et celui du racialisme indigéniste<!-- --> | Atlantico.fr
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Une manifestation de militants gauchistes dans les rues de Paris.
Une manifestation de militants gauchistes dans les rues de Paris.
©PATRICK KOVARIK / AFP

Bonnes feuilles

Philippe Fabry et Léo Portal publient « Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite » chez VA Editions. Philippe Fabry et Léo Portal répondent à toutes les grandes questions de la politique contemporaine par la construction d'un modèle unique, universel et intemporel, du clivage politique. La confusion règne quant à l'avenir de la démocratie en Occident et dans le monde. Extrait 1/2.

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Léo Portal

Léo Portal

Léo Portal est actuellement doctorant-chercheur en sciences politiques à l’Institut Universitaire Européen. Il est diplômé d’une licence en sciences politiques et économiques de l’Université de l’Ouest à Trollhättan en Suède, d’un master en administration internationale de l’Université de Göteborg en Suède, du master de management des politiques publiques de l’Université Fudan de Shanghai en Chine ainsi que du master de recherche en sciences politiques de l’Institut Universitaire Européen. Ses précédents travaux académiques ont porté sur les relations franco-russes pendant la crise de Crimée et les causes de la corruption dans les états-membres de l’Union européenne. Ses recherches actuelles portent sur les liens entre révolutions technologiques et administrations publiques, plus particulièrement sur le développement des smart cities européennes et les conséquences de celles-ci sur les questions sociales (thesmartcityobserver.com). Léo Portal est aussi consultant stratégie et communication pour des élus politiques et des think tanks (strategiepolitique.fr).

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Si le terme « gauchisme » semble une façon injurieuse de désigner les idées d’individus ayant une sensibilité progressiste ou révolutionnaire de la part de conservateurs et de réactionnaires, il faut rappeler qu’historiquement, c’est un terme qui trouve précisément son origine chez le révolutionnaire le plus célèbre du XXe siècle, sinon de l’Histoire : Vladimir Lénine, qui en 1920 publiait La Maladie infantile du communisme, le gauchisme136, pour dénoncer, dans le cadre de l’Internationale communiste, le purisme de certains courants qui refusaient des compromis avec l’ordre existant, nécessaires selon lui pour conduire une stratégie efficace de prise du pouvoir, en particulier dans le monde démocratique. Le terme, dans la première acception, plus générique, découlant de cet écrit léninien, désignait donc la poursuite excessive de la logique révolutionnaire, la quête stérile de la pureté dans l’opposition à l’ordre établi.

Il s’agit, en fin de compte, d’une sorte d’inversion de la fin et des moyens : alors que la révolution doit être un moyen, dans l’esprit de la doctrine marxiste-léniniste, pour atteindre un but, la dictature du prolétariat et l’évolution subséquente vers la société autogérée, elle est considérée par certaines franges comme une fin, une rupture absolue ne menant en définitive à aucun but déterminé, puisqu’impuissante à agir effectivement en raison de son refus trop radical des instruments qui la rendraient efficace.

Le terme, quoiqu’injurieux, et bien que le texte de Lénine lui-même soit souvent dénoncé comme polémique, permet donc de désigner un phénomène politique qui, sans cela, n’a pas de nom : la quête du progrès pour le progrès, de la révolution pour la révolution, sans but clairement défini, et donc sans capacité constructive.

Le même mot, naturellement et par extension, doit nous permettre aujourd’hui de désigner justement cette tendance des sociétés occidentales largement social-démocratiques à sécréter des doctrines révolutionnaires qui ne sont pas d’abord et avant tout les rationalisations de l’aspiration à la puissance politique d’une classe de nouveaux exclus, comme c’est généralement le cas ainsi qu’il a été précédemment montré et démontré, mais qui au contraire cherchent à identifier et définir de nouvelles classes d’exclus, par pure pulsion progressiste et révolutionnaire, sans que ce mouvement n’ait de terme envisageable ni de but défini.

