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"L'islam modéré" de la Ligue islamique mondiale (LIM) : mensonge pieux, ruse de guerre ou sujet d'espoir ?
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP

Géopolitico-Scanner

Alexandre del Valle revient cette semaine sur la Ligue islamique mondiale et sur le rôle du Secrétaire général de l'organisation, Mohamed Al-Issa, ainsi que du dirigeant de l'Arabie saoudite, Mohamed Ben Salmane.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Bientôt à nouveau de passage en France, le Secrétaire général de la Ligue islamique mondiale (LIM) Mohamed Al-Issa, qui semble avoir convaincu des responsables politiques français et nombre d'Occidentaux, ne cesse d'affirmer que la LIM a changé et qu'elle appuie un "islam modéré". Et Mohamed Ben Salmane (MBS), le prince héritier saoudien aux méthodes expéditives (affaire Khashoggi), mais réputé "réformateur", semble vouloir réformer son pays et dénonce le fanatisme et le jihadisme. Mais ni l'un ni l'autre n'ont remis en questions les textes officiels coraniques, chariatiques, jurisprudentiels, qui légitiment la violence et l'intolérance propres au salafisme wahhabite, l'islam fondamentaliste en vigueur dans le Royaume saoudien et exporté à coups de pétro-dollars partout dans le monde, tel un virus idéologique, depuis des décennies. 

Le 26 septembre dernier, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale (LIM), Mohamed Al-Issa) avait suscité la polémique en participant à l'inauguration, à Lyon, de l'institut français de civilisation musulmane (IFCM) au côté de Christophe Castaner et d'élus lyonnais. La présence de cet homme politique saoudien a fait polémique non seulement parce qu'il est en charge de l'instrument majeur de diffusion du poison salafiste-wahhabite dans le monde depuis des décennies, mais aussi parce qu'Al-Issa, lorsqu'il était ministre de la Justice du Royaume en 2012, avait permis la condamnation à 1000 coups de fouet et 10 ans de prison de Raif Badawi, le jeune défenseur des droits de l'homme et célèbre blogueur saoudien d'ailleurs toujours incarcéré au moment où nous écrivons ces lignes. La présence d'Al-Issa en France avait été justifiée par l'inauguration officielle de l'IFCM dans le cadre d'une tournée du secrétaire général de la LIM. La polémique avait fait tellement rage qu'Emmanuel Macron annula sa présence à un autre événement qui devait réunir de hauts responsables juifs, chrétiens et musulmans, dont Al-Issa à l'occasion de la Conférence internationale de Paris pour la paix et la solidarité. En réalité, la présence de ce haut dignitaire saoudien-wahhabite était logique, surtout à Lyon, où la Grande Mosquée est depuis des années soutenue par l'Arabie saoudite et la LIM. Rappelons que la Ligue islamique dépense 1,5 million d'euros annuels pour entretenir l'Institut d'ailleurs situé juste à côté de la mosquée de Lyon. D'après Kabtane, le Recteur de la mosquée de Lyon, le Saoudien aurait tenus des "propos intéressants". Et une grande voix de l'islam modéré comme Ghaleb Bencheikh, patron de la Fondation de l’islam de France, assure que l'Homme aurait changé et que la LIM serait bien plus modérée qu'auparavant. “Mohamed Al-Issa a tenu des propos sans équivoque condamnant notamment le terrorisme et toutes formes de violence au nom de Dieu. Il a changé et reconnaît ses erreurs du passé”, a affirmé Ghaleb Bencheikh. Un avis que ne partage pas du tout Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris et alors président par intérim du CFCM, lui aussi adepte d'un islam modéré, et qui a officiellement dénoncé “l’instrumentalisation du dialogue interreligieux dans notre pays par des organisations étrangères" comme un "fait grave". Certes, ses détracteurs rétorquent que la Mosquée de Paris est soutenue par l'Etat algérien, mais le Recteur Boubakeur répond à raison que la mosquée de Paris n'agit jamais en outil de puissance algérien ou de façon communautariste et a au contraire toujours œuvré en faveur d'un islam de France, en bonne intelligence avec les autorités républicaines françaises, contrairement aux autres pôles fréro-salafistes, turco-né ottomans, tablighis ou même marocains. 

