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Virginie Despentes et les César où quand la gauche morale et identitaire perd le sens de la démocratie représentative
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Coup de poing

Libération a publié une tribune de Virginie Despentes, "Désormais on se lève et on se barre", qui s'exprimait après la polémique autour du César remis à Roman Polanski et suite au départ de l'actrice Adèle Haenel en pleine cérémonie. Ce texte a provoqué beaucoup de réactions.

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Atlantico.fr : Beaucoup d'encre a coulé suite à la tribune de Virginie Despentes dans Libération au sujet des élites, du viol, de la police etc.

La colère et l'émotion a-t-elle pris le pas sur la raison ? Pourquoi sommes-nous entrés à ce point dans cette configuration ?

Yves Michaud : On a beaucoup trop abordé la politique en termes de structures, de raisonnements et de rationalité. Comme si tout un chacun était un petit Machiavel, un Clausewitz ou, dans le cas le plus émotionnel, un « spectateur engagé » à la Raymond Aron. Or la politique, c’est aussi et surtout affaires de passions, d’affects, d’engouements et de haines, avec beaucoup d’irrationalité.  On peut même être confrontés à des délires rationnels : les politiques de gauche inspirées du marxisme en ont été des illustrations. Quand on relit aujourd’hui certaines pages de Sartre dans Situations II et IV, on est atterré de voir déployer autant de raison pour soutenir des énormités politiques. 

Je crois que nous assistons en fait à un retour de balancier. Le climat ambiant y est pour quelque chose : on ne parle que de sensibilité, de vécus, de ressentis, de sentiments.

Surtout, à ce retour de balancier se surajoute une crise de la pensée politique ; Les catégories anciennes – contrat, souveraineté, démocratie, représentation, intérêt général, res publica – tournent à vide, n’embrayent plus sur une réalité bouleversée à la fois par les changements techniques (internet et le numérique) et par les circulations des hommes qu’elles soient touristiques, entrepreneuriales ou migratoires ? Nous nous retrouvons sans concepts pour penser ce qui se passe. Hume disait que la raison est une passion faible, aisément vaincue par les passions fortes. Je compléterai de manière catastrophiste en disant que même la raison n’a plus de contenu. Restent les passions. Le texte de Despentes est, à cet égard, exemplaire : il rayonne de manière brillante de passion et de fureur – et amalgame Macron, Polanski, les patrons, les médias, la police, le pouvoir. Je l’ai lu avec bonheur car il y a une « fureur Despentes » bienvenue dans ce monde où il faut pratiquer l’euphémisme mais en tant qu’analyste je reste songeur.

N'y a-t-il pas un réel danger de réduire la politique et la vie sociale en deux camps qui s'opposent, à savoir les victimes et les coupables ? Qu'est-ce que cela dit de notre société ?

Virginie Despentes « réduit » effectivement la politique à l’affrontement de deux camps – ceux d’en haut et ceux d’en-bas, les have et les have not, les "gens de partout" contre le "peuple de quelque part" pour reprendre le titre du livre de David Goodhart, The Road to Somewhere.
Je ferai remarquer trois choses.

D’abord, pas mal de gens « d’en haut » pensent comme elle : n’est- ce pas le préfet de police de Paris Lallement qui répond à une femme gilet jaune « nous ne sommes pas dans le même camp » ? Même si c’était une sottise de la part d’un arrivistee bardé de décorations tintinnabulantes, ce n’en était pas moins significatif. Beaucoup de réponses expéditives de Macron à ses interlocuteurs populaires vont dans le même sens.

Ensuite, Despentes ne fait qu’illustrer la thèse assez intéressante d’Emmanuel Todd dans La lutte des classes en France, d’un retour du front « classe contre classe » avec, à l’inverse du passé, une haine descendante de la classe dirigeante – je devrais dire plutôt l’oligarchie dirigeante, la power elite au sens de C.W. Mills – envers le « populo ».

Enfin on a suffisamment parlé de fractures sociales multiples – moi entre autres et depuis le début des années 2000, il y a vingt ans ! - pour ne pas s’étonner qu’un beau jour les minorités « fracturées » croient pouvoir s’unir dans un grand ras-le-bol ou une grande révolte – ou une désertion probablement pire pour la démocratie. Le mouvement des Gilets jaunes a eu et conserve cette portée exceptionnelle d’avoir réuni des plaintes hétérogènes et transversales. Il est de bon ton chez les activistes de gauche de parler d’intersectionnalité là où les marxistes parlaient de « convergence des luttes » mais c’est de ça qu’il est question dans le texte de Despentes.

Voici le lien pour retrouver la tribune de Virginie Despentes : ICI

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