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"Bâtir la cathédrale du déconfinement" ou le meilleur moyen de le rater magistralement ?
©Thibault Camus / POOL / AFP

11 Mai

Un député de la majorité cité par Le Monde qualifiait ainsi la stratégie pour sortir du confinement, trahissant l’éternelle présence du techno centralisme qui a réduit l’efficacité de l’État depuis le début de la crise.

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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William Genieys

William Genieys

William Genieys est politologue et sociologue. Il est directeur de recherche CNRS à Science-Po.

Il est l'auteur de Sociologie politique des élites (Armand Colin, 2011), de L'élite politique de l'Etat (Les Presses de Science Po, 2008) et de The new custodians of the State : programmatic elites in french society (Transaction publishers, 2010). William Genieys est l’auteur de Gouverner à l’abri des regards. Les ressorts caché de la réussite de l’Obamacare (Presses de Sciences Po [septembre 2020])

Il a reçu le prix d’Excellence Scientifique de la Fondation Mattéi Dogan et  Association Française de Science Politique 2013.

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Atlantico.fr : Alors qu'Edouard Philippe affichait dimanche une volonté de décentraliser la gestion du déconfinement, la planification (sur 15 jours) de celui-ci annoncé par le gouvernement n'ajoute-elle pas de la confusion à une situation qui n'en manque pas ?

William Genieys : Nous sommes dans une situation de disruption liée à la crise du Covid 19, il est à la fois compliqué d’agir et de gouverner et la politique qui est suivie par le Président, le gouvernement, le Parlement et l’administration depuis que nous sommes dans la situation de confinement et même avant, était de gérer de manière centralisée l’épidémie. D’autres pays ont fait différemment, nous, c’est le choix que nous avons fait, il y a eu quelques couacs avec des voix dissonantes au niveau de l’ARS de Nancy Lorraine par exemple mais je suis circonspect. Le choix d’une gestion centralisée est une politique qui culturellement est plutôt bien ancrée dans la mentalité française. En revanche au regard de la situation, il me semble que cette politique de centralisation ne peut être efficiente que si elle s’appuie sur une concertation. Il faut que beaucoup d’éléments remontent de la base du territoire, du local, des régions via les préfets et les élus, car si l’on regarde la problématique générale du confinement, l’idée est de faire en sorte que le virus ne circule pas à nouveau. Pour que le virus ne circule pas, il faut réduire la circulation des personnes d’où le confinement. Mais à partir du moment où l’on va sortir de cette situation, la circulation des personnes va repartir de manière plus ou moins rapide en fonction des règles qui vont sortir et donc le potentiel de circulation du virus va être plus ou moins réactivé. Cela pose des problèmes au niveau des réponses et des déclinaisons territoriales de celles-ci vont être forcément différenciées.  Il y a eu des clusters, l’idée est donc de séparer ces zones géographiques des autres. Il faudra donc faire un taillage du déconfinement en le développant dans les départements qui ont été peu touchés par l’épidémie. La centralisation va toucher ses limites, car le territoire va avoir une gestion de lui-même fortement déconcentrée et différenciée. À partir de là, il faut un écho avec les forces politiques locales qui doivent faire remonter leurs idées et leurs solutions de manière très pratique  : gérer les déclinaisons et l’application concrète des mesures de déconfinement. Je ne vois pas comment ces dernières peuvent être gérées de manière centralisée. 

Gilles Clavreul : Je comprends qu’il soit tentant de trouver une grille de lecture qui puisse rendre compte de l’action des pouvoirs publics, telle que planification bureaucratique vs. gestion souple et décentralisée, mais il faut à mon avis s’en garder, car les choses sont un peu plus complexes que cela. La seule chose qui parait à peu près acquise, c’est que le gouvernement sera critiqué, quelle que soit la voie qu’il choisit : veut-il planifier ? On l’accusera de centralisme technocratique. Laisse-t-il la main aux acteurs ? On dira que l’Etat n’a pas de stratégie et qu’il abandonne les collectivités à leur sort.