Réel changement? On aimerait y croire... mais on est encore loin d'un aggiornamento

Pour prouve que l'Institution saoudienne aurait changé, Mohammed Al-Issa a déclaré par exemple lors de sa dernière venue en France qu'« un musulman qui ne respecte pas les lois de la République ne pratique pas l’islam authentique ». Dans plusieurs interviews accordées à la presse française, Al-Issa a confirmé que la nouvelle politique de son pays - depuis que les rênes du pouvoir ont été prises par le prince-héritier Mohamed Ben Salmane - serait de promouvoir un islam plus modéré, rappelant notamment que d'après le texte officiel de "la charte de La Mecque" signée en mai 2019 par la LIM avec 1 200 savants de tous les pays, "l’essence des religions est le bien de l’humanité, non la guerre ou la confrontation entre cultures ou civilisations. Leur but est d’assurer la sécurité et la stabilité, la miséricorde pour les êtres humains et entre eux". Des propos étonnants de la part d'un Royaume dont le virus idéologico-religieux wahhabite-salafiste a littéralement inondé le monde musulman depuis les années 1970 jusqu'à défigurer l'islam jadis plus modéré de nombreux pays d'Asie, d'Afrique (Mali, Burkina, Somalie, Maghreb, etc) au profit d'un islam "standardisé" salafiste foncièrement totalitaire et obscurantiste dont s'inspirent les jihadistes qui ne viennent pas de nulle part. On se souvient que depuis la guerre d'Afghanistan contre les Soviets jusqu'à la création de DAESH, ce salafisme-wahhabite qui a fini certes par échapper à ses créateurs est devenu avec l'idéologie des Frères-musulmans une véritable "matrice" du totalitarisme dans ses versions "piétistes", étatiques comme jihadistes. D'ailleurs, lorsque Mohamed al-Issa affirme que l'Islam ne permet la violence qu'au nom du "principe de défense" et que le fanatisme et l’extrémisme seraient issus d’une "interprétation fallacieuse des textes qui ne seraient pas propres à l’islam", on préfère en effet cet islam capable d'interpréter et de contextualiser et on aimerait bien sûr le croire, mais on a du mal à être convaincus non pas de sa sincérité personnelle mais de celle de son pays où les textes de l'école juridique hanbalite, (source du wahhabisme/salafisme, foncièrement chargés d'intolérance, de violence et de haine, ont fanatisé et continuent de fanatiser des générations de Saoudiens, de pèlerins et de musulmans venus "se former" en Saoudie. Ces millions de musulmans qui ont été "salafisés" depuis des décennies dans ce Royaume wahhabite y ont appris dans équivoque que le dit "jihad-défensif" commence dès que le non-musulman exerce un prosélytisme (donc sa liberté de culte) en milieu islamique, ce qui en fait un "ennemi" de l'islam, et que la peine prévue pour l'apostasie ou le blasphème est la mort. Lorsqu'il affirme dans un entretien que "Toutes les religions ont connu ces dérives : il suffit de regarder l’histoire. Certaines personnes, parmi les combattants de Daech, sont malades psychologiquement. D’autres ont suivi cette tendance en raison de problèmes économiques ou sociaux", cela ne correspond pas à la réalité: le judaïsme et ses rabbins même orthodoxes ont-ils jamais lancé des raids de conversion ou organisé des décapitations de musulmans, d'athées, de païens ou de chrétiens coupables d'exercer leur liberté de culte en Israël ou ailleurs? Les croisades chrétiennes elles-mêmes ne sont pas à mettre sur le même plan que les siècles de jihadisme, de pillages-conquêtes et autres pirateries arabo-berbères  ou turco-ottomanes pour la bonne raison que les chrétiens ont déclenché les croisades en Proche-Orient plus de quatre siècles après les premières conquêtes islamiques de terres chrétiennes (711, Espagne). On se demande par ailleurs si l'homme fait semblant d'ignorer le corpus wahhabite qui prescrit l'inégalité entre religions, le jihad contre les Infidèles, les châtiments corporels, les peines de mort pour apostats, "blasphémateurs" ou prosélytes non-musulmans. Dire que les violences au nom de l'islam sont étrangères aux textes sacrés et au corpus islamiques orthodoxes revient à exonérer le salafisme de toute remise en questions. 

