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Vivre sans papier toilette : ce que la dernière tendance écolo change au quotidien de ses adeptes
©Flickr/Groume

Y'a plus de PQ !

Certaines personnes utilisent à la place des tissus réutilisables et lavables en machine.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Certaines personnes n'utilisent plus du tout de papier toilette pour des raisons économiques ou écologiques. Elles utilisent à la place des tissus réutilisables et lavables en machine. Utiliser ces tissus lavés souvent n'est-il pas aussi, voire plus, coûteux que le papier toilette ?

Stéphane Gayet : Prenons l’exemple d’un papier de toilette très doux et en triple épaisseur. On le trouve dans la grande distribution, conditionné en lots de huit paquets de 62 feuilles chacun, soit 496 feuilles par lot, approximativement 500 feuilles. Un lot de 500 feuilles est vendu au prix moyen de 2,90 euros. Partons de l’hypothèse plausible selon laquelle chaque essuyage, dans le cas de selles non liquides bien sûr, nécessite cinq feuilles. Le coût unitaire en papier de toilette d’un essuyage est donc d’environ 0,030 euro TTC. Ce montant va donc être comparé au coût du linge réutilisable.

Maintenant, si l’on veut utiliser un tissu réutilisable, il doit être à la fois doux, non irritant ni sensibilisant, non pelucheux et suffisamment résistant pour tolérer des lavages répétés à haute température (60°C à 90°C).

Il faut donc se tourner vers du linge tissé en fibres polyester-coton constituées de 10 à 30% de polyester et de 70 à 90% de coton. Il est impératif de choisir un tissu de bonne qualité, sans quoi des irritations anales et péri-anales vont survenir, à l’origine de prurit (démangeaisons), voire de micro-ulcérations, ou même d’ulcérations pouvant évoluer jusqu’au stade de fissures anales, douloureuses et invalidantes. Ces linges doivent être lavés à une température au minimum de 60°C, et si possible 90°C, du fait de la nécessité de tuer toutes les bactéries fécales. Le coût de la lessive et la dépense électrique du lave-linge ne sont pas négligeables, si l’on tient compte du fait que ces linges doivent être lavés selon une charge à eux dédiée. Un lave-linge de classe B consomme en moyenne 0,22 kwh par kg de linge et de l’ordre de 50 litres d’eau pour un cycle à 60°C. On pourrait pour ce faire utiliser, par exemple, des couches lavables pour s’essuyer, vendues dans le commerce à un prix de l’ordre de 20 euros les six.

En admettant qu’on lave chaque couche 100 fois et partant d’un prix moyen de 0,14 euros TTC le kwh, le coût estimé de l’essuyage en investissement (achat) est de 0,033 euro ; à ce coût d’investissement s’ajoute le coût de fonctionnement, c’est-à-dire celui du lavage : si l’on considère que l’on peut laver 12 couches par charge (environ 2 kg), le coût électrique du lavage de 12 couches est de l’ordre de 0,061 euro, soit un coût en électricité de 0,005 euro pour le lavage d’une couche, sans compter le coût éventuel du séchage électrique. Si l’on y ajoute le coût de l’eau, celui de la lessive et de l'additif anticalcaire, on parvient à l’estimation de 0,007 euro, montant qui représente le coût total du lavage d’une couche. Dès lors, en additionnant le coût d’investissement ou d’achat (0,033 euro) à celui du lavage (0,007 euros), on parvient à un coût total estimé de 0,040 euros TTC pour l’essuyage utilisant du linge réutilisable. Cela indique clairement que le papier de toilette (et même triple épaisseur, dans notre exemple) revient moins cher que le linge réutilisable. Notons que nous n’avons pas tenu compte dans ce raisonnement de l’usure du lave-linge et du coût de son entretien, sans parler de celui de son acquisition.

Et est-ce vraiment écologique ?

