Après la Syrie, l’Irak explose : évolution de l’opinion française face aux interventions extérieures depuis le Kosovo <!-- --> | Atlantico.fr
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De 1999 à 2014 : l’opinion publique française et les interventions extérieures
De 1999 à 2014 : l’opinion publique française et les interventions extérieures
©Reuters

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Les Etats-Unis procèdent à des frappes ciblées en Irak depuis la semaine dernière. S'il n'est pas question pour la France d'intervenir, le ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius a appelé l'Union européenne à fournir des armes aux combattants kurdes. Une éventualité qui, au vu du précédent syrien, pourrait ne pas recueillir les faveurs d'une majorité de Français.

 Ifop

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L'Ifop est un institut de sondages d'opinion et d'études marketing.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Depuis la fin du conflit algérien en 1962, notre pays n’a pas connu à proprement parler de situation de guerre sur son propre territoire. Pour autant, ces trente dernières années, les troupes françaises ont été engagées  avec une certaine régularité sur des théâtres étrangers, agissant le plus souvent sous mandat de l’ONU. Sur la dernière période, les opérations extérieures (les fameuses "OPEX" dans le jargon militaire) se sont succédées à un rythme soutenu et ont donné lieu à un véritable engagement militaire sur le terrain et plus seulement à des opérations de maintien de la paix ou d’interposition. Qu’il s’agisse du Kosovo en 1999, de l’Afghanistan bien entendu, de la Libye ou du Mali plus récemment, les armées françaises ont été engagées dans des opérations depuis près de 15 ans maintenant.

Alors que les Etats-Unis ont procédé à des attaques ciblées en Irak près de trois ans après leur retrait du pays, revenons, sur les réactions et le soutien plus ou moins appuyé des  opinions publiques française et étrangères aux différentes interventions militaires qui ont scandé l’actualité ces dernières années. 

1. Avril 1999, la guerre en Europe : l’opinion publique et le Kosovo

Interrogés par l’Ifop pour l’Evènement du Jeudi près de deux semaines après le début (24 mars 1999) des bombardements de l’OTAN au Kosovo et en Serbie, 7 Français sur 10 approuvent les frappes (1). La légitimité de l’opération, engagée suite à une résolution de l’ONU, et les exactions perpétrées par les forces serbes sur le terrain pèsent lourdement dans la balance et contribuent à la création d’un large consensus dans l’opinion française, les personnalités s’opposant à cette intervention(2) étant assez peu nombreuses.


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Pour autant, comme souvent, la majorité est plus courte en ce qui concerne la participation de la France à l’opération militaire. 58% approuvent cette participation contre 70% qui jugent légitime cette intervention. Le clivage gauche/droite n’étant guère marqué sur cette question, ce ne sont pas des raisons partisanes mais plutôt une opposition de principe au recours à l’action armée et une réticence à voir la France engagée dans une "guerre américaine" (rappelons qu’à l’époque la France n’a pas réintégré le commandement de l’OTAN) qui fondent cette opposition à la participation française. 


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1. Sondage IFOP réalisé pour l'Evénement du Jeudi du 2 au 5 avril 1999 par téléphone.

2. Sondage IFOP réalisé pour Dimanche Ouest France du 1er au 2 avril 1999 par téléphone.

Initialement conçue par l’état-major de l’OTAN comme devant faire plier le gouvernement de Slobodan Milosevic en quelques jours seulement, la campagne de bombardements aériens alliés s’est heurtée à une détermination serbe plus forte que prévue et s’est installée dans la durée. Après quatre semaines de bombardements intensifs, largement couverts par les médias, cette résistance du régime de Belgrade a été interprétée comme le signe d’un échec de la stratégie des alliés par 64 % des Français (3). 

Mais face à ce constat d’échec ou de résultats insuffisants, et ceci montre bien que cette guerre était perçue comme juste et légitime, ce n’est pas tant un arrêt des opérations, mais plutôt leur amplification qui était majoritairement attendue par les Français. Comme on peut le voir sur le tableau suivant, une part croissante de la population s’est déclarée ainsi en faveur d’une intervention terrestre de l’OTAN au Kosovo si les frappes aériennes s’avéraient insuffisantes pour faire cesser les massacres.

Dans le même ordre d’idées, une majorité franche (56%) adhérait au moment à l’idée selon laquelle "il fallait poursuivre l’intervention militaire tant que les Serbes n’acceptent pas les conditions posées par l’OTAN" contre 42% qui estimaient qu’"il fallait cesser les bombardements et engager immédiatement les négociations avec Milosevic".

