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La pulvérisation de pesticides aide à lutter contre la propagation du virus Zika
La pulvérisation de pesticides aide à lutter contre la propagation du virus Zika
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Épidémie de théories du complot

Le virus Zika est-il le fruit d’un complot gouvernemental pour prendre le contrôle des esprits ? L’épidémie a-t-elle été manigancée par les Illuminati ? Les vaccins sont-ils les vrais responsables de la microcéphalie ? Non, non, et non.

Samantha Allen

Samantha Allen

Samantha Allen est journaliste pour The Daily Beast.

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Copyright The Daily Beast – Samantha Allen (traduit par Julie Mangematin)

Le virus Zika est une réalité. Il cause vraiment des cas de microcéphalie et autres malformations congénitales. Et il n’a définitivement pas été inventé par la famille Rockefeller.

Pourtant, tandis que le virus continue à se répandre localement dans la région de Miami, les théories du complot concernant son origine se propagent aussi de façon très contagieuse. Pas plus tard que la semaine dernière, par exemple, des manifestants de Miami Beach se sont opposés à la pulvérisation d’un pesticide aérien lors d’une réunion du conseil municipal, sous prétexte que Zika ne serait pas à l’origine de la microcéphalie et que le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) serait sous l'influence des entreprises de pesticides.

Si ce problème n’est pas pris au sérieux, ces théories fantaisistes pourraient devenir une menace sérieuse pour la santé publique.

"Les théories du complot exposent les personnes les plus vulnérables, qui sont laissées à la merci de ces maladies", explique au Daily Beastle docteur Tara C. Smith, une épidémiologiste de l’Université d’Etat de Kent qui recense les théories du complot autour de Zika.

"Le comble de l’ironie", selon elle, est que les conspirationnistes tirent eux-mêmes profit de ces théories tout en prétendant dans le même temps qu’une cabale occulte de scientifiques et de responsables politiques amasserait de l’argent grâce à Zika.

Prenons par exemple la théorie récemment développée par le site web anti-vaccination Health Impact News selon laquelle le virus Zika serait "un chef d’œuvre de manipulation mentale de l’opinion publique". Dans un billet qui a déjà été partagé plus de 24 000 fois sur Facebook – avec tous les revenus publicitaires qui en découlent - l’écrivain John P. Thomas affirme catégoriquement, et à tort, que Zika "ne cause pas de microcéphalie". La vérité est selon lui bien plus sinistre.

"Si Zika pouvait être lié à des conséquences horribles comme la microcéphalie ou la paralysie par exemple, alors les gens insisteraient pour que l’on développe un vaccin anti-Zika et pour que chaque personne sur la planète soit vaccinée", écrit John P. Thomas : "Ils seraient prêts à abandonner les libertés individuelles élémentaires au bénéfice de la société, ce qui est toujours l’objectif des programmes de manipulation mentale".

Sa prédiction : "Zika va devenir un des outils de manipulation mentale utilisés par les personnes qui souhaitent contrôler l'opinion et par les élites dirigeantes, pour nous mener vers la vaccination de masse et vers un contrôle total du gouvernement sur nos vies."

Après 15 années passées à traquer les théories du complot qui tendent à se propager autour des épidémies de maladies infectieuses, Tara C. Smith reste imperturbable face à cette dernière thèse tirée par les cheveux.

"Plus rien ne me surprend", admet-elle : "Plus les preuves scientifiques s’accumulent, prouvant que Zika cause la microcéphalie et d’autres troubles neurologiques, plus les conspirationnistes doivent inventer des théories exotiques".

Pour être honnête, elles étaient dès le départ assez fantaisistes. Tara Smith a déjà démonté plusieurs théories de complot vraiment étranges sur son blog. L’épidémie actuelle de Zika est-elle imputable à des moustiques génétiquement modifiés manipulés par la société britannique Oxitec, comme l’ont suggéré des sites web tels que le site InfoWars dirigé par Alex Jones ? Non. Et d’ailleurs, comme Tara Smith l’a précisé au Daily Beast, "quiconque a écrit cela n’a manifestement pas dépassé le niveau des cours d’introduction à la biologie".

Est-ce que les vaccins causent la microcéphalie, comme le suppose précisément David Wolfe - qui est aussi partisan de la théorie de la Terre plate ? Non. Zika cause la microcéphalie. Est-ce que les Rockefellers ont inventé Zika "pour tuer des millions de gens" ? Allons.

Les théories du complot ont pris une telle d’ampleur que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a dû créer un site spécifique pour "dissiper les rumeurs autour de Zika et ses complications".