De plus, quand on évoque la centralisation, on mélange deux sujets distincts : l’organisation de l’Etat d’une part, et d’autre part les relations entre ce même Etat et les collectivités locales. C’est le couple déconcentration / décentralisation que les étudiants en droit connaissent bien. Donc lorsque l’on critique la centralisation, on ne sait pas toujours si on critique l’Etat jacobin, ou si on déplore le manque de déconcentration de l’Etat, qui a pour conséquence une prise de décision à la fois trop uniforme et trop lente.

Ce que doit faire l’exécutif avec le déconfinement est très difficile, au moins autant que le confinement : il faut synchroniser des centaines de décisions dans des domaines extrêmement variés, qui vont de la réouverture des écoles à la remise en exploitation des transports publics, des crèches, des services d’accueil au public, en passant par le repositionnement des forces de l’ordre pour faire respecter un déconfinement progressif, tout en rendant la manœuvre suffisamment lisible aux opérationnels et aux citoyens pour que chacun sache ce qu’il a à faire. C’est considérable, d’autant qu’il y a toujours beaucoup d’aléas et d’hypothèques concernant le virus lui-même (taux de contamination, fiabilité des tests, etc.). Il ne serait pas pensable d’entamer ces grandes manœuvres sans un minimum d’organisation collective, sans une stratégie d’ensemble, et donc sans planification centralisée.  D’ailleurs je ne sache pas qu’il y ait un seul pays où les autorités nationales n’assument pas ce rôle.

Il y a donc une partition collective, et un chef d’orchestre pour tenir le tempo. Mais le déconfinement, ce sont aussi des milliers de décisions prises à des échelles plus petites, locales voire micro-locales : c’est le chef d’établissement qui organise une pré-rentrée avec les enseignants, réfléchit aux modalités de fonctionnement de la cantine en mode dégradé, demande à l’inspection académique s’il aura des masques, etc. C’est le maire qui se demande à quelle date et dans quelles conditions faire redémarrer le marché ouvert, entre pression des commerçants étranglés financièrement et contraintes matérielles pour le respect des mesures barrières. Et là, en effet, le décideur local ne peut pas être suspendu à des feux verts qui n’arrivent pas ou trop tard. Les problèmes sont d’ordre multiple : sanitaires, économiques et logistiques, bien sûr, mais aussi sociaux, sécuritaires et, ne le perdons pas de vue, contentieux. Dans la société devenue hyper-procédurière qui est la nôtre, tous les décideurs, même au plus petit niveau, savent qu’ils ont l’épée de Damoclès du procès pénal au-dessus d’eux. On voit par exemple les plaintes contre les directeurs d’EHPAD se multiplier. Ce contexte n’est pas seulement anxiogène : il est lui-même un facteur de ralentissement opérationnel et de recentralisation, car chaque décideur est enclin à se couvrir, à faire remonter au niveau supérieur et à s’abstenir d’agir en l’absence de directives.

Pour le gouvernement, réussir à « faire redescendre » la prise de décision au bon niveau est donc un enjeu critique, à la fois vis-à-vis des collectivités locales et vis-à-vis de ses propres services. C’est là que les choses deviennent un peu plus délicates, car l’Etat local s’est beaucoup affaibli depuis vingt ans ; quant à l’organisation sanitaire telle qu’elle a été mise en place depuis la création des agences régionales de l’hospitalisation (ARH) en 1996, devenues agences régionales de santé (ARS) en 2008, elle est bien mieux à même de faire de la tutelle budgétaire des établissements de santé que de faire de la gestion de crise : ce sont des logiques différentes, qui entrainent aussi des états d’esprit différents. Dernier facteur d’affaiblissement : la réforme des régions de 2015 qui a encore plus éloigné les centres de décision du terrain, et accentué le déséquilibre entre administrations d’état-major, localisées dans les chefs-lieux de région, et administrations d’exécution, qui sont demeurées au niveau départemental. Le paradoxe c’est qu’on associe généralement la décentralisation au renforcement du niveau régional ; or ce à quoi on a assisté en réalité, c’est à une puissante recentralisation de l’Etat, ce qui l’a effectivement rendu moins souple, moins réactif mais aussi moins cohérent, puisque la gestion de crise est partagée entre préfets et ARS.