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3. Sondage IFOP réalisé pour l'Express et France 2 le 19 avril 1999 par téléphone

2. 2001-2012 : L’Afghanistan, la crainte de l’enlisement et la recherche d'une légitimité 

Engagée dans le sillage des Etats-Unis contre le régime taliban en 2001, l’intervention française en  Afghanistan, dont les opérations ont coûté la vie à 88 militaires à ce jour, constitue la plus importante  mission, en hommes et en moyens, endossée par nos armées depuis la première guerre du Golfe. Lors  des  premiers combats d’octobre 2001 et avant que les soldats français ne foulent le sol d’Afghanistan, une majorité de Français exprimait son soutien à l’opération voulue par l’administration Bush et entérinée par le conseil de Sécurité des Nations-Unies : 55% des personnes interrogées se déclaraient alors favorables à l’engagement français en Afghanistan, soutenant l’ambition de voir chuter le régime taliban de Kaboul et plus largement de lutter contre le terrorisme international. 
A l’instar de la plupart des conflits s’inscrivant dans la durée, la vigueur du soutien populaire "à l’arrière" a constitué depuis onze ans un défi pour les états-majors et les forces politiques. Au gré des pertes françaises, des dommages collatéraux et des difficultés à rendre visibles en France les résultats d’un conflit lointain, le soutien des Français à l’intervention militaire dans cette région du globe n’a cessé de faiblir. Ainsi, l’approbation de l’opinion a été plus que réduite par deux en dix ans, pour atteindre 24% lors de la dernière mesure effectuée en août 20114. Entre temps et graduellement, la part de Français favorables à la guerre n’a cessé de décroître : 36% soutenaient encore l’engagement français en août 2009, 29% en juillet 2010, 28% en février 2011 et donc 24% en août 2011. Il convient de noter que la dégradation du soutien a notamment fait suite aux nombreuses pertes françaises après 2008, année de l’embuscade de la vallée d’Uzbin ayant coûté la vie à 10 de nos soldats et ayant marqué un tournant stratégique et une intensification du conflit : pour mémoire, 14 soldats français sont tombés avant 2008, 74 depuis lors.

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4. Sondage Ifop pour L’Humanité, réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 17 au 19 août 2011 auprès d’un échantillon national représentatif de 1001 personnes âgées de 18 ans et plus.

Le recul du soutien du public peut notamment s’expliquer par le sentiment qu’un risque d’enlisement pesait sur nos troupes (87% des Français partageaient cette idée en août 2011) et que la situation sur place, jugée complexe, exposait trop nos soldats (94%). Surtout, alors qu’en 2001, quelques semaines après les attentats du 11-septembre, la lutte contre le terrorisme international avait servi à légitimer la guerre, seuls 44% des Français considéraient encore en 2011 que la présence française en Afghanistan était nécessaire et utile pour lutter contre cette menace. Entre temps, le régime taliban est tombé, le terrorisme s’est recomposé et rien ni personne n’a su empêcher les drames de Londres ou de Madrid. Autre argument mis à mal, l’apport de la France pour faire progresser la démocratie en Afghanistan n’est plus reconnu en 2011 que par 38% des sondés contre 42% en 2009. Au final, et d’autant plus que les Français redoutaient l’enlisement et l’exposition inutile des troupes à des menaces mal identifiées, la lutte contre le terrorisme et pour la démocratie ne s’imposait plus comme un motif d’intervention suffisamment valable pour être perçu comme légitime.

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de constater que 75% de nos concitoyens approuvèrent en août 2012 la décision de François Hollande de retirer d’ici la fin de l’année, les forces françaises combattantes d’Afghanistan (5).

En écho aux doutes de l’opinion publique française, nos alliés ont-ils eu la même perception des enjeux afghans ? En février 2011, l’Ifop a interrogé en parallèle Français et Américains (6), cette étude montrant que l’intensité du soutien au conflit se maintenait à un niveau nettement plus important outre-Atlantique. Ainsi 50% des Américains interrogés se déclaraient favorables à l’intervention militaire américaine en Afghanistan, contre 28% des Français. S’il était très supérieur à celui relevé en France, le niveau de soutien des Américains s’érodait toutefois, puisqu’il atteignait 57% deux ans plus tôt, en août 2009. Pour rappel, les Etats-Unis déployaient en 2011 plus de 90 000 soldats sur place, et la guerre avait déjà provoqué la mort de plus de 2 000 d’entre eux depuis 2001. Au sein de l’opinion publique américaine et dans le détail, le soutien apparaissait plus marqué chez les républicains (65%), au pouvoir au moment du déclenchement de la guerre en 2001, que chez les démocrates (46%).