Concernant la théorie sur Oxitec, la FAQ anti-rumeur de l’OMS explique que "seuls les moustiques génétiquement modifiés de sexe mâle sont libérés dans la nature, il n’y a donc pas de risque de transmission aux humains, car seules les femelles piquent les humains". L’OMS rappelle aussi sans ambiguïté qu’"il n’existe aucune preuve reliant un quelconque vaccin à l’augmentation des cas de microcéphalie" qui a été observée au Brésil.

Mais pour les adeptes invétérés, les démentis publics émanant de sources respectables comme l’OMS ne font que crédibiliser les théories du complot.

"Je n’écris pas pour ceux qui sont absolument convaincus – ceux qui sont persuadés que j’agis sous la coupe de Big Pharma, simplement parce que j’écris à ce sujet", explique Tara Smith au Daily Beast. "Je sais que je ne parviendrai pas à les convaincre. Généralement, j’essaie de convaincre les personnes qui ont entendu parler de ces théories – parfois par des amis d’amis, ou par les réseaux sociaux – mais qui ne savent pas vraiment quoi en penser."

Bien que les théories complotistes impliquant des maladies infectieuses existent depuis des siècles, Tara Smith affirme qu’Internet a "facilité" leur propagation dans des cas comme Ebola ou Zika, en permettant à la désinformation de circuler instantanément entre les pays et les hémisphères.

Dans une étude publiée en mai par la revue Vaccine, une équipe de chercheurs des universités Johns Hopkins et George Washington a montré que les conversations sur Twitter, tout particulièrement, avaient participé à la diffusion des discours pseudo-scientifiques et anti-vaccin au cours de la première moitié de l’année 2016.

"Bien que les données scientifiques soient relativement claires, nous avons répertorié de nombreuses théories conspirationnistes qui pourraient affecter les décisions du public en matière de santé, comme celle de se faire vacciner ou non" a déclaré dans un communiqué de presse le docteur David Broniatowski, co-auteur de l’étude et professeur à l’Université George Washington. "Malheureusement, les personnes les plus affectées font partie des communautés les plus vulnérables, qui ont peu d’accès aux données factuelles".

Certaines de ces théories conspirationnistes sont très ancrées aux Etats-Unis. Selon une enquête du Annenberg Public Policy Center publiée en février, 22% des Américains estiment que l’épidémie actuelle de Zika a été causée par des moustiques génétiquement modifiés. La même enquête montre que 20% des Américains croient à tort que "les scientifiques pensent que les vaccins ont provoqué des cas de microcéphalie". Et malgré les preuves du contraire, 19% des Américains croient que "les scientifiques pensent que si une femme enceinte boit de l’eau aspergée avec le larvicide dédié à stopper la multiplication des moustiques, cela peut provoquer une microcéphalie".

Des mois se sont écoulés depuis cette enquête, mais comme le souligne le Dr Mark Dredze, auteur principal de l’étude publiée dans Vaccine et professeur à l’Université John Hopkins : "Une fois que les gens se sont forgés une opinion au sujet de quelque chose, il leur est difficile de changer d’avis."

Dans le pire des cas, ces théories peuvent convaincre les habitants de foyers infectieux comme Miami qu’ils doivent craindre les vaccins, les scientifiques, et le gouvernement plus encore que les coûteuses anomalies congénitales que Zika peut provoquer.

Le directeur du CDC, Dr. Thomas Frieden, a annoncé que les frais de prise en charge médicale d’un enfant microcéphale pouvaient atteindre entre 1 et 10 millions de dollars. Les personnes qui ne sont pas enceintes peuvent aussi faciliter la transmission de Zika à une femme enceinte via les rapports sexuels où bien en étant piquées par un moustique qui peut ensuite piquer une femme enceinte. Au fond, cela signifie que quiconque refuse de prendre le virus au sérieux expose par défaut ses concitoyens aux conséquences dévastatrices de sa croyance erronée selon laquelle Zika est sans conséquences.

Tara Smith explique ainsi au Daily Beast qu’en réalité, les individus qui propagent les théories conspirationnistes "laissent les personnes qui n’ont pas accès aux informations et qui parfois n’ont pas accès à la prévention à la merci d’une infection virale".

Mais Tara Smith assure que, quelle que soit la véhémence avec laquelle le CDC et l’OMS combattront la désinformation, les théoriciens du complot ne sont pas près de disparaitre.

"Ces gens existent, les théories du complot sont leur business, et ils excellent dans leur domaine", dit-elle. "Il y aura toujours un nouveau pathogène, une nouvelle peur dont il pourront profiter".

Dans le même temps, elle tient à ce que les irréductibles sachent que la réfutation de leurs théories n’est pas vraiment un business lucratif pour elle.

"Ils ne voient pas quel genre de voitures nous conduisons", plaisante-t-elle.

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