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"Les gens ont tendance à laver leurs jeans trop souvent."
"Les gens ont tendance à laver leurs jeans trop souvent."
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Atlantico chic

Chaque semaine, votre chronique mode avec Greg Jacomet. Découvrez aujourd'hui pourquoi le jean reste un élément très intéressant du vestiaire masculin.

N’en déplaise à nos amis de The Chap, dont le quatrième point de l’hilarant manifeste rejette tout port du jean passé l’âge du bécotage sous l’abri de bus, le jean reste un élément très intéressant du vestiaire masculin.

En sa qualité de pantalon casual / streetwear par excellence et de symbole immortel de l’Amérique stéréotypique des cowboys et des hamburgers (qui d’ailleurs viennent de Hambourg, en Allemagne), le jean n’est pas forcément reçu avec les égards qu’il mériterait dans notre petit monde. L’immense popularité de l’objet a en effet depuis longtemps entraîné, comme trop souvent, une baisse de qualité importante doublée d’une ignorance générale sur le bon entretien d’une belle paire de denim (déformation de « De Nîmes », eh oui, la toile denim est française !) Car oui, une belle paire de jean doit être entretenue, ou plus exactement, doit être entretenue peu souvent, mais selon des règles précises.

La communauté des puristes du jean est très intéressante et est à peu près aussi exigeante et quasi-dogmatique (dans le pire des cas) que les amateurs de beaux vêtements que nous sommes. Ces passionnés s’entredéchirent par ailleurs régulièrement sur des débats aussi passionnants que « quel pays produit le meilleur coton pour denim » (les USA, le Japon et le Zimbabwe arrivent souvent en tête), ce qui n’est pas forcément sans rappeler l’éternelle querelle blake vs goodyear, ou les sempiternelles discussions sur les mérites des épaules italiennes ou anglaises.

Et les similarités ne s’arrêtent pas là…

Car le jean est lui aussi victime de son succès. Et avec le succès vient la production de masse, qui entraîne souvent la création d’un gouffre entre les connaisseurs et les profanes. Le gouffre est franchissable bien sûr, mais peu de personnes sont conscientes de son existence, et surtout de l’El Dorado qui se trouve de l’autre côté, pour ceux qui se donnent les moyens d’y arriver.


Trop de gens considèrent en effet le jean comme un simple uniforme pour les jours où le costume n’est pas requis. Et si beaucoup de gens ne savent pas choisir un costume correctement, c’est aussi vrai pour le jean. De trop nombreuses marques n’ont d’ailleurs aucun scrupule à capitaliser sur l’ignorance généralisée pour vendre à des prix ridicules des jeans extrêmement vulgaires à la durée de vie risible. Les puristes, eux, se tourneront vers le denim brut, ou raw denim – aussi appelé « dry denim » – soit une toile denim n’ayant pas été lavée ou traitée de quelque manière que ce soit après avoir été teintée. Et au delà de la simple qualité de fabrication, le denim brut est très apprécié des connaisseurs pour des raisons techniques qui ne sont pas, au final, sans rappeler les obsessions de certains amateurs de costumes haut de gamme. Sans aller jusqu’à parler de démarche similaire, quelques ressemblances sont cependant amusantes à constater :

- Il est une maladie qui fait grincer les dents de tout homme élégant : le costume trop grand. Un terrible fléau touchant facilement 90% de la population. Les enthousiastes du jean sont dans une position similaire. 90% des jeans vendus dans le monde sont pré-lavés (à opposer au brut) et achetés trop grands. Et s’il est vrai que les jeans rétrécissent au lavage, cela nous amène à notre deuxième point …

- Les gens ont tendance à laver leurs jeans trop souvent. Il ne vous viendrait pas à l’esprit de mettre votre beau costume au pressing du coin tous les deux jours? C’est aussi vrai pour votre belle paire de jean. Cette dernière doit être lavée… le moins souvent possible, généralement pas plus d’une fois tous les 3 – 4 mois, en fonction de la fréquence du port, et en évitant autant que possible les lavages agressifs à la machine.