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5. Sondage Ifop pour Le Figaro, réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 6 au 8 août 2012.

6. Sondage Ifop pour L’Humanité, réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 9 au 14 février 2011.

En dépit d’un niveau de soutien assez inégal, Américains et Français partageaient toutefois en 2011 deux idées majeures quant au conflit : 92% des Américains (et 90% des Français) estimaient que la situation en Afghanistan était très difficile et que les troupes occidentales y étaient très exposées, et pour 85% d’entre eux (88% en France), gardant sans doute en mémoire le traumatisme du Vietnam, il y existait un véritable risque d’enlisement des forces armées occidentales. La vraie différence de point de vue se situait donc ailleurs, en l’occurrence dans la légitimation des objectifs poursuivis par les troupes alliées : 60% des  Américains jugeaient que la présence militaire en Afghanistan était nécessaire pour lutter contre le terrorisme international, quand seulement 44% des Français partageaient ce point de vue. En outre, une majorité d’Américains (54%) pensait que la guerre avait permis de faire progresser le pays vers la démocratie, un sentiment partagé par 35% des Français seulement, soit près de vingt points de moins. 

Toutefois, le regard de l’opinion publique américaine a évolué sur ces deux derniers points entre 2009 et 2011 : la nécessité d’employer la force pour lutter contre le terrorisme international a ainsi reflué de 6 points (de 66% à 60%), quand dans le même temps, l’impact de la guerre pour installer une démocratie n’était plus reconnu que par 54% des Américains en 2011, contre 59% en 2009.

Deuxième pourvoyeur de troupes en Afghanistan, le Royaume-Uni, qui a perdu plus de 400 hommes durant le conflit, exprime aussi en janvier 2010 un soutien à la guerre plus ferme que celui des Français. Interrogés en même temps sur la légitimité d’un renforcement de l’engagement (7), les Français sont alors deux fois moins enclins que leurs alliés Britanniques (41% contre 20%) à envoyer des forces supplémentaires. Notons que le retrait des 10 000 soldats britanniques est prévu pour la fin de l’année 2014.

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7. Sondage Ifop pour L’Humanité, réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 8 au 22 janvier 2010.

