Wordle : ce que votre manière de jouer dit de vous<!-- --> | Atlantico.fr
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Une personne joue à Wordle sur son smartphone.
Une personne joue à Wordle sur son smartphone.
©Brandon Bell / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Stratégie

La viralité du jeu Wordle, la volonté de partager ses résultats et la stratégie utilisée lors des parties permet de déceler des traits de notre personnalité et de nos comportements au quotidien.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Dans le jeu Wordle, il faut, comme à Motus, deviner un mot de cinq lettres en six essais maximums, avec comme indication les lettres bien placées ou mal placées. Il existe un mode simple et un mode difficile. Dans le second, il faut impérativement replacer les lettres déjà identifiées dans sa suggestion suivante. Comment interpréter cette volonté de rajouter une contrainte supplémentaire ?

Pascal Neveu : Plus fort que le Sudoku et avec ces millions de joueurs Wordle, celà nous renvoie à la différence avec les jeux de société, car il existe de nombreux jeux avec niveaux de difficulté.

Jeux de réflexion, Super Mario, 50 cent Bulletproof, Aces Wild, Aliens, Blood… plusieurs centaines de jeux… qui nous renvoient à des statuts de débutant, intermédiaire, expérimenté ou expert.

Tout comme dans une entreprise on vous qualifie de junior, senior…

Mais tout comme les parties de flipper où on se « quantifiait » et « qualifiait » à travers des résultats, ou encore Angry Birds… et même un jeu de Mahjongg à 40 niveaux !

L’homme a besoin de se mesurer à lui-même et à l’autre.

L’homme est en soif de conquêtes.

Les Jeux Olympiques d’hiver viennent de débuter, et quel athlète n’a pas soif de dépasser un record ?

Dès notre enfance nous gagnons des points qui se transforment en images… nous sautons de plus en plus haut, de plus en plus loin… Les forces armées sont annuellement testées avec des contraintes et des scores qui augmentent.

Les nouveaux jeux en ligne ajoutent des contraintes qui ne sont en fait que celles que nous voulons transgresser, afin de nous affranchir de notre prison identitaire et devenir une sorte de Golem, créature inachevée, être humanoïde, qui se voue à un créateur qui lui en demande de plus en plus.

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Et vous, quel est le moment où vous avez réalisé que vous n'étiez plus jeune...?

Il y a à la fois la volonté de rentrer dans le Moi Idéal, de l’enfant qui voit dans le regard de ses parents celui qui devient fort… l’amour, la fierté, mais aussi ce que l’on retrouve chez les addicts aux jeux et au casino : l’affrontement face à la peur de tout perdre… le plaisir de vouloir gagner, cette jouissance qui se transforme en masochisme de tout perdre.

Une dualité entre la pulsion de vie et la pulsion de mort.

Certaines personnes choisissent de jouer à Wordle en mode facile, mais en s’imposant les contraintes du mode difficile dans leur tête afin de profiter du filet de sécurité du mode facile. Cela témoigne-t-il d’une autre facette de la personnalité des joueurs ?

Qui n’a pas voulu devenir le meilleur des meilleurs ?

C’est la question centrale qui amène à soit usurper son « statut », soit s’élever dans des « grades » supérieurs.

Il y a l’usurpateur et il y a le méritant.

Et les scores, diffusions et revendications sur les réseaux sociaux amplifient le phénomène.

D’une part car les réseaux sociaux nous montrent tel qu’on est ou tel qu’on n’est pas.

D’autre part car la pandémie mondiale a amplifié la consommation de tels jeux et la diffusion des scores entre amis mais aussi entre inconnus en devenir d’amitiés possibles.

Et enfin  car « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ».

Certains vont rester dans une illusion d’être les meilleurs en restant dans le « facile », tandis que d’autres vont affronter le « high level » (haut niveau).

Certains jouent à Wordle en solitaire mais la plupart des gens partagent leurs résultats sur Twitter. Comment interpréter cette publication du résultat, ou non ? Qu'est-ce que cela dit de nous ? 

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Je ne rappellerai pas les règles du jeu. Ce qui est le plus intéressant est qu’un seul mot est proposé par jour.

Aussi les liens créés à travers les réseaux sociaux, et une forme de compétition et d’affichage de sa réussite ou de son « score » prennent le dessus.

Combien de personnes, sur un célèbre réseau social, communiquent les résultats d’un test psychologique, le résultat d’un test QI, proposent des épreuves psychotechniques ?

Il n’y a rien de neuf... sauf à mon avis une solitude sociale qui s’est transformée en exhibition de résultats proches de la diffusion de vidéos de son chat.

Provocateur face à cette réponse, je ne néglige aucunement une sorte de nécessité narcissique et identitaire à publier ces résultats.

Combien de personnes qui se pensent être nuls vont pouvoir tenter trouver une sorte de dignité en exposant leurs résultats ?

Nous n’avons jamais à juger qui que ce soit.

Si cela porte un sens et une utilité… d’autant plus que cela n’est pas répréhensible par la loi et peut « sauver » une forme d’honneur.

Peut-on pour autant tracer une équivalence directe entre nos comportements sur Wordle et ceux que nous adoptons dans le reste de nos occupations ?

La popularité du jeu s’explique par sa simplicité, sa gratuité, l'absence de publicités, la possibilité de partager ses résultats sur les médias sociaux, le fait qu'il ne soit pas nécessaire de télécharger pour y jouer, et son côté non addictif, car on ne peut y jouer qu'une fois par jour !Ce qui est nouveau et a attiré le New York Times qui l’a racheté pour 4,5 millions d’euros.

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Un adepte du jeu a expliqué que Wordle est pour lui une « métaphore de la vie », ce qui signifie que l’ « on peut en apprendre énormément sur les différentes façons de voir le monde à partir de différentes façons de jouer à Wordle. »

Entre le superstitieux, les isolés, les astucieux, les stratèges, les expérimentés, les chercheurs… voire les addicts… Tout le monde se reconnaît dans ce jeu, ce qui en fait sa force.

Car l’addiction de ce jeu repose sur une idée : « je pense que c’est la réponse »… et nous savons qu’il existe une hormone de la récompense : la dopamine. Elle est sans doute la plus active sur le plan cérébral.

Aussi, eu étonnant que certains s’identifient « Je suis Wordling ! » 

Oui, le jeu a toujours été inscrit dans notre génétique psychique.

Des petits chevaux au poker, en passant par le nain bleu ou le Monopoly tout comme le Trivial Pursuit… Wordle réussit un exploit : concilier un jeu de compétition avec une part intellectuelle.

Ce fut le succès de Motus, mais aussi d’autres émissions.

Pierre Nora fut le rapporteur d’une étude démontrant que l’alliance jeu et apprentissage étaient un duo gagnant.

Alors il n’est pas étonnant que Milan Kundera ait écrit « Dans le jeu on n’est pas libre, pour le joueur le jeu est un piège 

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