Violences sexuelles et sexistes : les 5 raisons pour lesquelles la gauche Torquemada plombe la cause qu’elle prétend défendre<!-- --> | Atlantico.fr
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Les députés de La France Insoumise Adrien Quatennens, Daniele Obono, Eric Coquerel, François Ruffin et Alexis Corbière à l'Assemblée nationale.
Les députés de La France Insoumise Adrien Quatennens, Daniele Obono, Eric Coquerel, François Ruffin et Alexis Corbière à l'Assemblée nationale.
©GERARD JULIEN / AFP

Lutte contre les violences faites aux femmes

Face à la multiplication des accusations de violences sexistes et sexuelles en leur sein, les partis de gauche sont dans la tourmente et fragilisés par des procédures internes.

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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Prospérité du vice, infortune de la vertu : des contradictions insurmontables d’une gauche de la Vertu

Mieux vaudrait sans doute n’en rien dire du tout. La politique, pour le meilleur, c’est débattre ensemble de notre commun, définir nos conditions de vie, nos règles de partage, nos droits et nos interdits. Quand, à force de déballage, elle tombe dans le glauque, le réflexe naturel et sans doute le plus sain de la plupart d’entre nous est de refermer le journal, ou d’éteindre les écrans. Enfin…du moins, c’est ce qu’il faudrait faire. Mais voilà : l’intime a tant et si bien envahi la scène qu’on n’a plus guère le choix. « Le privé est politique », n’a cessé de marteler cette gauche radicale, hier marginale dans une gauche au premier plan, aujourd’hui au premier plan d’une gauche marginale. La voilà prise dans ses propres rets, sommée de justifier des comportements individuels frontalement contraires aux valeurs qu’elle proclame en matière de lutte contre les violences physiques, morales et sexuelles infligées aux femmes.

On pourrait s’arrêter là, et rire d’un rire triste en sortant paresseusement les formules habituelles : tartuffes, hypocrites, arroseurs arrosés, etc.

Tâchons de voir un peu plus loin. D’abord, une juste appréciation des choses commande de ne pas faire ce que nombre de responsables de cette mouvance politique ne répugnent pas à faire quand il ne s’agit pas d’eux-mêmes : jeter un opprobre collectif sur la foi de défaillances individuelles présumées. « La France Insoumise cogne » serait aussi mensonger et condamnable que « la police tue ». Ensuite, il faut faire la part des choses, entre quelques leaders cyniques et autres petits malins dont l’air faussement contrarié ne dissimule pas la joie secrète de voir des rivaux au tapis, et la masse des militants dont l’engagement pour l’égalité des sexes et le respect des femmes est sincère, et qui sont, aujourd’hui, silencieusement meurtris et révoltés. N’oublions pas enfin que la liste est longue des prédateurs et des pervers, et que dans l’échelle du scabreux, seule la justice pourra le cas échéant établir des hiérarchies entre les présumés baffeurs, tripoteurs, harceleurs ou violeurs, qu’ils soient députés insoumis, patron de sociétés d’assurance ou ex-présentateur télé.

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Reste le problème politique que pose l’effacement de la frontière entre sphère publique et sphère privée, et ce débordement de l’intime dans l’espace politico-médiatique que je caractérisais au début de mon propos. Il n’est propre ni à la France, ni à la gauche : il est un « fait social total » au sens que lui donnait Marcel Mauss, qui participe de la désintermédiation et de la désinsitutionnalisation des sociétés occidentales, dont l’économie numérique est devenue le vecteur, et qui affecte beaucoup d’autres aires de la vie politique, de la production et des rapports sociaux de nos pays dits développés. Accepter cet état de fait signe un double aveu d’impuissance : devant les géants d’internet, qui font commerce des « engagements » sur les sujets les plus immédiatement croustillants ; devant l’incapacité du politique à traiter au fond les grands sujets politiques qu’on sait infiniment plus cruciaux, du climat aux inégalités sociales en passant par l’éducation et la culture. Culotte et entrecôte, barbecue et coucheries : l’engouement des politiques pour l’anecdotique et le glauque est à la croisée du voyeurisme et de la résignation. On peut relever cette première contradiction, pour un mouvement de gauche qui se veut en lutte contre un système qu’en réalité il accompagne et qu’il renforce.