3. 2011-2012 : De la Libye à la Syrie

De mars à août 2011, la guerre en Libye, en grande partie engagée à l’initiative de la France, a bénéficié d’un soutien de l’opinion publique assez fort mais friable. Constituant une guerre de quelques mois, sans engagement de troupes au sol, sans pertes françaises et avec le succès opérationnel que l’on connaît, l’opération Harmattan n’a pas eu le temps de pâtir d’une vraie désapprobation des Français. Ainsi, aux premiers jours de l’opération (mars 2011), 66% des personnes interrogées se déclaraient favorables à l’intervention de la coalition militaire contre les forces du colonel Kadhafi, ce taux ayant très fortement progressé (+30 points par rapport à une mesure datant de début mars 2011) dans un réflexe l’union patriotique dès les premiers engagements d’avions français sur le terrain. 
A titre de comparaison, rappelons que 55% des Français soutenaient la guerre en Afghanistan en octobre  2001. Près de trois mois après le début des opérations aériennes lancées par la coalition occidentale, 55% des Français déclaraient encore être favorables à l’intervention militaire voulue par la France contre les forces loyalistes du régime libyen, 15% se disant même tout à fait favorables au conflit. Bien que dix points en deçà de la première mesure, réalisée aux prémices de la guerre, l’approbation de l’intervention semblait se stabiliser après l’érosion progressive des semaines précédentes. L’annonce en mai 2011 d’un renforcement des moyens, avec l’envoi d’hélicoptères de combat, témoignant de l’impact limité des frappes aériennes et d’un changement de stratégie des états-majors, ne suscitait donc pas, a priori, de renforcement du sentiment d’enlisement auprès de l’opinion. L’absence de pertes dans le camp de la coalition et de nombreuses victimes civiles "collatérales" lors des frappes ont donc maintenu le soutien de l’opinion à un niveau majoritaire pendant plusieurs semaines. 
Cette approbation deviendra de peu minoritaire à partir de juin 2011 (49%) et jusqu’en août, date de la dernière mesure (49%), deux mois avant la mort du leader libyen. Lors de cette dernière enquête, réalisée en août 2011 (8), on notait qu’en matière de proximité politique, l’opposition la plus marquée émanait des segments les plus « extrêmes » : les sympathisants LO et NPA d’une part, défendant plus volontiers une posture pacifiste, et ceux du Front National, plus isolationnistes, d’autre part. A l’inverse, les hommes (56% de soutien), les personnes âgées de 65 ans et plus (54%) et les soutiens de l’UMP et du MoDem (65% et 64%) ont été les catégories de population soutenant le plus l’intervention militaire de la coalition. 
Le soutien à l’engagement en Libye, du moins celui mesuré aux premiers jours du conflit, se distingue comme le plus populaire depuis la guerre en Bosnie en 1994 (68%). Il se situe ainsi à un niveau supérieur à celui mesuré pour une intervention au Darfour en 2007 (55%), au Kosovo en 1999 (58%), et plus encore s’agissant du conflit en Irak en janvier 2003 (19%), conflit très impopulaire à l’époque et pour lequel la 
France a refusé son concours. Seules deux interventions, au cours des vingt dernières années, ont été davantage encouragées dans l’opinion publique que la guerre en Libye : il s’agit de l’opération "Restore Hope" en Somalie en 1992 (82%) et de la Bosnie-Herzégovine en 1994 (68%).
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8. Sondage Ifop pour L’Humanité, réalisé par questionnaire auto-administré en ligne du 2 au 5 août 2011 auprès d’un échantillon national représentatif de 1001 personnes âgées de 18 ans et plus.
Contrairement aux différences de soutien relevées s’agissant de l’Afghanistan, en juin 2011(9), l’interrogation en parallèle des Français et des Britanniques témoignait d’un niveau de soutien au conflit en Libye relativement proche entre la Grande-Bretagne et la France (54% contre 49%). 
Au final, l’approbation par l’opinion publique de l’intervention de la France en Libye n’a eu de cesse de s’éroder, mais est restée importante jusqu’au bout, profitant d’une guerre courte et sans dommage pour nos troupes. L’opération en Libye s’inscrit donc comme l’antithèse de l’Afghanistan, et c’est avec, à l’esprit, ces deux conflits très différents que se posa ensuite pour les Français la question de l’intervention en Syrie.