Ce que l’on peut appeler, aujourd’hui, gauchisme, est sans doute la version la plus pure possible de ce révolutionnarisme, cette inversion de la fin et du moyen révolutionnaires, et a naturellement touché des sociétés, les sociétés occidentales, qui après des siècles de course du clivage avaient, dans le cadre des État-nations sociaux-démocrates, intégré la totalité de leur population dans le jeu politique : plus aucune classe endogène de ces sociétés n’était, à partir de la fin des années 1960, exclue, après que les femmes eurent partout obtenu le droit de vote et la libération sexuelle, et que les ouvriers eurent obtenu de fortes législations sociales.

Il y aurait certes bientôt une classe exogène qui deviendrait la nouvelle classe d’exclus, composée des immigrés venus du Tiers-Monde, mais elle n’existait pas encore dans les années 1960, lorsqu’apparut la French Theory et le postmodernisme, source intellectuelle du gauchisme actuel, avec ses auteurs-phares : Foucault, Derrida, Lyotard.

Tout s’est passé comme si, en l’absence d’une nouvelle classe d’exclus, il restait malgré tout une pulsion inclusiviste, c’est-à-dire recherchant à remédier à l’exclusion politique, qui, faute d’avoir un objet évident, devrait s’en trouver un, quitte à l’inventer. Dès 1961, dans The Liberal Mind, le philosophe australien Kenneth Minogue comparait le liberalism (qui ne correspond pas au français « libéralisme », mais désigne plutôt le progressisme) à un saint Georges qui, ayant triomphé du dragon, serait parti errer à la recherche d’un nouveau dragon à tuer.

De fait, il s’agit de rechercher l’inclusion, toujours plus étendue, de minorités toujours plus insignifiantes : les sexualités marginales ne représentant que quelques pourcents de la population, puis celles ne représentant que quelques millièmes, dix millièmes… c’est le sens du mouvement homosexuel devenu LGBT puis LGBTQI+. Puis des créatures ne comptant même pas parmi la population humaine, à travers l’antispécisme.

Les idées de la French Theory, sa pensée déconstructionniste, ont servi de boîte à outils conceptuelle au gauchisme postmoderne pour inventer des exclus pour lesquels se battre, en particulier avec le développement de la gender theory¸ la théorie du genre qui, partant d’une volonté scientifique, anthropologique, d’analyse des représentations culturelles sexuées (associations de couleurs, de vêtements, de caractères, etc. au genre masculin et au genre féminin), a débouché sur des doctrines rejetant purement et simplement la dualité du sexe biologique et multipliant les « genres » comme autant de minorités exclues à défendre et intégrer.

La faiblesse de ce discours gauchiste est cependant double : d’abord, en raison de sa propre nature, il n’a pas de but : il s’agit d’une recherche continuelle et radicale de la pureté idéologique, en traquant tout contrevenant et en procédant à des purges. C’est ce que l’on nomme la cancel culture, la culture de l’effacement, de l’ostracisation, de la réduction au silence de tout individu ayant une opinion « offensante », c’est-à-dire critique, ou simplement insuffisamment militante. Mais ce mouvement n’a aucun objectif concret, aucun but révolutionnaire à atteindre, et ne tend qu’à la surenchère, de sorte qu’il s’expose à la fois à la lassitude des moins fanatiques de ses membres, et à la déconnexion totale des aspirations même les plus marginales du public. L’absence de but condamne ces tendances à tourner sur elles-mêmes, indéfiniment.

Ensuite, et c’est là le plus important, le gauchisme est à la merci de l’existence ou de l’apparition d’une véritable classe d’exclus, massive, déployant sa propre idéologie pour faire valoir ses propres revendications face à l’ordre établi, dont la forte présence numérique, la visibilité sociale et l’affirmation d’un but à atteindre marginaliseront et finalement étoufferont celle des gauchistes.