En réalité, la régionalisation a été voulue par les grands ministères techniques et par Bercy, depuis très longtemps. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai entendu, dans des réunions interministérielles, des arguments d’autorité (c’est le cas de le dire) du genre « on administre mieux quand on ne subit pas la pression des élus », ce qui est un coup de pied de l’âne aux préfets, toujours suspectés d’être trop complaisants, ou encore « c’est plus simple de piloter 22 régions plutôt que 100 départements », à plus forte raison quand il n’y a plus que 13 régions. L’idée sous-jacente de ces réformes était donc bien de renforcer la mainmise de Paris sur l’organisation de l’Etat, et de ne pas trop tenir compte de l’avis des collectivités locales. Tout le contraire des grands principes du tandem décentralisation/déconcentration.

Cette manière "technocratique"  de gérer la crise n'est-elle pas la même que celle qui a aggravé la situation ces derniers mois ? Ne faudrait-il pas aller vers plus de pragmatisme et de rapidité d'exécution ? 

William Genieys : Je suis partagé. Autant au niveau des élites, il peut y avoir des éléments de compréhension partielle de la situation, au regard de ce qui est donné sur un territoire. Les informations sur le nombre de malades, de patients testés, etc. On peut voir dans certaines limites le regroupement d’expertises qui est en France centralisé. En revanche, il y a certains points sur lesquels les autorités locales peuvent avoir une expertise pertinente. En revanche, au niveau des régions ou de leurs administrations, on ne joue pas dans la même catégorie qu’au niveau national. Sur des questions très précises, liées à la façon dont nous vivons ou celle dont l’économie travaille sur le territoire il y a des éléments. Mais si on prend le cas de ce qu’il s’est passé au moment où nous avons commencé à confiner, je ne suis pas sûr que tout le monde en régions ait toutes les informations pour prendre les décisions. Il s’agit d’un problème structurel qui pourra être géré à la sortie de la crise et peut-être être remis sur la table, en rapport à la formation des élites, des niveaux de décisions etc… Afin d’être plus réactifs au moment de la prochaine crise. C’est un des éléments clefs des leçons que l’on pourra retirer. Les niveaux de gouvernements locaux, des élites qui travaillent dans les administrations régionales ou départementales n’ont pas les compétences car celles-ci sont centralisées. 

Sur le déconfinement le profil du « monsieur déconfinement » Jean Castex est assez intéressant. C’est un homme qui est à la fois le profil type de la carrière centralisée dans les sommets de l’État, au ministère de la santé avec Xavier Bertrand, au secrétariat général de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy, tout en ayant été en même temps le maire d’une petite commune de 6 000 habitants (Prades 66) où il a été réélu dès le premier tour…. Je pense que cette personne doit avoir à la fois un rapport au local intéressant tout en devant mettre en place la politique centralisée de déconfinement. Son expérience devrait quand même percuter et lui faire voir qu’on ne peut pas voir la chose que par le haut et descendante vers les territoires. 

Gilles Clavreul : Peut-être, mais c’est également très compliqué de changer de monture en pleine course. Et encore plus compliqué de faire renoncer dans l’urgence à des réflexes et des mentalités forgés dans le temps long de l’histoire administrative. Sans remonter jusqu’à Richelieu et Colbert, ce primat d’une vision technicienne, normalisatrice et uniformisatrice de l’Etat est une réalité très ancienne, et c’est aussi la pente naturelle à laquelle se laissent aller ces grandes institutions, qui ont aussi leur valeur et leur mérite, que sont les ministères techniques et les grands corps de l’Etat. Seule une très forte volonté politique, une inspiration profonde secondée par de la persévérance et le soutien d’une majorité décidée a permis de temps en temps, dans notre histoire, d’inverser la tendance. La décentralisation voulue par Mitterrand et mise en œuvre par Defferre est un modèle du genre : là, en très peu de temps, le politique a réussi à imprimer sa marque et à changer le cours des choses. Mais ce fut une guerre éclair : le premier projet de loi est déposée le 27 juillet 1981, un mois à peine après les élections législatives. Et tout est accompli en moins de deux ans. Jamais par la suite un gouvernement ne sera arrivé aussi préparé devant le Parlement, avec une idée de manœuvre aussi précise. Et le fait est que, depuis, les progrès en matière de décentralisation et de déconcentration ont été non seulement bien plus timides, mais ils ont été contrebattus par les logiques de recentralisation que j’évoquais auparavant. Le volet territorial de la révision générale des politiques publiques (RGPP), connue sous le nom de RéATE (réforme de l’administration territoriale de l’Etat) en est l’exemple le plus criant. En dépit de ses ambitions décentralisatrices et malgré la convergence politique avec les collectivités locales (ou peut-être en partie à cause de cela ?), la gauche au pouvoir n’a pas vraiment réussi à desserrer l’étau, y compris sur la chasse aux normes qui était pourtant au cœur des préoccupations de François Hollande. Depuis trois ans, ni Emmanuel Macron ni son gouvernement ne donnent de signaux très clairs sur ce sujet, malgré la perspective, annoncée en début d’année, d’une loi dite « 3D » (pour décentralisation, différenciation et déconcentration) aux contours très flous, et qui risque fort de faire partie des victimes collatérales du coronavirus.

