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Voyeurisme d'Etat : comment François Hollande et Nicolas Sarkozy ont profondément modifié la fonction même et la figure Président
©Reuters

Bonnes feuilles

Des explications crues de Nicolas Sarkozy aux confessions inédites de son épouse Carla, aux transgressions subies ou voulues de François Hollande, soumis à la prose au vitriol de son ex-compagne, Valérie Trierweiler, il dessine les contours du roman vrai d'une République qui a désacralisé la fonction même du Président, l'affaiblissant durablement. Quelle est la part de mise en scène, de connivence, de responsabilité et d'instrumentalisation des médias dans ce feuilleton permanent ? Cette ère nouvelle balaye tout. Ce véritable voyeurisme d'Etat consume tous les codes. Jusqu'à quand ? Extrait de "Vie privée, vie publique : un voyeurisme d'Etat", de Philippe Labi, publié aux éditions First (1/2). A suivre : une interview de l'auteur.

Philippe Labi

Philippe Labi

Philippe Labi est éditorialiste politique et auteur de Vie privée vie publique, un voyeurisme d'Etat.

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Ce sont des fauves d’un genre particulier. Leur terrain de chasse n’est pas la jungle ou une lointaine savane, mais l’État français. Ils se sont rêvés « pape » ou « roi », pas moins, comme le confessait François Mitterrand dans sa jeunesse, en se caressant doctement les mains. Ils chassent les voix, traquent les électeurs. Ils programment, déprogramment, saisissent l’air du temps, les variations de l’opinion et les rapports de force. Ils ne doutent pas de leur talent, de leur force de persuasion ni de leur charisme, parce qu’ils se vivent comme les meilleurs, les seuls aptes à imprimer leur marque, à changer le pays, à exercer la plénitude du pouvoir. Pour entrer dans l’Histoire. Élus au suffrage universel, ils font don, toute modestie rentrée, de leur personne à la nation.Ce sont, les chefs de l’État !

Souverains républicains, descendants élus du monarque, ils sont l’épicentre de toute la vie politique. Ils fabriquent un inconscient collectif, de l’indentification, du rejet aussi. Leurs actes sont disséqués, analysés, interprétés. Sans discontinuer. Avec raison et déraison. Leur vie privée est désormais publique. Parfois ils en jouent. Parfois, ils subissent. Souvent ils s’en accommodent, ou orchestrent le tout avec plus ou moins de succès. Avant de feindre l’étonnement ou la colère. Naguère, le discours et les actes l’emportaient quasiment sur l’essentiel. Aujourd’hui la manière et le style impriment, non pas tout, mais une part non nulle de l’essentiel, marquant durablement les esprits. C’est cet objet de curiosité que j’ai voulu saisir et dépeindre.

Parce qu’en quelques années la Ve République a changé de nature. Le rapport au pouvoir, à son esprit et à son respect, a vacillé. Transgressions, manipulations et voyeurisme à tous les étages de la nation, ont bouleversé la donne. Progressivement. Deux hommes qu’apparemment tout oppose, qui se détestent intensément, mais que bien des points réunissent, ont profondément modifié la fonction même et la figure du chef de l’État. Nicolas Sarkozy et François Hollande. Le premier, rompu à toutes les formes de communication, s’applique depuis toujours à faire de sa vie un roman, un récit récurrent, un lien continu, une charge émotionnelle intense entre lui et l’opinion. Il commente autant ses bonheurs que ses malheurs personnels, quitte à manier l’intimidation si tel ou tel sujet lui déplaît. Biberonné depuis l’enfance à toutes les émissions de télévision, connaissant parfaitement les scores d’audience comme les oscillations des quotidiens et des magazines, ainsi que tout ce qui le concerne à la virgule près. « Je fais vendre ! » a-t-il coutume de dire. Il aurait fait un patron de presse redoutable et redouté. Cela tombe bien, il nous connaît tous.

Objectif numéro un et inchangé : « Il faut créer, au minimum, un événement par jour. » Ainsi, pense-t-il relayer rivaux et adversaires au second plan. Loin derrière. Une pratique qu’il a mise en oeuvre de longue date. Avant la conquête du pouvoir, pendant son exercice et après la défaite, peaufinant minutieusement l’heure de son retour et de sa revanche. François Hollande dispose, lui aussi, d’un solide carnet d’adresses médiatiques dans lequel il pioche chaque semaine pour organiser des rendez-vous informels. Mais, à l’inverse de l’ancien locataire de l’Élysée, il a théorisé la mise à distance. Avec lui, tout serait « exemplaire » ! La République autant que son style personnel seraient en rupture totale avec son prédécesseur. Dans la forme, comme sur le fond. Las ! Il va exposer et laisser s’exposer, volontairement, et à son insu par la suite, sa part d’intime devenue publique et objet de tous les commentaires. Rongeant son frein en s’astreignant au silence. Apparemment. D’autres parleront pour lui. Homme des synthèses impossibles, il a pensé que l’art de l’esquive le prémunirait de l’époque. Il s’est, à son tour, lourdement trompé. Le reality-show d’un genre nouveau, dans lequel tous deux sont plongés et se sont plongés, essore tout sur son passage. Eux les premiers.

Certes, et l’argument n’est pas mince, il y a la loi du 17 juillet 1970. L’article 9 y énonce que « chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telle que séquestre, saisie et autres mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée.

Les mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé. » Limpide. En théorie. L’assemblée consultative du Conseil de l’Europe a, quant à elle, légèrement nuancé le propos dans sa résolution du 23 janvier de la même année : « Les personnes qui jouent un rôle dans la vie publique ont droit à la protection de leur vie privée, sauf dans les cas où celle-ci peut avoir des incidences sur la vie publique. » Le champ n’est, en réalité, pas plus ouvert. Les interprétations sont multiples. Le politique peut jouer de la menace du dépôt de plainte, en toute légalité, sans nécessairement l’utiliser ; les médias peuvent se servir de l’instrumentalisation de la vie privée pour montrer, publier, dévoiler. Un casse-tête garanti entre l’application la plus stricte du droit et le droit à l’information.

Extrait de "Vie privée, vie publique : un voyeurisme d'Etat - Le roman vrai des Présidents", de Philippe Labi, publié aux éditions First, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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