C’est ce qui, jadis, conduisit à l’effacement de l’anarchisme face au communisme marxiste, en dépit de leur origine commune : l’un comme l’autre avaient en point de mire une société autogérée, sans pouvoir central ni gouvernement, mais tandis que les anarchistes ne promouvaient qu’une destruction de l’ordre social et une vision bien floue de l’avenir, le marxisme identifiait une étape intermédiaire qui formait un but concret à atteindre, facilement concevable, tout en étant centré sur la classe d’exclus alors en pleine expansion : la dictature du prolétariat.

Le même phénomène se produit depuis quelques décennies à la suite de l’immigration d’origine extra-occidentale qui a massivement gagné les pays occidentaux : immigration principalement en provenance d’Amérique latine pour les États-Unis, et venant d’Afrique et du Moyen-Orient pour l’Europe. À mesure que la proportion de ces populations dans celles de leurs pays d’accueil s’accroissait, leur conscience de classe exclue s’est formée et l’antiracisme, qui était un des combats gauchistes, a évolué en revendications communautaires plus lourdes, structurées et s’éloignant du simple discours inclusiviste du gauchisme : racialisme noir aux États-Unis, indigénisme et islamisme (nous y reviendrons) en Europe.

C’est probablement ce qui a favorisé le succès de l’idée d’intersectionnalité, de « convergence des luttes », à partir des années 1990 et de plus en plus souvent évoquée dans les années 2010, qui vise à associer entre elles les différentes luttes des minorités – ethniques et sexuelles, en particulier. En effet, il faut constater que, dans le cadre de cette concurrence naturelle entre le gauchisme et les revendications propres de la véritable classe d’exclus, l’intersectionnalité est à la fois un mirage, puisque le gauchisme est destiné à être marginalisé pour les raisons susdites, et un instrument commode tant pour les gauchistes que pour leurs concurrents. Ainsi l’intersectionnalité est-elle une tentative, pour le gauchisme, de résister à la marginalisation, au mieux en tentant d’utiliser la démographie immigrée comme masse de manœuvres pour donner à ses revendications une assise numérique dont il manque, au pire en se mettant à la remorque du communautarisme ethnico-religieux, se faisant auxiliaire de ses revendications.

De leur côté, les communautarismes ethniques des populations immigrées utilisent le gauchisme comme instrument de séduction des franges de la gauche autochtone, et comme brise-glace idéologique, à l’instar des Frères Musulmans du Qatar dont la chaîne Internet AJ+ (filiale d’Al Jazeera) est largement consacrée à relayer les revendications et allégations LGBTQI+ les plus radicales afin de faire passer des messages islamistes, par exemple en présentant l’interdiction du port du voile islamique dans les sociétés occidentales comme une oppression des femmes.

Cette « convergence des luttes » masque difficilement aux observateurs attentifs de profondes contradictions entre le discours du gauchisme postmoderne et celui du racialisme « indigéniste », et surtout, en Europe, où la plupart des immigrés extra-occidentaux viennent du monde musulman, celui du discours islamiste qui en devient peu à peu la référence commune, souvent tacite : alors que le gauchisme plaide la multiplicité des genres et la légitimité de toutes les sexualités, pousse le féminisme jusqu’à la détestation de la figure masculine traditionnelle, l’islamisme prône la domination masculine la plus absolue et proscrit l’homosexualité, et a fortiori toutes les sexualités marginales.

L’intersectionnalité prétend ainsi assembler sous une même bannière la recherche de l’émancipation individuelle la plus totale, jusqu’à l’affranchissement des réalités biologiques les plus évidentes, au mépris de la société, et l’une des formes les plus englobantes et asservissantes qui soient de doctrine sociale, politique et religieuse.

Extrait du livre de Philippe Fabry et Léo Portal, « Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite », publié chez VA Editions.

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Crédit : Philippe Fabry - Léo Portal - VA Editions

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