Voilà pourquoi les solutions envisagées par les pouvoirs publics n’en seront pas dans la réalité<!-- --> | Atlantico.fr
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Est-il possible de sortir de l'effondrement du système de soins ?
Est-il possible de sortir de l'effondrement du système de soins ?
©LOIC VENANCE / AFP

Fausses bonnes idées

Un faible nombre de Français doutent des dysfonctionnements du système de soins. Depuis des années les sparadraps à coup de milliards aggravent la situation en empêchant l’hôpital public de s'adapter en matière de gestion et d’organisation.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Peu de Français doutent des dysfonctionnements du système de soins. Peu ont accès aux données qui permettent de comprendre les causes. C’est une des raisons pour lesquelles les activistes du manque de moyens peuvent à force de répétition et d’écho médiatique maintenir que l’État doit dépenser plus. C’est tellement faux que depuis des années les sparadraps à coup de milliards aggravent la situation en empêchant en particulier l’hôpital public de s'adapter en matière de gestion et d’organisation.

COMMENT SORTIR DE CET EFFONDREMENT DU SYSTEME DE SOINS ?

Il est utile de rappeler que nous étions assez bien soignés au seuil du troisième millénaire. Il est utile aussi de rappeler les erreurs grossières des politiques qui pilotent à la seconde et avec toutes les données le système. C’est en effet plus facile qu’EDF car l'État a déjà 100% de l'entreprise sécu et de ses filiales depuis 1945… Pour autant la détérioration est nette, les dysfonctionnements multiples et les moyens financiers n’ont jamais été aussi importants (Figure N° 3).

Tout d’abord écarter les solutions démagogiques

Revenons sur un exemple simple, la “démocratie sanitaire” ne peut pas être l’accès gratuit à tout ce que nous appelons soins. Associer les patients (en fait des représentants non élus dans des associations subventionnées) est une opération de communication car ni les ARS, ni ces associations ne connaissent les enjeux des soins utiles aux patients. L’accès au système pour une maladie est difficile mais auto-limité (personne ne demande une deuxième opération, une deuxième chimio parce que “j’y ai droit”) mais la consommation de biens et de services de soins non essentiels mais quasi-gratuits est une demande infinie (je vous laisse trouver des exemples tous très connus). Pire, cette demande infinie a créé un effet d’éviction de l’offre pour le gros risque. Nous y sommes. Car le temps de consultation, de travail clinique se réduisent (nombre d’heures de travail des soignants, nombre d’heures de disponibilité des salles d'opération, croissance incroyable du temps passé aux tâches bureaucratiques, rendez-vous non honorés etc). Les soins doivent être discriminés. Les lunettes n’ont rien à voir avec le traitement du cancer ou de l’infarctus. Les cures thermales ne sont pas du ressort de l’essentiel. Les transports dits médicaux en dehors du SAMU n’ont pas d’incidence sur la survie… Il est démagogique de faire croire qu’un système de soins peut fonctionner sans reste à charge pour le petit risque ou la convenance en même temps que pour la médecine de recours.

Nous n’avons plus les moyens financiers ni les ressources humaines pour redistribuer des biens et des services qui n’ont pas de rapport avec la médecine

Quels sont ces soins essentiels? Il s’agit des soins efficaces d’une maladie qui met en péril la vie, un organe et/ou entraîne des conséquences graves. Il faut donc concentrer les moyens financiers et humains existants (qui demeurent considérables) sur le risque majeur car nous ne l’assurons plus correctement. Ce socle doit être préservé et renforcé. Si on adhère de bonne foi à l’idée de démocratie sanitaire il faut tout simplement reconnaître que c’est l’accès aux soins de qualité pour une maladie grave, sérieuse, menaçante qui est le vrai bien commun. Les définitions ont un sens: la qualité des soins se mesure directement et partout, faisons-le! Les maladies graves ne sont pas celles qui guérissent toutes seules, les soins indispensables ne sont pas les techniques de soins sans preuve, les médicaments sans efficacité mais toutefois prescrits. Les dépenses en nature utiles ne sont pas celles qui n’ont rien à voir avec la maladie ou l’état du patient, tout ceci est parfaitement identifiable. La liste est longue. Ces ressources (le temps des soignants et le coût de ces “soins”) doivent être utilisés pour renforcer les piliers de la prise en charge du risque majeur. Le reste doit être renvoyé à une dépense de consommation marchande ce dont il s’agit en réalité. Le constat est factuel, il est difficile à annoncer aux Français car c’est un contre exemple (parmi beaucoup d’autres) du faux principe du quoi qu’il en coûte (Figure N°3).

