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Jean Castex Olivier Véran santé coronavirus covid-19 masques protection
Jean Castex Olivier Véran santé coronavirus covid-19 masques protection
©PASCAL GUYOT / AFP

Lutte contre le virus

Depuis le début de l'épidémie de coronavirus et lors du déconfinement, des "clusters" apparaissent de manière sporadique à travers le pays. Edouard Husson décrypte les enjeux de la crise sanitaire derrière la généralisation de cette expression et revient sur les failles de la politique gouvernementale.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Un gouvernement qui n’est pas contraint par la réalité

Les équipes gouvernementales se suivent et se ressemblent. Pendant de longues semaines, à partir du mois de décembre, le gouvernement français a négligé les informations qui lui parvenaient sur la pandémie du Coronavirus en Chine. Puis, à partir du mois de février, au vu de la diffusion de l’épidémie en Europe, ce fut la panique, l’incapacité à planifier une riposte. Ont suivi deux mois de confinement qui resteront dans l’histoire comme un des plus grands fiascos gouvernementaux français: communication chaotique, incapacité à procurer des masques et des tests; confinement généralisé au lieu de quarantaine ciblées, refus du traitement Raoult, qui marchait, sous l’influence d’intérêts idéologiques et industriels étrangers etc... La France ayant pour l’instant la possibilité de continuer à vivre à crédit, le gouvernement a réussi à noyer  la récession sous une masse  d’argent public; si bien que les Français n’ont pas pris la mesure de l’incompétence gouvernementale. Et, aussi regrettable que cela soit, le nouveau gouvernement, celui de Jean Castex, ne se trouve pas obligé de faire mieux que son prédécesseur. 

Il vaudrait mieux qu’une nouvelle vague n’ait pas lieu tant notre gouvernement semble peu préparé

Il y a même de quoi être très inquiet. Personnellement, je fais partie de ceux qui sont sceptiques sur une nouvelle vague à l’automne. Mais il y a en fait une question plus fondamentale que cette hypothétique seconde vague: nos pouvoirs publics sauraient-ils mieux faire face que lors de la vague de cette fin d’hiver? Un deuxième confinement serait catastrophique pour l’économie et l’on sent bien que le gouvernement veut l’éviter à tout prix. D’où la recommandation du port du masque généralisé par le ministre de la Santé qui s’évertuait, il y a quatre ou cinq mois, à nous expliquer l'inutilité du masque. D’où la laborieuse mise en place, huit mois trop tard, du contrôle dans les aéroports. Mais ne nous faisons pas d’illusions. Le gouvernement Castex navigue tout autant à vue que le gouvernement Philippe. 

Nous sommes sauvés : nous identifions des « clusters »

Rien ne le dit mieux que l’irruption, d’un mot fourre-tout: désormais, on nous parle à longueur de bulletin d’information ou de communication gouvernementale, de « clusters ». La belle affaire ! Un « cluster », ça fait plus chic que de dire, comme on le faisait jusqu'au mois dernier, un « foyer ». J’imagine que cela à commencé par paresse au Ministère de la Santé ou au sortir d’un conseil des ministres européens. Les anglophones disent un. « cluster, eh bien allons-y; c’est plus chic que « foyer ». Et puis, surtout, ça laisse beaucoup de possibilités pour une communication à la fois vague et angoissante. Comment ne pas sortir terrifié de ces quelques minutes sur BFM où une journaliste, sans doute spécialiste des « clusters », vous en dénombre des centaines, vous explique qu’il y en a eu sept, ou dix, ou douze de plus d’identifiés la veille. Le « cluster » devient une réalité maléfique, une sorte de monstre qui nous produit du covid 19. Et comme dans dans tout bon film d’horreur, le monstre a quelque chose de familier: avec vos proches, vous pouvez vous retrouver « clusterisé ». Alors, pensez donc, si demain on compte un ou plusieurs milliers de clusters, les monstres ne pourront plus être apaisés par de simples masques, il faudra reconfiner...

Autre gouvernement, autre « cluster »

Il y a dix ans, le dernier gouvernement sérieux qu’a eu la France, celui de Nicolas Sarkozy, communiquait sur un autre type de « clusters »: il s’agissait de faire émerger en France, avec les « pôles de compétitivité » ou le plateau de Saclay des « grappes d’innovation technologique et industrielle », puisque le mot « cluster »  a aussi ce sens en anglais. C’était l’époque où il y avait encore, à la tête de l’Etat, une ambition - c’est d’ailleurs grâce à cette ambition que les IHU, dont celui de Didier Raoult, ont pu être financés. Malheureusement, en 2020, la France a dégringolé en deuxième division au plan mondial. Le slogan de la « start up nation » dissimule de moins en moins l’abandon de toute grande ambition scientifique, technologique, industrielle, médicale. Et nous ne rêvons plus de créer des clusters qui deviennent, des « Silicon valleys » avec u n peu d’efforts et de persévérance »; nous regardons surgir des « clusters » épidémiques, des foyers de maladie potentielle, avec la réactivité d’un lapin regardant, dans les phares de la voiture qui s’apprête à l’écraser. 

Il y a bien un « cluster » : à Paris ! 

La multiplication des « clusters » est pour l’instant essentiellement verbale. Elle exprime le mélange d’impuissance et d’arrogance d’un équipe gouvernementale qui a remis au goût du jour Thomas Diafoirus et le docteur Knock. La répétition du mot « cluster » à toute occasion depuis quelques jours nous replonge dans Molière. Il manque malheureusement à nos politiques de pouvoir s’entendre rire au nez comme Argan ou Monsieur Jourdain. Si notre ministre de la Santé ou notre Premier ministre n’étaient pas coupés des électeurs par de multiples écrans (d’information, de sécurité ou, tout simplement, de perception), ils se douteraient qu’un « cluster » mis à toutes les sauces, cela en fera rire certains et en glacera d’autres, qui auront le sentiment de toujours moins comprendre « de quoi ils parlent à Paris »; il y a visiblement un cluster parisien d’un genre particulier; il semble particulièrement résistant au principe de réalité. 

Un mot utilisé à satiété et à mauvais escient en révèle beaucoup sur la crise de ceux qui nous dirigent. 

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