Violences sexuelles, intrusions à domicile, tabassages en règle etc… : ce qu’on sait vraiment des conséquences à long terme pour les victimes<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestantes lors d'un rassemblement contre les violences faites aux femmes.
Des manifestantes lors d'un rassemblement contre les violences faites aux femmes.
©Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP

Peines de sursis et tout est oublié ?

Les victimes de violences, d'agressions sexuelles ou de vols subissent un lourd trauma psychologique. Est-ce que les condamnations judiciaires envers les auteurs des faits, qui peuvent paraître légères pour l’opinion publique et les victimes, contribuent à ce traumatisme ?

Muriel  Salmona

Muriel Salmona

Muriel Salmona est psychiatre, psycho-traumatologue, chercheuse et formatrice en psychotraumatologie et en victimologie. Présidente et fondatrice de l’association Mémoire traumatique et Victimologie (www.memoiretraumatique.org), elle a dirigé une grande enquête nationale en 2015 sur l'Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte soutenue par l'UNICEF France. Elle a publié de nombreux articles et en 2013 Le livre noir des violences sexuelles (Dunod).

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Atlantico : Avec les récentes affaires d’agressions notamment au domicile des victimes et/ou sexuelles, quelles répercussions cela va avoir tout au long de sa vie ? Et surtout, comment évolue le traumatisme sur le long terme ?

Muriel Salmona : Les violences ont un impact sur la santé mentale et physique des personnes et sur leur vie pendant un moyen et long terme. Et ce phénomène est amplifié à long terme s’il n’y a pas de de prise en charge adéquate et elles peuvent générer des dépressions susceptibles d'entraîner des risques suicidaires ou des troubles anxieux généralisés. Tout tourne autour d'une mémoire traumatique qui fait revivre à l'identique le moment des violences et tout ce qui concerne le contexte va raviver chez la victime cette mémoire traumatique. Elle peut revivre à l'identique comme si c'était en train de se reproduire. C'est comme une torture en fait. Et si la victime a été agressée à son domicile, son domicile lui-même va lui rappeler son agression sans cesse.

Cela peut être aussi une odeur, une douleur ou une temporalité comme le soir. Tout cela va avoir des répercussions sur leur santé, va générer un stress extrême et va aussi avoir des conséquences au niveau cardiovasculaire.

Elles vont être causées par le fait qu’ils sont obligés de mettre en place des stratégies de survie par rapport à cette mémoire traumatique. Dans le cadre de ces stratégies de survie, il y a des conduites d'évitement et de contrôle d'un côté. Il y a aussi des conduites anesthésiantes pour essayer -si on ne peut pas contrôler la survenue de cette mémoire traumatique- au moins de la désactiver ou de l'anesthésier par des conduites addictives ou à risque qui reproduisent une forme de trauma.

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Le cerveau met en place un mécanisme de disjonction. C'est le fait d'être spectateurs de l'événement donc ça anesthésie la souffrance et la douleur, cela déconnecte. Mais ceci va diminuer sa capacité à évaluer le danger et à se protéger.

Avons-nous des chiffres sur le nombre de victimes qui ont des traumatismes à long terme ?

Les violences sexuelles font partie des violences les plus traumatisantes et donc les plus à risque de développer des troubles. C’est parce que 83% des victimes ne sont pas protégées ou ne sont pas reconnues qu’elles mettent souvent des dizaines d'années avant de trouver une prise en charge à peu près valable. Dans l'ensemble, on sait que pour un viol par exemple 70% des victimes adultes vont développer des troubles psychosomatiques. Pour les enfants c'est 100%. Ce qu’on pourrait éviter si on les protégeait et si on leur appliquait des soins. À ce niveau-là, c'est la faillite totale en France. Il y a très peu de professionnels de santé formés et les victimes ne sont pas informées de leurs droits à ce sujet. Un des problèmes vient du fait que, dès qu’elles parlent de tout ce qu'elles ont ressenti au moment des violences et tout ce qu’elles présentent comme troubles, on va leur renvoyer que ce n’est pas normal, qu’elles auraient dû réagir autrement, qu’elles devraient arrêter de ressasser et passer à autre chose, qu’elles exagèrent ou qu’elles n’ont pas de volonté. En fait, on leur reproche des réactions qui sont des réactions normales et universelles face à des violences, et les victimes finissent par se culpabiliser et par penser qu’elles ne sont pas normales, qu’elles sont incapables voire même qu’elles sont folles, ce qui aggrave leur état.