Figure N°3: Ce qui est certain dans cette corrélation c’est que la dépense publique au moyen de l’endettement depuis 2008 jusqu’à la Covid-19 a déprimé la croissance du PIB si bien que le stock de dette a dépassé en valeur notre PIB annuel. Or pour qu’un système de soins fonctionne il faut produire de l’énergie et d’autres “utilities” et de nombreux biens et services marchands. Car ce que nous n’avons pas (par exemple l’imagerie par tomodensitométrie et résonance magnétique) il faut l’acheter à l’étranger. Cet endettement est probablement un tournant car il va contraindre à des choix sans cesse repoussés comme celui des remboursements des soins non essentiels voire inutiles ou de convenance..

CE CONSTAT FAIT APPEL AU BON SENS ET SE HEURTE A L'IDEOLOGIE DE LA CNAM

La difficulté avec un monopole c’est que rien ne l’incite à se remettre en cause, ni les résultats dont il détient l’intégralité, ni le mécontentement des assujettis, ni le débat, ni les comparaisons internationales. Tout cela était hors sujet quand le système de soins Français caracolait en tête des classements. Aujourd’hui le bon sens indique qu’il faut remédier aux dysfonctionnements non pas dans 15 ou 20 ans mais au plus tôt. Et le premier remède est de stopper l’effondrement.

La question est la capacité de la CNAM à rétablir le fonctionnement du système

Curieusement cette question n’est jamais posée. Tant du point de vue idéologique qu’organisationnel, la CNAM est loin de fournir des réponses aux dysfonctionnements. Deux exemples récents: l’incapacité à trouver un modus vivendi contractuel avec la médecine ambulatoire et de l’autre côté l’absence de pragmatisme pour faire évoluer les tarifs de remboursement en fonction de la géographie, des paramètres socio-économiques, du type d’acte etc afin d’améliorer l’offre.

Des initiatives publiques tous azimuts

À côté de ces blocages de la CNAM il faut citer les actions désordonnées des autres acteurs publics. Ces exemples, pêle-mêle d’initiatives malheureuses souvent assorties d’une contrainte dont l’échec paraît assuré sont nombreux. Il me paraît essentiel de les brocarder car ils témoignent du fait maintes fois observé selon lequel les intentions ne font pas les bonnes politiques. Il faut mesurer les résultats.

- Obliger les médecins qui prennent déjà des gardes à en prendre en plus. Compte tenu des difficultés des gardes en particulier la nuit et de leur rémunération il faut s’attendre à un effet négatif. Les médecins préfèrent changer d’activité (en particulier quitter les soins cliniques) pour éviter d’avoir à faire plus de gardes.

- Un professeur d’économie en mission a “trouvé la solution” aux “déserts médicaux” et elle est unique (les médecins en ont assez des “je sais tout” mais là c’est plus que du ras le bol) : la régulation de l’installation. Cela me fait penser à: “L’Italie est submergée par la Covid mais nous sommes mieux organisés” ou bien à la carte des équipements lourds qui a bloqué l’investissement en IRM et d’autres équipements... Monsieur le professeur, la France et l’Europe sont contraintes par une nouvelle donne, la pénurie de soignants, et ce n’est pas uniquement dans les “déserts” c’est partout. Car les causes sont systémiques. Comme par exemple l’intervention opiniâtre de l'État: 43 ans de numerus clausus. Mais comme dirait E. Borne “si vous voulez le faire allez-y”

- L’élargissement de la permanence des soins ambulatoires aux infirmiers, sages-femmes et chirurgiens-dentistes. “Elle a été adoptée dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale via un recours au 49.3 par la Première ministre. Mais le 20 décembre 2022, le Conseil constitutionnel a finalement décidé de censurer cet amendement. Compétences, rémunération, manque de temps... la mesure divise la profession infirmière et ses représentants”. C’est peu dire. Encore un bug. Or nous avons besoin d’eux mais aussi des pharmaciens. Il faut avec technicité redéfinir cette mesure car elle est essentielle.

