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Al-Qaïda : ce qu'il aurait fallu faire pour éviter l’implantation massive du réseau terroriste en France
©Reuters

Bonnes feuilles

Une puissante organisation terroriste s'est implantée sur le sol français : un réseau qui se tient prêt à passer à l'action et qui est dirigé par un "émir" d'Al-Qaïda. Ces "labyrinthe de la terreur" sont dissimulés au cœur de notre quotidien. Extrait de "Al-Qaïda en France", de Samuel Laurent, aux éditions du Seuil (2/2).

Samuel Laurent

Samuel Laurent

Consultant international, Samuel Laurent est avant tout un homme de terrain. Il sillonne depuis des années les régions contrôlées par Al-Qaïda, et possède des contacts inégalés au sein de cette organisation. Il est déjà l’auteur de Sahelistan (Seuil, 2013), salué par la critique.

 

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Je ne reverrai Abou Hassan qu’une seule fois, en mars 2014, afin de lui soumettre le texte pour qu’il en « vérifie » le contenu, suivant les termes de notre accord. Je retournerai également en Somalie. Abou Youssef acceptera de venir à Mogadiscio pour me faciliter les choses, m’évitant un nouveau périple dans les montagnes du Galgala. Pendant trois jours, il épluchera mes pages avant de m’imposer certaines modifications mineures, qui n’altèrent en rien le contenu et le sens de cette enquête. Depuis, plus la moindre nouvelle

>> Lire également le premier extrait du même ouvrage Al-Qaïda : les trois prochaines cibles de l'organisation terroriste en France

Les informations que je viens de recueillir sur les cellules françaises constituent une menace immédiate pour chacun d’entre nous. Une menace si précise que je ne parviens toujours pas à croire que nos services n’en soient pas informés…

Al-Qaïda possède une structure quasiment parfaite dans notre pays. Des hommes invisibles, enterrés au plus profond de notre société. Ces hommes ne se cachent pas, loin s’en faut. Ils sont nos voisins, nos amis, nos collègues de bureaux… Et même les plus sympathiques ! Ceux que l’on prend plaisir à fréquenter, car on les « forme » à devenir tolérants, bons vivants et ouverts d’esprit. Ils sont musulmans d’origine, mais s’intéressent davantage à la bonne chère qu’à la religion. Ils expliquent avec mépris et consternation que ces dingues de salafistes représentent la honte de l’islam, tout en prenant l’apéritif avec leurs collègues. Ils organisent des dîners, font du sport, participent à leurs comités d’entreprise ou peut-être même à la vie syndicale de leur usine. Ils sont vous. Ils sont moi. Ils n’éveillent jamais le soupçon ou la méfiance. Bien au contraire, ils l’endorment.

Ces agents aguerris au combat, formés à la clandestinité dans les régions les plus inaccessibles de Somalie, se fondent désormais au coeur même de notre quotidien. Passés maîtres dans l’art de la ruse, de la duplicité et de la manipulation, ils exploitent les failles de notre système et contournent ses forces, pour s’y infiltrer sans éveiller les soupçons. Al-Qaïda possède désormais un véritable cheval de Troie dans l’Hexagone. Et l’aveuglement de nos services de sécurité leur a permis de se nicher au plus profond de la société. Longtemps. Pour y attendre un petit bout de papier glissé sous une pierre, qui leur donnera l’ordre d’attaquer et de provoquer un carnage. Sur l’ordre d’un homme qu’ils ne connaissent même pas.

Leur stratégie confine à la perfection. Elle repose sur une paranoïa de tous les instants, qui rend chaque futur martyre aisément sacrifiable, dans la mesure où il ne possède strictement aucune information sur son propre réseau. Piégé, arrêté, torturé, il ne livrera que quelques éléments fragmentaires concernant la Somalie, sans pouvoir compromettre les cadres d’Al-Qaïda qui règnent sur l’organisation française, ni même les autres kamikazes dont il ignore jusqu’à l’existence. Comme un parasite capable de se fragmenter et de perdre certains morceaux de son organisme, aucune opération coup de poing ni aucune vague d’arrestations ne pourra dissoudre totalement cette branche française en pleine expansion.