Un œcuménisme fondé sur les bases bancales du dialogue de dupes

Le 17 septembre dernier, à l’issue d’une conférence pour la paix organisée à Paris par la LIM, Al-Issa a signé un « mémorandum d’amitié » avec le grand rabbin de France Haïm Korsia et François Clavairoly au nom du Conseil d’Églises chrétiennes de France. Cet acte œcuménique peut paraître sympathique. Peut-être que le Secrétaire de la LIM l'a signé dans un sincère esprit réformiste ou de dialogue interreligieux, mais d'un point de vue géopolitique, rien ne compte plus que la réalité des faits, or en Arabie Saoudie, les religions non-musulmanes sont interdites aux musulmans, passibles de la peine de mort s'ils choisissent leur religion. Le wahhabisme salafiste, qui y règne en maître, punit de mort l'apostasie, l'athéïsme et le polythéisme. Un autre geste a surpris les uns et touché les autres: lorsque le dignitaire saoudien a rendu hommage au père Jacques Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray le 15 décembre dernier, ville normande devenue, trois ans après l’égorgement de ce père dans sa propre église par deux jihadistes abreuvés de salafisme-wahhabite, un lieu de pèlerinage informel. D'un côté, on peut saluer la venue d'un leader religieux wahhabite dans cette ville du martyr Hamel. De l'autre, sachant qu'en Arabie saoudite l'on enseigne toujours la légitimité du Jihad et la haine envers les juifs ou les chrétiens trinitaires prosélytes et sachant que l'on fait toujours tuer (pendaison, crucifixion, égorgement) les "ennemis de l'islam" et autres "blasphémateurs" ou "apostats", on peut aussi voir dans cette visite (qui ne s'accompagne d'aucune remise en question ni réforme théologique des textes religieux islamiques-wahhabites qui permettent la violence), une marque d'hypocrisie ou de duplicité frisant la provocation.  

De qui se moque-t-on? 

La Conférence internationale pour la paix et la solidarité entre juifs, chrétiens et musulmans (sous-titre : « Un engagement commun au service de l’homme ») a été organisée par la Fondation de l’islam de France, institution reconnue d’utilité publique, créée en 2016 par Bernard Cazeneuve dans le but officiel de favoriser « l’affirmation d’un islam humaniste, d’un islam de France qui reconnaît les valeurs et principes de la République », avec à sa tête le très cultivé et modéré Ghaleb Bencheikh, nommé président fin 2018 à la suite de Jean-Pierre Chevènement. On peut justement se poser la question suivante: comment une institution vouée à la création d'un "islam modéré" avec à sa tête un érudit musulman reconnu comme ouvert et éclairé peut-il collaborer avec la Ligue islamique mondiale, qui a dépensé 80 milliards de dollars en 50 ans pour propager l'idéologie totalitaire salafiste dans le monde? Une multitude de recherches universitaires et des milieux du renseignement ont prouvé que depuis sa création à La Mecque, en 1962, la LIM n'a jamais rien fait d'autre que de lutter contre le réformisme musulman, jugé "apostat", et contre les pôles modérés de l'islam. On se souvient qu'en France, en 2006, la LIM avait poursuivi aux côtés de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF, Frères-musulmans) et de la Grande Mosquée de Paris (qui est revenue sur cette position depuis, sur demande de Dalil Boubakeur, réellement modéré) la revue Charlie Hebdo en raison des "caricatures de Mahomet", ceci alors même qu'en France, le délit de blasphème, propre à une vision chariatique totalitaire de l'islam ne peut être sanctionné par la loi puisqu'il y est au contraire un droit fondamental lié à la liberté d'expression et à la laïcité.  

