Zones de forces électorales du FN : l'explication par les cartes<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Front national rencontre un certain succès dans le nord et le sud de la France. Photo d'illustration / Steeve Briois.
Le Front national rencontre un certain succès dans le nord et le sud de la France. Photo d'illustration / Steeve Briois.
©Reuters

Explication

La carte des résultats du Front national au premier tour des élections municipales montre à quel point le parti de Marine Le Pen bénéficie d'un fort ancrage sociologique et historique. Les explications de ce succès sont multiples et varient en fonction de la région.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Capture d'écran : France TV Info

Atlantico : La carte des résultats du FN au premier tour des élections municipales est frappante de par sa répartition nord-sud. Ce résultat est-il surprenant ? A quand cette tendance remonte-t-elle ?

Jean Petaux : Cette carte est très intéressante car elle est presque homothétique avec la carte du vote Le Pen le 21 avril 2002. Il faut toujours être très prudent dans les comparaisons en matière électorale surtout entre différents types d’élections. D’un côté le premier tour de la présidentielle 2002, de l’autre ce premier tour intervenu dimanche dernier pour les municipales 2014. A 12 ans de distance on constate que la méridienne "Nord-Pas-de-Calais – PACA" qui, globalement coupe la France en deux, du nord au sud, est quasiment inchangée. A l’est de cette ligne le FN réalise ses plus gros scores, à l’ouest il est plutôt en terre de mission. Cette permanence dans le temps est assez fascinante. Mais, désormais on constate une accentuation de la poussée du FN vers le sud : essentiellement en Languedoc-Roussillon et dans le couloir Garonnais où il montrait déjà une plus forte implantation, dès 2002, en Tarn-et-Garonne et en Lot-et-Garonne. Même si elle est encore très isolée dans cette partie de la France, Villeneuve-sur-Lot confirme cette tendance qui est lente et encore peu spectaculaire en termes de villes par exemple.

A quels éléments sociologiques cette concentration du vote FN aux municipales tient-elle ? Sont-ils les mêmes, au nord comme au sud ? Quel rôle joue la désindustrialisation, le mode d'habitat, le niveau social ?

Il serait peut-être plus juste de parler d’est et d’ouest compte tenu de la "ligne de partage" de la France qui est plus verticale et diagonale qu’horizontale…

››› À l’Est ‹‹‹

Bien sûr qu’au Nord comme au Sud de cette partie de la France les questions de la désindustrialisation, de la misère sociale et de son corollaire la désaffiliation sociale, de l’immigration, du sort réservé aux populations issues il y a deux voire trois générations désormais des fortes vagues d’immigrants dans ces régions en quête de main d’œuvre à l’époque, se posent avec une forte intensité. On pourrait également ajouter de manière plus "sectorisée" la présence d’un électorat "pied noir" (même si, pour des raisons évidentes propres à la démographie et à la pyramide des âges, cet électorat au sens strict des "Rapatriés d’Afrique du Nord" diminue inexorablement) en Languedoc-Roussillon par exemple (Perpignan, Béziers, voire Montpellier).

En Lorraine, pour les deux villes de Florange et de Forbach on constate précisément les effets d’une crise industrielle particulièrement violente pour les ouvriers sidérurgistes qui, par surcroit, ont vu l’un de leurs représentants emblématiques, Edouard Martin, leader ô combien charismatique de la CFDT à ArcelorMittal franchir le Rubicon syndicalo-politique et se présenter aux Européennes prochaines du 25 mai, avec l’étiquette PS. Impression d’abandon, sentiment de trahison, constats répétés de l’impuissance des politiques : le vote FN, à la fois tribunitien et sociologique est parfaitement cohérent. Comment en irait-il autrement pour les électeurs de ces territoires en plein marasme ?

››› À l’Ouest ‹‹‹

Les villes du  Nord-ouest de la France où le FN est en mesure de se maintenir au second tour sont assez peu nombreuses. Il faut toujours y voir un vrai rejet non seulement des idées mais tout simplement de l’étiquette FN par un électorat encore influencé par ce que Le Bras et Todd ont nommé une forme de "catholicisme zombie" dans leur dernier et passionnant ouvrage "Le Mystère français" (2013). La "révolte des Bonnets Rouges" ne s’est pas traduite dans les urnes par un vote massif en faveur du FN qui aurait pu en quelque sorte agréger électoralement cette émulsion sociale. C’est donc que la sédimentation socio-chrétienne que l’on a vu produire ses effets politiques il y  a 37 ans, en 1977, avec le "passage" de nombreuses villes de l’Ouest de droite à gauche (certaines risquant de repasser à droite, comme Angers, seulement cette année, encore que là aussi rien n’est acquis ni dans un sens ni dans un autre pour les listes en présence au 2nd tour dans la cité du Roi René), est encore très active et fonctionne comme un répulsif à l’égard du FN. On relèvera néanmoins, et c’est nouveau, plusieurs triangulaires ou quadrangulaires rendues possibles par un franchissement de la barre des 10% pour quelques listes "frontistes", montrant ainsi une forme de "progression tranquille" pour cette formation politique dans la France de l’Ouest.