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Est-ce qu’il y a des traumatismes spécifiques selon le type de fait dont les personnes sont victimes ?

En fait, suivant la violence qui est concernée, il va y avoir une mémoire traumatique des paroles de l’agresseur, de sa volonté de nuire, de détruire ou de dégrader et tout ça va changer en fonction de ce qui a été mis en place pour envahir la victime. Pour les violences physiques, il peut y avoir le corps qui va devenir le théâtre de la souffrance qui va s'activer sur des zones.

Être dans des contextes de violences conjugales ou de situations de guerre ont un impact particulier. On sait par exemple que les troubles psychosomatiques augmentent de 60% pour les enfants qui sont touchés par des troubles du comportement. Souvent, cela va être imputé à d'autres choses alors que ce sont les expositions à des violences qui sont à l'origine de ces troubles.

Il y a des spécificités des traumatismes selon les agressions et c'est pour cela d'ailleurs que lorsque l’on fait une analyse en termes de psycho-traumatologie, ça peut être des éléments de preuves médico-légales. Chaque violence a sa spécificité et une mémoire traumatique spécifique que l'on peut relier à des violences particulières. Par exemple avoir subi des violences depuis l'enfance multiplie par 16 le risque pour une femme de subir des violences conjugales à l'âge adulte. Souvent, il y a un continuum de violence et on peut repérer toutes les autres disciplines.

Mais il y a des moyens de sortir de cela. Pour cela, il faut comprendre ce qu'il arrive, prendre des traitements et recourir à des soins efficaces qui peuvent réparer même les atteintes neurologiques.

Lorsque l’agression se produit à domicile, comme dans certaines affaires récentes, y a-t-il un sentiment spécifique d’insécurité ?

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Lorsque c’est dans son propre espace de vie, son propre domicile qu’on a subi de très graves violences, cet endroit où l’on devrait se sentir en sécurité devient au contraire un lieu où l’on se sent en permanence en danger, ce sentiment de grande insécurité peut continuer à être ressenti même si l’on change de domicile. Cela peut aussi être par exemple si des violences ont été subies dans les douches d'une piscine, vous ne pourrez pas aller à la piscine ou rentrer dans une douche.

Il y a des personnes qui peuvent se retrouver SDF parce qu'elles ne peuvent pas avoir de toit parce que le domicile est dangereux et la notion de domicile n’existe plus. Tout a été explosé par l'agresseur. La nuit c'est insupportable, vous êtes obligé de recréer des contextes qui sont les plus éloignés possibles du contexte où s’est produite l'agression.

Est-ce que les peines qui peuvent paraître légères pour l’opinion publique et les victimes contribuent à ce traumatisme et l’alimentent ? Le sentiment d’injustice renforce-t-il le sentiment ?

Le fait que la dangerosité de l'agresseur ne soit pas reconnue ou qu'il y ait du sursis veut dire qu'il est en liberté. Pour la victime, cela va induire qu’il peut être croisé, que tous les endroits peuvent être dangereux et c’est invivable. Quand les agresseurs sont enfermés c'est un temps de repos pour la victime qui va pouvoir un peu récupérer aussi. Ce temps sert à la victime et doit lui permettre de pouvoir cicatriser par rapport à ses blessures. Là c’est comme si vous aviez une blessure qu’on vous ouvrait.

Mais pour les chiffres de condamnation par rapport aux violences sexuelles, il y a moins de 1% de condamnations par rapport à l'ensemble des actes commis donc on ne peut pas avoir le sentiment de sécurité.

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Vivre dans une société violente même sans y être confronté peut-il apporter un traumatisme (comme notamment des personnes ayant regardé la télévision après des attentats ou autre) ?

Être témoin de violences extrêmes ou de situations de violence telles que voir des vidéos très violentes est traumatisant en soi. Ce n’est pas aussi traumatisant que ce dont nous parlions mais cela fait partie quand même de situations qui peuvent générer des conséquences traumatiques. Les enfants, par exemple, peuvent être sidérés par cette violence qu’ils voient ou qu'ils entendent et peuvent développer aussi des sentiments d'insécurité, des angoisses ou des cauchemars. Et cela impacte activement tout le monde, d’autant plus que nous sommes dans une société violente et les gens ont développé des troubles psychosomatiques.

C'est pour cela qu’il faut absolument dénoncer toutes les formes de violence et protéger les victimes, ne pas les laisser seules et ne pas attendre qu’elles aient la force de parler.

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