Sur le plan écologique, le paquet de 62 feuilles très doux en triple épaisseur pèse environ 63 g, ce qui nous donne de l’ordre d’un gramme par feuille de papier de toilette, soit cinq grammes de papier par essuyage en moyenne. Si l’on prend l’option de papier non coloré et non blanchi (à l’aide de produits chlorés), il ne s’agit que de pâte de cellulose, assez pure : il n’y a ni teinture, ni agent de blanchiment chloré ou autre produit chimique tels que ceux qui sont utilisés dans la fabrication du papier pour l’écriture, l’imprimerie ou encore la photocopie. Il convient aussi de considérer les emballages des paquets de papier de toilette en feuilles : ils sont presque toujours en carton recyclé.

Pour faire un bilan écologique, il faut donc comparer les cinq grammes de pâte de cellulose à la somme de la dépense en énergie électrique, de la dépense en eau, de la consommation de lessive – laquelle est de plus un polluant hydrique majeur –, de l’impact écologique des pièces usées à éliminer et remplacer, et, du problème écologique également important constitué par les procédés de l'élimination du lave-linge en fin de vie.

Sur le plan écologique, on ne peut non plus omettre de prendre le bruit en considération, la pollution sonore étant de plus en plus dénoncée et combattue, connaissant ses effets sur la santé. Si les lave-linge récents sont sensiblement moins bruyants que ceux que nous avons connus il y a 15 à 20 ans, leur isolation phonique est techniquement difficile et le silence n’est pas leur point fort : un lave-linge a en moyenne un niveau sonore de l’ordre de 50 à 55 décibels et davantage pour les modèles les plus anciens. Nous savons que, pour cette raison, le règlement intérieur de certains immeubles d’habitation interdit l’usage du lave-linge et celui du sèche-linge après 22 heures.

Pour en revenir à la consommation d’eau, on peut affirmer sans grand risque de se tromper que la quantité d’eau nécessaire à la chasse d’eau reste la même dans les deux pratiques, qu’il s’agisse d’un essuyage avec du papier ou d’un essuyage avec du linge.

Certes, un bilan écologique complet et objectif relève toujours d’une certaine façon de l’utopie, et toutes les études écologiques d’ambition quantitative sont critiquables et bien contestables. Mais il n’en reste pas moins vrai que le bilan écologique de l’utilisation de papier de toilette paraît quand même sensiblement plus favorable que celui de l’utilisation de linge réutilisable, à condition bien sûr de se fixer les mêmes exigences de qualité et de sécurité dans les deux options. Du reste, cet exemple du support d’essuyage après avoir déféqué n’est qu’un cas particulier de l’éternel dilemme : usage unique ou usage multiple ? Ce dilemme est très souvent débattu à propos de nombreux produits de consommation courante, tant dans la vie pratique qu’en milieu hospitalier ou encore industriel. En outre, il ne faut pas perdre de vue qu’une réponse objective et pondérée aujourd’hui ne sera plus vraie demain, car tous les paramètres auront évolué : coût de l’énergie, coût de l’eau, coût de la pâte à papier, procédés de fabrication, méthodes de lavage en machine, techniques d’isolation phonique, méthodes de dépollution et d’autres encore. Notre argumentaire n’est donc valable qu’au jour d’aujourd’hui.

Faut-il conserver le papier toilette qui peut contenir du dioxyde de chlore quand il est blanc, ou, utiliser des tissus utilisés plusieurs fois ? Quelle pratique est la plus hygiénique ?

Le papier de toilette blanchi à l’aide de produits chlorés est une totale aberration ; certes, les fabricants essaient de s’adapter à la demande de la clientèle, mais c’est aujourd’hui un devoir de la part des concepteurs et des industriels que d’éduquer leurs clients. Quand on s’intéresse à l’hygiène, à l’écologie et plus simplement à la qualité de vie, il est impensable d’aller dans le sens du consumérisme ambiant, lequel évolue au gré de la mode et de la publicité voire des rumeurs et idées reçues. Il paraît ainsi évident qu’il faut privilégier le papier non blanchi, mais aussi de qualité douce, tel que celui que nous avons pris pour exemple (papier très doux et en triple épaisseur).