Finalement, cette crise sanitaire est-elle en train de révéler au grand jour les failles de la technostructure française ? 

Gilles Clavreul : Très honnêtement, je suis plein d’admiration pour ces gens qui, si nombreux, savent quelles sont les causes de la crise du coronavirus, où étaient nos faiblesses et quels sont les remèdes qu’il faut y apporter. C’est juste un peu dommage qu’on les ait peu entendus avant que la crise ne survienne. En ce qui me concerne, je ne sais pas dire si un modèle fédéral fonctionne mieux ou moins bien, ou si cela n’a aucun rapport : l’Allemagne a une organisation décentralisée, c’est un fait, mais les Etats-Unis aussi. La France est très centralisée et il y a des poches de bureaucratie inefficiente, mais la Grèce est encore dix fois plus centralisée et bureaucratisée, et pourtant tout le monde s’accorde à dire que les autorités ont agi avec célérité et efficacité. Il est une donnée qui résiste à toutes les explications magiques, c’est la contingence. Il y a une part irréductible d’aléa dans les crises, que nous avons d’autant plus de mal à accepter et même à voir que, précisément, nous sommes très imprégnés d’un modèle de toute-puissance managériale de plus en plus adossée à ce que Pierre Legendre nomme la techno-science-économie : nous estimons donc que tout doit être prévu, anticipé et traité, même l’impondérable. La cinétique du virus semble avoir tenu à des événements précis qui n’ont pu être correctement appréhendés sur le moment – le fameux rassemblement évangélique de Mulhouse, par exemple, alors qu’à l’inverse des clusters ont été convenablement repérés et isolés, comme en Haute-Savoie et dans le Morbihan, limitant beaucoup la propagation du virus. Ces événements, heureux dans certains cas, dramatiques dans d’autres, ont peu à voir avec les questions d’organisation macro ou avec les systèmes politiques.

J’irais cependant en partie dans votre sens, mais avec des mots différents : je crois qu’est apparu un certain affaiblissement de l’Etat. Ce n’est pas un effondrement, on en est même très loin – la montée en puissance du système hospitalier pour faire face à l’afflux inédit de patients en état grave est par exemple assez remarquable  – mais il apparait en effet moins armé, moins cohérent (car les structures de décision de type agence se sont multipliées, notamment), plus tributaire de l’expertise, plus empêtré dans ses propres normes. L’exécutif l’a d’ailleurs bien compris en déverrouillant un certain nombre de contraintes normatives, par exemple en donnant aux préfets de larges possibilités d’adapter la réglementation ; mais le simple fait qu’il faille corriger en temps réel tous les dysfonctionnements causés par cet affaiblissement acquis sur le long terme, ce qui fait perdre du temps et contraint parfois les plus hautes autorités de l’Etat à faire du micro-management pour mettre un terme à l’absurde « guerre des tarmacs » pour les stocks de masque, montre qu’il y a un problème de structure auquel il faudra bien s’attaquer.