La question d’un engagement armé des forces internationales en Syrie a été régulièrement mise à l’agenda diplomatique, mais est restée suspendue à plusieurs éléments, dont l’échec éventuel du plan de paix des Nations-Unies. Quoi qu’il advienne, en juin 2012, l’opinion publique française se montrait tout juste majoritairement favorable à une intervention sous l’égide de l’ONU (52%)10, mais semblait nettement plus rétive à l’idée d’un engagement de la France sur ce nouveau front (42%). L’adhésion de l’opinion française à une intervention militaire des Nations-Unies en Syrie a de surcroît sensiblement reculé entre mai et juin 2012 (-6 points). On peut relier ce tassement dans l’opinion à l’absence de résultats probants émanant des négociations diplomatiques, à la sensation que les gouvernements tergiversent, à la prise de conscience de la puissance de feu du régime de Bachar el-Assad et à la complexité des enjeux sur le terrain.
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9. Sondage Ifop pour L’Humanité, réalisé par questionnaire auto-administré en ligne, du 21 au 28 juin 2011.
10. Sondage Ifop pour Atlantico.fr, réalisé par questionnaire auto-administré en ligne en France, en Allemagne, en Espagne et en Italie du 18 au 21 juin 2012. 
En termes de proximité politique, on note que les sympathisants de l’UMP (56%) et du PS (60%) s’entendaient sur la nécessité d’un engagement en Syrie, les plus réticents se comptant parmi les personnes se déclarant proches d’Europe Ecologie-Les Verts (44%), sans doute culturellement plus pacifistes, et du Front National (42%), pour leur part plus isolationnistes.
Lorsque l’on compare ces résultats avec ceux obtenus chez nos voisins, l’adhésion européenne à un engagement armé des Nations-Unies en Syrie apparaît tout d’abord inégale. En juin 2012, les Espagnols (65%) et les Français (52%) étaient majoritairement favorables à une telle intervention militaire, à l’inverse de leurs voisins allemands (45%) et italiens (43%). L’écart de positionnement entre la France et
l’Allemagne ou l’Italie n’était toutefois pas si marqué, puisque 21% des Français y étaient "tout à fait favorables", contre 18%, soit un score relativement proche, chez nos deux voisins. En revanche, l’opinion espagnole se singularisait donc en se prononçant plus nettement en faveur d’une intervention sous l’égide des Nations-Unies.
L’instabilité régionale et les incertitudes qui pèsent sur l’issue du conflit syrien inspirent donc la méfiance des Européens, surtout si l’engagement impliquait la présence de leur propre pays. Ainsi, environ deux tiers des Italiens (68%) et des Allemands (64%) ne voulaient pas que leur pays intervienne directement, contre 58% des Français. De plus, relativisant ainsi leur soutien à un engagement militaire de l’ONU, les Espagnols s’opposeraient à 56% à une participation de leur propre pays…
Parmi les hypothèses pouvant expliquer les écarts du niveau de soutien d’un pays à l’autre, le souvenir de l’engagement en Libye et les contextes politiques divergents constituent des éléments à prendre en compte. Il est probable que les populations interrogées dans ces quatre pays aient été inégalement conscientes des coûts, en hommes comme en moyens, qu’un tel conflit suppose : l’Espagne a par exemple engagé un peu moins de moyens militaires en Libye ou en Afghanistan que les trois autres pays. De manière générale, et justifiant sans doute la réticence des Européens, la montée en intensité des combats n’avait pas particulièrement affaibli le régime de Bachar el-Assad à l’époque. En outre, primait sans doute le sentiment que plus le conflit s’installait, à l’image de l’Afghanistan, plus la probabilité d’une guerre longue et donc à l’issue incertaine se développait. Pour autant, dans le détail, et dans ces quatre pays, certains profils se distinguaient comme soutenant plus particulièrement l’idée d’une intervention en Syrie : le  soutien des opinions publiques européennes s’avérait avant tout masculin et plus marqué parmi les catégories socioprofessionnelles supérieures, traditionnellement plus impliquées dans les problématiques internationales, quand les milieux populaires, globalement moins favorables à la guerre, se focalisaient davantage sur les problèmes nationaux. 