Sur le plan de l’hygiène, l’utilisation de papier de toilette présente l’avantage de ne comporter aucun risque de contamination de l’environnement, celui de la cuvette des toilettes, car les feuilles souillées de matières fécales sont éliminées immédiatement et sur place, sans aucune nécessité d’un geste en direction de l’environnement. Au contraire, le linge réutilisable risque de contaminer cet environnement (cuvette, panier à linge, sol, mains…) ; il va être manipulé plusieurs fois avant son lavage et son stockage n’est pour le moins pas du tout sécurisant, car il représente une charge microbienne non neutralisée et de surcroît d’une extrême abondance (la flore fécale étant la flore la plus riche du corps humain : un gramme de matière fécales contient de l’ordre de 1000.000.000.000 bactéries, soit mille milliards ou encore un million de millions de bactéries). De jeunes enfants ou des animaux domestiques peuvent toucher accidentellement le linge souillé de matières fécales et entreposé, voire abandonné sur le sol, et ainsi le déplacer pour l’emmener où bon leur semble (certains animaux, fréquemment, et même parfois certains jeunes enfants, pathologiquement, se montrent du reste coprophiles).

En revanche, le linge réutilisable présente l’avantage d’éviter le contact des mains de la personne qui défèque avec ses propres matières fécales et sa région anale et péri-anale. Car, si le papier est fin ou fragile, le risque d’un tel contact est vraiment très élevé. C’est pourquoi il faut absolument privilégier le papier de qualité et en triple épaisseur. Quoiqu’il en soit, les bonnes pratiques d’hygiène corporelle exigent un lavage complet et efficace des mains après être passé aux toilettes, et cela quel que soit le support d’essuyage.

Dès lors, si l’on tient compte de tous ces arguments, la balance pèse nettement du côté du papier par rapport au linge réutilisable, sur le plan de l’hygiène, c’est-à-dire celui de la prévention de la transmission de micro-organismes pathogènes (hygiène dite microbienne).

Qu'utilisons-nous ailleurs dans le monde en dehors du papier toilette et des tissus lavables qui est vraiment hygiénique, économique et écologique ?

Il est certain que, s’agissant de la défécation dans la nature, les êtres humains ont souvent l’habitude d’utiliser des feuilles de végétaux ou parfois leurs mains nues qu’ils vont ensuite laver dans le point d’eau accessible le plus proche. 

A domicile, l’utilisation de grandes feuilles d’essuie-tout, papier purement cellulosique et doux, est une alternative pertinente et intéressante, qui est pratiquée en lieu et place de l’utilisation de papier de toilette par certaines personnes ; ces feuilles d’essuie-tout peuvent être en outre humectées à l’eau tiède, ce qui les rend à la fois plus douces, plus agréables et plus efficaces pour l’essuyage ; mais encore faudrait-il faire une étude de coût, ce qui n’a pas été fait à notre connaissance, et de surcroît s’assurer qu’elles ne risquent pas de boucher les conduits d’évacuation (ce qui ne semble toutefois pas être le cas à en croire les habitués de cette pratique).

Quant au papier journal, très longtemps utilisé, c’est bien la pire des solutions : irritant et même blessant, il se déchire facilement et bouche les canalisations, outre le fait que son pouvoir d’essuyage est bien médiocre.

Une autre option, rencontrée dans certains pays, consiste à ne pas s’essuyer la région anale et péri-anale, mais à se laver les fesses et l’anus à l’eau tiède avec une douchette et du savon. En plus du fait que cette pratique demande une installation bien particulière (les toilettes devant donc se trouver dans la salle de bains), elle n’est pas recommandable sur le plan de l’hygiène microbienne, car elle provoque inéluctablement une aérosolisation de microparticules et de microgouttelettes fécales dans l’environnement. De surcroît, elle induit un déversement de débris fécaux dans le conduit d’évacuation de la baignoire ou de la douche, à l’origine d’une pullulation microbienne dans le siphon et la canalisation, elle-même néfaste sur le plan de l’hygiène et source d’odeur nauséabonde.

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