Mais contrairement au costume, dont certains tissus peuvent se « patiner » (comme le Saxony Tweed) mais dont l’aspect général reste globalement le même au fil des ports, la toile denim est un tissu qui s’embellit avec le temps. Le denim brut est, comme son nom l’indique, un tissu brut, non-traité et non lavé, qui s’adapte à votre morphologie au rythme des ports ; d’où l’importance de choisir un jean parfaitement ajusté, voir légèrement trop serré lors de l’achat. Si les deux premières semaines seront douloureuses (particulièrement à l’entrejambes), le tissu va progressivement se détendre pour s’adapter à votre corps. De plus, les plis provoqués par le port vont marquer le tissu qui va se décolorer par endroits sous l’effet de la sueur et de la friction. Laver son jean trop tôt et trop souvent causera ainsi une dégradation prématurée et grave des tissus, à opposer à la détente naturelle causée par un port régulier, ainsi qu’une décoloration précoce et inégale, très inesthétique. En outre le tissu y perdra en rigidité, et donc en ligne et en allure.

Avant de rejeter l’idée, pour des raisons d’hygiène, de ne laver son jean qu’une fois tous les 3 à 4 mois, considérez ceci : une étude à montré qu’un jean porté tous les jours pendant 15 mois sans lavage présentait un taux de bactéries similaire à celui observé après une dizaine de jours de port après un lavage agressif à la machine.

Bien entendu, le cas est extrême, mais révélateur. Pour peu que le jean soit aéré régulièrement (toutes les nuits par exemple) et que le porteur fasse preuve d’une bonne hygiène corporelle, ni odeur désagréable, ni bactéries dangereuses pour la santé ne s’y développeront. C’est un peu le même principe que pour une paire de chaussures.

Par ailleurs, de nombreuses techniques existent pour laver une paire de jean brut sans crainte d’abîmer le tissu. La plus populaire consiste à remplir une baignoire d’eau tiède, à y verser un peu de lessive douce sans détergent, et à y immerger son jean à l’envers, à plat, en plaçant des objets lourds dessus pour s’assurer qu’il ne remonte pas à la surface. Après 45 minutes à une heure de ce traitement, le jean est rincé et mis à sécher, préférablement à l’air libre et si possible au soleil.

- Comme pour les costumes, on trouve sur une paire de denim de qualité des petits détails, invisibles pour le profane, et qui font toute la différence entre une belle paire de jean et une paire de faible qualité. Je ne vais pas trop m’étendre sur le sujet, nos camarades du site Bonnegueule.fr ayant récemment publié un article très instructif sur le sujet. Pour les anglophones, plus d’informations sont également disponibles ici et ici.

- « Faire » une belle paire de jean prend du temps. Une belle décoloration et un beau jean bien coupé parfaitement adapté à sa morphologie demande un port régulier avant d’obtenir un résultat pleinement satisfaisant. Il s’agit d’un état d’esprit à part, pas si éloigné au final de celui de l’amateur de sur-mesure attendant, essayage après essayage, que son costume soit enfin parfaitement ajusté, si vous me pardonnez ce parallèle un peu culotté. Il s’agit en tout cas d’une volonté de consacrer le temps nécessaire pour parvenir à un résultat de qualité, à des années lumières de l’état d’esprit de la fashion-victim, par définition dans l’immédiateté.

Le but de cet article n’est pas de vous enjoindre à laisser tomber votre pantalon de flanelle ou votre chino en faveur du jean, loin de là. Il s’agit plus de rendre justice à un élément du vestiaire masculin trop souvent galvaudé. Bien porté avec une belle veste sport, une paire de saddle shoes, de tanker boots en cuir cordovan ou de loafers en été, le jean peut se poser en alternative attrayante au pantalon dépareillé classique.

D’ailleurs, les Italiens semblent en être actuellement particulièrement friands. Est-ce par fierté nationale (le jean venant de la ville de Gêne, d’ou le nom), ou est-ce parce que l’idée de porter un vêtement requérant de la patience et des connaissances pour obtenir un aspect parfaitement et volontairement négligé ne serait-elle pas, finalement, l’une des meilleures incarnations de la fameuse sprezzatura ?

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