4. 2013 : François Hollande engage la France au Mali puis en Centrafrique

De par son aspect spectaculaire et de par son fort retentissement médiatique, l’intervention militaire française au Mali a fortement marqué l’opinion publique. Ainsi selon le Tableau de Bord Ifop/Paris Match des conversations des Français du mois de février 2013 (11), 79 % de nos compatriotes en ont parlé avec leurs proches, faisant de ce thème le sujet de conversation le plus répandu sur la période. Parallèlement à ce fort écho, cette intervention a rencontré un très large soutien dans la population. A la suite des succès rapides enregistrés sur le terrain par les troupes françaises et de la visite réussie de François Hollande à Bamako et Tombouctou, l’approbation de l’intervention militaire au Mali a ainsi atteint 73 % sur la période du 4-6 février, soit huit points de plus que les 17-18 janvier et dix points de plus que lors de notre première mesure effectuée les 12 et 13 janvier, au lendemain des premières frappes aériennes. Parallèlement à cette hausse, l’intensité de l’adhésion a également progressé puisque les "tout à fait favorables" sont passés de 20 % à 27 % en quinze jours quand la proportion des personnes "pas du tout favorables" reculait de 16 % à 9 %.
Jamais depuis le début de l’intervention militaire en Somalie en décembre 1992, une opération extérieure n’avait bénéficié d’un tel soutien. Autre fait marquant, alors que l’adhésion s’était érodée assez rapidement lors de l’intervention en Libye en 2011 (-8 points en 2 semaines et -12 points en un mois et demi), le mouvement observé est donc inverse concernant l’opération au Mali, qui a rencontré, il est vrai, un succès rapide sans perte importante dans les rangs français. On notera néanmoins que le soutien a par la suite quelque peu reflué par rapport au "pic" atteint lors du déplacement du président de la République, début février 2013.
Dans le détail, on constate que les hommes soutiennent davantage l’intervention que les femmes (68% contre 51%), comme lors de tous les précédents conflits. De la même façon, l’adhésion à l’opération Serval est plus le fait des personnes plus âgées que des plus jeunes (62% parmi les plus de 35 ans contre 49% parmi les moins de 35 ans). Enfin les CSP+ (cadres, professions libérales) sont davantage favorables à cette intervention que les ouvriers et les employés (61% contre 51%). Pour les plus jeunes, pour les milieux populaires et pour les femmes, dans une situation plus précaire et plus inquiets vis-à-vis de leur quotidien, l’opportunité d’une telle intervention apparaît moins visible. Par ailleurs, et contrairement aux usages habituellement observés, il est intéressant de constater que, sans doute en partie sous l’effet d’un réflexe partisan, les personnes proches du PS soutiennent davantage l’intervention que les sympathisants UMP (77% contre 56%).
Alors que le soutien de l’opinion à l’intervention de la France en République Centrafricaine s’érodait, mesure après mesure, depuis l’envoi des premières troupes en décembre dernier, le sondage réalisé entre le 7 et le 13 mai par l’Ifop pour L’édition du soir montre que ce soutien est remonté de façon tout à fait significative. Quand, fin février, seuls 42% des Français se disaient favorables à cette opération militaire (soit 9 points de moins par rapport au début de l’intervention), ils sont désormais 48% à la soutenir.
Cette progression de 6 points est assez inédite, dans le cas d’une intervention armée, puisque, dans la plupart des cas, le soutien de la population s’effrite au fur et à mesure que le conflit perdure et semble s’enliser. C’est d’ailleurs bien ce qu’on observait jusqu’à présent concernant l’intervention en Centrafrique, dont le soutien était déjà très timide dès le départ (seul un peu plus d’un Français sur deux y était favorable en décembre).
Ce renouveau d’adhésion à l’intervention armée de la France dans ce pays d’Afrique subsaharienne, particulièrement marqué chez les Français appartenant aux catégories sociales supérieures (59% des cadres supérieurs et professions libérales contre 43% des employés et ouvriers) et chez les sympathisants de gauche (70% des sympathisants du PS contre 39% des sympathisants de l’UMP et seulement 30% des sympathisants du FN), s’explique sans doute à la fois par l’absence de nouvelles pertes parmi les troupes françaises engagées sur place mais aussi par la recrudescence des
violences dans ce pays et dans la région, en particulier avec l’enlèvement la semaine dernière (c’est-à-dire pendant la réalisation de l’étude) de plus de deux cents lycéennes au Nigeria par l’organisation terroriste Boko Haram.
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1. Sondage réalisé pour Atlantico auprès de 950 personnes représentatif de la population française âgée de 18 et plus du 6 au 7 décembre 2013.
2. Sondage réalisé pour Dimanche Ouest France auprès de 1002 personnes représentatif de la population française âgée de 18 et plus du 11 au 13 décembre 2013.
3. Sondage réalisé pour Sud-Ouest Dimanche auprès de 1001 personnes représentatif de la population française âgée de 18 et plus du 27 décembre 2013 au 2 janvier 2014.
4. Sondage réalisé pour Sud-Ouest Dimanche auprès de 1001 personnes représentatif de la population française âgée de 18 et plus du 24 au 25 février 2014.

5. Le cas irakien

En mars 2013, un sondage ifop pour atlantico révèlait que 61% des Français étaient opposés à la livraison d'armes aux rebelles syriens ; seuls 26% d'entre-eux soutennaient cette idée. 

Si aucune enquête d'opinion n'a été réalisé sur le cas irakien, dans lequel Laurent Fabius a demandé à l'Union européenne de livrer des armes aux combattants kurdes, un certain nombre de points de ressemblance peuvent être établis. Tout d'abord, une partie de l'armement dont disposent les islamistes en Irak sont des prises de guerre faites sur les stocks de l'armée irakienne. Ainsi, fournir des armes aux Kurdes présente le risque qu'elles tombent aux mains des islamistes. Par ailleurs, la Syrie et l'Irak sont des pays voisins et politiquement instables. Ce qui devrait inciter l'opinion française à être prudente. Il n'est pas évident que l'opinion soit favorable à une livraison d'armes, donc.

En revanche, d'autres éléments sont différents relativement à la situation en Syrie. Aujourd'hui en Irak la situation peut paraître plus claire que ce que nous avons connu en Syrie. L'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) est clairement identifié comme la force politique qui massacre des civils. Les troupes kurdes sont pour leur part présentées médiatiquement sous un jour beaucoup plus positif. Elles protègent comme elles le peuvent les minorités pourchassées et apparaissent comme plus organisées.

Bachar al-Assad était lui du côté des oppresseurs, avec en face des rebelles modérés mais qui comptaient également dans leur rangs des islamistes. Aussi, des exactions étaient commises de part et d'autre. La situation n'était pas aussi manichéenne qu'elle nous apparait aujourd'hui dans le cas de l'Irak. 

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