Il est vrai que depuis l'accès au pouvoir du roi Salman en 2015, lequel a déjà mis de facto à la tête du pays son fils préféré et nouveau prince-héritier ¬Mohammed ben Salman en 2017, l'Arabie saoudite "moderne" chère à MBS, adepte de la "vision 2030", a introduit des réformes : les femmes ont acquis le droit de conduire, même si nombre des militantes pro-Permis sont en prison, elles peuvent aller au stade et sortir seules sous certaines conditions. Les cinémas et parfois les salles de concerts sont à nouveau autorisées. Le tourisme est en pleine expansion et les zones high Tech et autres clusters ultra-modernes sont en construction avec à la clef une volonté du prince de mieux former et mettre au travail tous les Saoudiens... Vaste programme. En janvier 2020, la Ligue islamique du même Alissa a même reçu une délégation juive, une véritable révolution, et son Secrétaire général apparemment devenu un croisé contre l'antisémitisme, a prévu un voyage à Auschwitz en janvier 2020, à l'occasion du 75e anniversaire de la libération des déportés... Difficile à croire, même si cela va bien sûr dans le bon sens. Mais aucune de ces belles paroles et rencontres n'a été assortie d'une remise en question des textes officiels de l'islam sunnite qui incite à haïr les non-musulmans et tuer les apostats ou les non-musulmans prosélytes ou non-soumis. Au contraire, wahhabisme est systématiquement dédouané par l'affirmation-manipulation selon laquelle cette doctrine salafiste officielle n'aurait "jamais enseigné pareilles horreurs imputables aux seuls "ignorants" ou "dérangés" et aurait toujours été "mal interprété pour salir l'islam". Mohammed Alissa n'a-t-il pas été, de 2009 à 2015, donc jusqu'à une période récente, ministre de la Justice? A-t-il cherché à empêcher les exécutions publiques de 149 personnes sauvagement massacrées sur les places publiques en 2018, 140 en 2019? dont un crucifié? A-t-il seulement dénoncé ces exécutions barbares et leurs fondements juridiques? Rappelons tout de même que pour les cas "graves" d'apostasie", un musulman peut être crucifié en Saoudie après décapitation, son corps pourrissant sur une poutre au soleil durant des jours... N'oublions pas aussi que si l'Arabie a condamné (dans le cadre de rivalités avec les Frères-Musulmans du Hamas aidés par l'Iran chiite et le Qatar frère-ennemi) le terrorisme palestinien, surtout, mais aussi parfois DAECH et Al-Qaïda, pourtant en partie issus du wahhabisme, le grand mufti du Royaume saoudo-wahhabite, le cheikh Abdelaziz Al Cheikh, a réitéré l’âge du mariage pour les filles à 10–12 ans et a appelé officiellement en 2016 à détruire toutes les églises chrétiennes des pays du Golfe... Ces dispositions ont été certes contredites par le moderniste ou "despote-éclairé" Mohamed Ben Salmane, qui a annoncé l'ouverture d'églises et synagogues en Saoudie (en fait au profit exclusif d'étrangers non-musulmans), mais les Saoudiens n'ont pas plus qu'avant le droit de ne pas croire ou de choisir leur religion, ils ne peuvent être que musulmans, et l'apostasie, le prosélytisme chrétien ou le blasphème sont toujours interdits et punis de mort... 

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