Comment les percer à jour ? Avec une direction dispersée à travers toute l’Europe, il faudrait une agence de renseignement transnationale, infiniment plus efficace et dotée de pouvoirs beaucoup plus étendus que ceux de nos propres services nationaux. Une utopie, tant la « collaboration » en matière d’espionnage demeure « amis ». De plus, les moyens employés par ces hommes reposent sur une parfaite compréhension de nos atouts et de nos lacunes. En refusant de nous affronter sur le terrain de la technologie, Abou Hassan remet au goût du jour les vieilles techniques de la guerre froide, comme les boîtes aux lettres mortes, qui permettent aux espions de faire passer des messages en toute discrétion. Des méthodes simples, archaïques, si rudimentaires que nos agents de renseignement ne possèdent plus la moindre formation pour y faire face. L’espionnage moderne investit des ressources humaines et financières considérables pour analyser les données suspectes qui transitent sur Internet, à l’aide d’algorithmes chaque jour plus puissants. Mais nos adversaires le comprennent et s’adaptent. Incapables de rivaliser avec nos super-ordinateurs, ils reprennent possession du terrain, en utilisant nos rues et nos forêts pour établir un système de communication indétectable, que les « as » de la DCRI ou même de la NSA semblent bien incapables de démanteler.

Ce réseau, qui ne vise pourtant que la France, comprend l’importance des frontières dans la lutte antiterroriste. Il sème ses poursuivants éventuels en organisant ses réunions à l’étranger, sans posséder la moindre « base » à l’intérieur de l’Hexagone. Et comme il semble qu’aucun flux financier ne permette de remonter jusqu’à lui, l’écran de fumée qui le dissimule se transforme en une véritable chape de plomb.

Les agents d’Al-Qaïda qui prospèrent actuellement en France connaissent parfaitement notre système et fonctionnent à l’inverse de tout ce que l’on pourrait attendre d’une organisation terroriste. En plaçant les salafistes sous surveillance, en établissant des « profils » aux antipodes de la réalité, la DCRI joue le jeu des futurs kamikazes, que personne ne peut aujourd’hui repérer au sein de la population française. Un véritable cauchemar. Que nous pouvions peut-être éviter…

Au terme de cette enquête, je dois avouer que la colère l’emporte sur la peur. Que font les hommes et les agences censés nous protéger ?

Depuis le début de la guerre, la Syrie présente des risques très particuliers. Ce pays exerce un attrait bien plus puissant que l’Afghanistan ou l’Irak pour les aspirants au Jihad. D’abord, parce que le voyage ne pose aucun problème, ni en termes financiers ni en terme de « discrétion ». Des centaines de milliers de Français visitent chaque année la Turquie, et les autorités de ce pays ne procèdent à aucun contrôle particulier sur les vols intérieurs, ni à l’aéroport d’Hatay (Antakia) ni à ceux d’Istanbul. Les visas longue durée s’obtiennent facilement, et certaines brigades syriennes possèdent même des relais au sein de l’immigration turque, pour modifier les dates d’entrée de leurs combattants. On arrive à la frontière pour pas cher et sans risque de se faire repérer. Si l’on ne possède pas les contacts nécessaires pour intégrer une brigade, on les trouve dans les mosquées d’Antakia ou de Reyhanli en moins d’une journée.

En plus de la facilité déconcertante avec laquelle on entre dans cette guerre, la dimension religieuse de ce conflit présente un attrait tout particulier pour nos jeunes concitoyens en quête de spiritualité. Le Coran explique que la fin des temps débutera par une guerre en Syrie, et que tous les jihadistes participant à ce conflit iront au paradis. Un message encore plus clair et plus direct qu’en Afghanistan ou en Irak. Il ne s’agit plus seulement de soutenir Ben Laden ou de combattre les Américains : le conflit perd une partie de sa dimension politique et devient, pour un volontaire pétri de salafisme, une affaire entre Dieu et lui.

Tous ces éléments préfiguraient la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Désormais, rien ne semble pouvoir endiguer l’exode massif des jeunes Français, persuadés d’accomplir la volonté de Dieu sur cette terre bien plus sacrée que ne l’étaient le Mali, l’AfPak ou l’Irak.

Extrait de "Al-Qaïda en France", de Samuel Laurent, aux éditions du Seuil, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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