Dans cette perspective, la demande des collectivités locales de plus d’autonomie me parait légitime. Elles prouvent à l’occasion de cette crise qu’elles ont une réelle capacité d’agir, et qu’elles en usent le plus souvent à bon escient. Cela dit, si on vise une décentralisation sans revoir, en miroir, l’organisation de l’Etat, on risque de quitter un déséquilibre pour un autre. Cette réflexion sur l’organisation de l’Etat porte à coup sûr le dispositif territorial, la répartition des effectifs, des compétences, la définition des missions, etc. Mais il y a aussi, derrière une question qui me semble encore plus déterminante, et que d’ailleurs la crise du Covid met en lumière chez nous plus que partout ailleurs : la croyance collective des élites politico-administrative en un dogme du « moins d’Etat pour mieux d’Etat », agissante depuis plusieurs décennies, et qui n’aura apporté en réalité ni économies substantielles, ni gains d’efficacité. On est passés d’un Etat prestataire omniprésent – avec tous les défauts que cela comportait – à un Etat régulateur, qui produit de la norme et la fait respecter, au nom d’un désengagement jugé souhaitable de la puissance publique au profit de la société civile. Le paradoxe, mais qui n’est sans doute qu’apparent, est que ce mouvement « modernisateur » n’a en rien émoussé la prolifération bureaucratique, ni permis à la société civile de prendre possession d’elle-même. L’impression commune est plutôt, à l’inverse, que la puissance publique est toujours là quand il s’agit « d’emmerder les Français », pour reprendre le mot de Pompidou ; mais qu’elle est insuffisamment présente pour les protéger. Il est grand temps de changer de paradigme, si on veut éviter que des solutions autoritaires et simplistes ne gagnent encore davantage de faveurs parmi les Français.  

William Genieys : Elle nous met en face de nos qualités et de nos défauts. La France est un pays dans lequel il y a eu la grande stratégie militaire de la Ligne Maginot. On en connaît le résultat. Ce même pays avait quelqu’un qui défendait une thèse complètement opposée et qui pourtant a été un grand centralisateur, le Général de Gaulle. Il avait écrit « Au fil de l’épée » et avait une autre stratégie militaire qui ne nous aurait peut-être pas fait gagner, mais qui nous aurait rendu moins ridicule face aux Allemands. Mais après, il a centralisé quand même ! Tout cela pour dire que je ne pense pas que l’on puisse en sortir comme cela. Je pense qu’en revanche, nous devrons à posteriori faire des efforts d’adaptation conséquents, nous ne pouvions pas la faire avant, malgré les avertissements de certains experts, car la situation disruptive n’existait pas ! Il est vrai qu’à partir de ce que nous avons vécu, les modes de raisonnement devront être vécus différemment. C’est le paradoxe de l’administration, particulièrement importante en France, habituée à faire de la planification pour faire de la gestion routinière. Lorsque nous sommes dans une situation de disruption, où tous les paramètres et les habitudes sont remis en question de manière très rapide, les élites ont-elles les bons logiciels pour y répondre ? Peut-être pas complètement malgré les efforts d’adaptation. Comme nous avons beaucoup formé les élites en France « au silo » c’est à dire avec des responsabilités bien particulières : politique, juridique ou médicale, il faut aujourd’hui, pour prendre les décisions adéquates, être compétent sur pleins de choses à la fois, c’est effectivement compliqué surtout que l’on ne peut pas se satisfaire d’être un généraliste à l’ancienne comme le furent les énarches de la planification où tout allait tout droit. Il suffisait de maîtriser la synthèse du vocabulaire et la grammaire de ce vocabulaire et tout le monde était content. Aujourd’hui tout va plus vite et est plus compliqué donc effectivement il y a un temps d’adaptation. Mais c’est la situation empirique qui permet de voir ces limites. 

L’accès aux plages par exemple va poser un vrai problème. Si la canicule de l’été dernier se reproduit, les gens vont vraiment vouloir se rendre dans l’eau ! Et si le virus tourne encore, cela va vraiment être compliqué sachant que nos libertés publiques sont très ancrées dans notre mode de fonctionnement. Les Italiens parlent de quotas, les Australiens de limiter l’accès aux pratiques sportives… Tout cela est impossible chez nous. Il y a des vrais sujets qui ne pourront pas être traités de manière technocratique. Gérer le littoral dans le sud n’est pas gérer Paris plage ! Même problématique pour les restaurants et les bars avec la gestion de la climatisation qui est un véritable aspirateur à virus… Il faut des solutions empiriques qui viennent des personnes concernées. Il y a plein d’éléments de ce type-là, qui peuvent paraître anodins, mais qui peuvent être et doivent être gérés localement. On peut aller très loin en regardant dans cette direction.

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