- Plafonnement des salaires des intérimaires, dans une économie ouverte avec la reconnaissance des diplômes en Europe, c’est encore une fois un risque. Les intérimaires iront ailleurs c’est tout simple. Une partie de ces intérimaires iront dans le privé ou ailleurs en Europe chez nos voisins. Ce retour du contrôle des salaires par l'État est plus de l'affichage qu’une stratégie. En réponse à la pénurie les directeurs d’hôpitaux qui sont des administrateurs et non des chefs d’entreprise vont réquisitionner. Cela durera un temps.

- “Mise à disposition” d’un fonctionnaire territorial pendant 6 mois renouvelable une fois. Là on atteint un de ces sommets de la politique des chèques sparadrap. C’est compliqué de s’installer? Oui certaines “démarches” s’étalent sur plusieurs mois. Au lieu de simplifier à la hussarde le maquis administratif les élus des territoires proposent de mettre au travail des fonctionnaires dont on sait qu’ils abondent et sont sur un statut à vie…

- Chartres métropole, une administration publique, a décidé de solliciter Michel Cymès afin de l’aider à attirer et faciliter l’installation de nouveaux médecins sur le territoire. Il s’agit là d’une activité récente des collectivités qui a un coût important en particulier quand il y a mise à disposition de locaux ou gestion des maisons et centres de santé. Il se trouve que l’efficacité de ces mesures a été analysée et que les résultats sont assez décevants. S’agissant d’une activité économique évaluée à 300 millions d’euros il est urgent de connaître les résultats analytiques (ce que la Cour des Comptes ne fournit pas) de ces initiatives au delà des effets d’aubaine.

- Le retour de la planification soviétique des installations dans un magazine de consommation. L’idée est tellement séduisante pour les adeptes des régimes autoritaires qu’elle refait surface régulièrement. Le dernier à la préconiser un magazine de conso, Que choisir. Les auteurs ont confondu la médecine avec les pots de yaourts. On y trouve des contre vérités: “L’offre de soins, sous la forme de la démographie médicale, est globalement insuffisante, et d’après toutes les projections, la situation poursuivra de se dégrader, au moins jusqu’au milieu des années 2030.”, comme le montre le tableau ci-dessous issu des statistiques de l'OCDE, c'est faux.

Ce rapport de Que Choisir est en fait un tract politique contre la médecine libérale (qui ne l’est plus depuis longtemps) qui est la pratique de soins dans la quelle les Franàçais ont le plus confiance. Ce faisant le magazine est un pompier pyromane car la politique du pire en soins coute des vies. La médecine ambulatoire à l’acte est un pilier indispensable du système et c’est prendre une énorme responsabilité que de vouloir étatiser totalement le système.

Témoignage exotique d’un médecin: “je découvre ce genre de certificat qu’on m’a demandé ce matin; pour être buraliste il faut un certificat établi par un médecin agréé ARS: on est fou! Il s’agit de justifier de son aptitude physique par un certificat médical établi par un médecin agréé par l'agence régionale de santé (sauf pour les associés minoritaires d'une société en nom collectif, l’ENA et l’ENSP sont avides de détails abscons).

Cette liste très loin de l’exhaustivité tant l’imagination bureaucratique est fertile dans notre pays, est dans une certaine mesure drôle. N’essayez pas de vous adresser aux conséquences et rappelez vous que nous chérissons les causes.

Pourtant toutes ces idées dont certaines sorties de la naphtaline sont le symptôme d’une grande agitation devant l’échec XXL du modèle de monopole d’assurance maladie à convention unique et exclusive. Le professeur d’économie cité plus haut ne peut le dire même s’il devrait le constater.

E pur si muove! (Et pourtant elle tourne) en effet les autres pays européens ont abandonné le monopole à la Française.

Pour retrouver la première partie de la série d'articles du Dr Pelouze : cliquez ICI

Pour retrouver la seconde partie de la série d'articles du Dr Pelouze : cliquez ICI

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