Dans le sud-ouest cette fois-ci, on peut pointer la présence du FN dans plusieurs villes importantes de Gironde où est organisé un second tour : Mérignac, Libourne. À Pessac (autre grande ville de Gironde), la liste FN obtient 9,03% des suffrages exprimés et échoue de peu à se maintenir au second tour. Pour ce qui concerne la progression du FN dans ces "terres" où il est et demeure toujours "en mission", il s’agit d’un phénomène plus diffus et donc plus difficilement mesurable. En 2002, dans le Sud-ouest, le score de Jean-Marie Le Pen avait été impacté par un "produit masquant" (comme ce qui se passe pour les coureurs cyclistes qui veulent cacher qu’ils prennent une substance illicite), le vote CPNT (« Chasse, Pêche, Nature et Tradition »).

Lorsqu’on rapprochait en Aquitaine le score de Le Pen et celui de Saint-Josse (candidat « Chasseurs » à la présidentielle de 2002, et par ailleurs maire ex-UDF de Coarraze-Nay, en Béarn, 64), on constatait que là où Saint-Josse était fort (Landes, Pyrénées-Atlantiques et Dordogne), Le Pen était faible et là où le candidat CPNT était faible, le leader fondateur du FN était très fort jusqu’à être premier élu dans le département  du Lot-et-Garonne y obtenant 18,91% des suffrages exprimés ; Chirac 17,46% ; Jospin 15,74% et Saint-Josse seulement 9,26%. En 2012, avec la disparition d’un candidat CPNT à la présidentielle (le successeur de Jean Saint-Josse, Frédéric Nihous, ayant été circonvenu par Nicolas Sarkozy), "l’effet masquant" du vote "Chasseur" a cessé de produire ses effets et Marine Le Pen a augmenté considérablement son score par rapport à son père dix ans plus tôt où la candidate FN passe de 10,47%, score de son père en 2002 dans les Landes, à 14,10% en 2012 ou encore en Dordogne de 12,22% à 17,01%. ! Pour atteindre 21,41% en Lot-et-Garonne en 2012 sans toutefois dépasser dans ce département les scores respectifs de Hollande et Sarkozy. Le Sud-ouest n’est pas favorable au FN mais, une fois encore, cette formation politique accroit lentement mais sûrement son audience, avec des pics plus spectaculaires que révélateurs, tels Villeneuve-sur-Lot où le jeune Bousquet-Cassagne a, d’évidence, bénéficié de l’effet d’exposition qui fut le sien lors de la législative partielle suite à la démission de Jérôme Cahuzac de son siège de député.

En revanche, comment expliquer l'absence ou la quasi-absence de percées du FN au centre et à l'ouest du territoire ? A quels éléments cela tient-il ?

Je crois beaucoup à ce que l’on peut appeler une forme d’hystérésis des structurations du vote. En d’autres termes les causes ayant provoquées tel ou tel comportement ont pu totalement disparaître et le phénomène se produit toujours, comme une onde qui résonnerait longtemps après qu’on ait tapé sur un gong… Prenons l’exemple d’une certaine forme de résistance rurale, ouvrière et syndicale dans le Limousin avec un Parti Communiste Français très particulier qui était celui de Marcel Rigout, du journal "La Terre" et du syndicat communiste agricole MODEF (je ne veux pas du tout dire d’ailleurs que tout cela a disparu totalement mais c’était quelque chose de très fort dans les années 50, 60) et bien sans doute qu’encore aujourd’hui cette culture du refus de tout ce qui de près ou de loin rappelle les heures les plus sombres de l’histoire politique française au siècle dernier (la Collaboration, Vichy, etc), s’applique dans la formation du comportement électoral à l’égard du FN.

De la même manière dans les Pyrénées-Atlantiques et plus précisément au Pays-Basque où la sociologie religieuse du chanoine Boulard, en 1960, montrait des taux de "messalisants réguliers" de plus de 75% dans certaines communes associé à un vote centriste  (MRP puis CDS puis UDF et in fine MODEM) très élevé (surtout en 2007 pour François Bayrou, "quasi-régional" de l’étape bien que Béarnais..), on constate un vrai refus du FN qui ne parvient pas à franchir les digues mentales qui existent chez ces héritiers d’un électorat Démocrate-chrétien très hostile aux guignolades outrancières du père Le Pen et peu réceptif aux grandes œillades démagogiques de sa fille.

Et pourtant nul n’en disconviendra : les problèmes de l’agriculture de montagne dans ces territoires sont profonds et graves, le sentiment de désespoir conduit parfois au suicide des petits exploitants, mais les thématiques "frontistes" semblent être ici sur une terre totalement stérile. A contrario donc il faudra considérer une réelle progression du FN dans ces régions aujourd’hui encore hostiles à ses idées comme un indicateur fort de sa progression nationale et de l’extension de son domaine électoral jusqu’à maintenant contingenté à l’Est de la "méridienne du FN" de Hénin-Beaumont à Perpignan.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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