Mais les affaires dévoilées ces dernières semaines ne peuvent se résumer à des histoires d’alcôve, colportées dans un moment de spleen démocratique : on parle de faits de violence, qui ont à la fois une dimension individuelle, mais aussi un aspect collectif. D’abord parce que le collectif en question tient un certain type de discours, d’ordre général, sur les violences faites aux femmes. Ensuite parce que le collectif semble avoir, au moins durant un certain temps, couvert des faits répréhensibles dont il avait connaissance. Au-delà des responsabilités que la justice établira peut-être, et du jugement politique et moral de tout un chacun, cela pose un sérieux problème théorique : jusqu’à quel point l’adoption de valeurs politiques et morales, individuelles et collectives, telles que l’égalité des sexes, le respect des personnes, la non-violence sous quelque forme que ce soit, etc., produit-elle des effets positifs dans la réalité, y compris à l’échelle d’un mouvement politique qui s’en fait le promoteur ? Et à partir de quand, sous certaines conditions qu’une investigation sérieuse devrait éclairer, ne permet-elle pas, tout au contraire, d’opposer un paravent institutionnel et idéologique à des comportements individuels pervers et violents ? L’affirmation d’une vertu collective principielle n’offre-t-elle pas une sorte de « safe space » aux prédateurs ? Les Insoumis et écolos ne seraient pas les premiers à en faire les frais : n’est-ce pas, après tout, ce qu’expérimente dans la douleur – mais moins que ses innombrables victimes… - l’Eglise catholique avec la pédophilie, i.e. : comment des hommes qui se consacrent au Bien pourraient-ils faire le Mal ?

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On le voit à la lumière de ce dernier exemple : il n’y a pas de solution dans l’absolu. On ne va pas, par exemple, se mettre à préconiser qu’il faut accepter le mal et tolérer la violence parce qu’elle est inhérente à la nature humaine, notamment masculine : qu’on raisonne à l’échelle de la famille, de l’entreprise, d’une association, d’une église, d’un parti ou de la société tout entière, la violence en général et celle qui s’exerce contre les personnes vulnérables notamment n’a pas, à aucun moment ni aucun prétexte, à être tolérée. Par suite, les justifications telles que « tu sais comment il est », ou « les hommes sont comme ça », ou encore « ce n’est pas si grave », et plus encore « pense à tout ce que nous avons construit ensemble, ne gâche pas tout, etc. » n’offrent aucune issue acceptable. De même, la mise en place de dispositifs de veille et de sanction, pour utile qu’elle soit, ne peut l’être qu’à la double condition qu’elle ne se substitue pas à la justice, et qu’elle ne serve pas de caution morale et médiatique : embaucher à grands frais un cabinet pour se former et sensibiliser aux violences faites aux femmes ne dispense pas de traquer et de sanctionner effectivement les comportements fautifs, faute de quoi c’est l’application d’un indéfendable principe « violeur-payeur ».

Pas de solution dans l’absolu ne veut pas dire, pour autant, qu’il n’y a pas de solution du tout. D’abord, il y a des politiques publiques qui existent, qu’il faut faire vivre, et qu’il appartient à tous les membres de la société de faire réellement respecter. Facile à dire ? Peut-être, mais la vraie facilité consiste plus encore à regarder ailleurs quand un comportement inacceptable est détecté, surtout quand la reconnaissance du problème met à mal la hiérarchie. Tel est le paradoxe des Insoumis à l’origine de leur malaise, soumis qu’ils sont à l’impossibilité de remettre en cause la hiérarchie, infaillible par principe, et ne pouvant de ce fait honorer la « promesse », comme disent les gens du marketing, qui est de porter et de respecter la parole des femmes victimes. Quant aux prédateurs, ils ne sont forts que de l’assentiment tacite du groupe. Si le groupe la leur retire, ils sont foutus.

Ensuite, il faut peut-être se pencher sur la Vertu, ou sur la prétention à la Vertu en tant que principe politique. C’est la grande affaire de Jean-Luc Mélenchon, qui se pense en continuateur de Robespierre. Dans une certaine mesure – raison pour laquelle la majuscule n’est pas forcément justifiée dans leur cas -, l’idée d’une régénération morale de la société par un retour à des principes de vie réputés plus simples et plus naturels, disons l’aspiration à une vie plus saine, forme également une partie du projet des tenants de l’écologie politique. Dans leurs formulations les plus radicales – décroissance, rejet de la consommation, etc. – l’écologie fait parfois penser aux mouvements puritains voire, plus anciennement, aux mouvements « hérétiques » condamnant – souvent à juste titre d’ailleurs – la simonie, les excès en tout genre et l’immoralité des gens d’église et de pouvoir. A nouveau, ne cédons pas à l’ironie facile et considérons qu’il y a dans la rémanence de cette révolte contre une certaine forme d’indécence, dont la prédation sexuelle est l’une des formes, une indiscutable sincérité et même une certaine utilité.

Voyons cependant deux problèmes qu’aucun mouvement de réforme quel qu’il soit n’a jamais réglé : d’abord l’aspiration puritaine s’est toujours révélée impuissante à combattre effectivement le vice. Elle l’a souvent combattu au prix de cruautés et d’injustices terribles – entre autres, contre les sorcières chères à Sandrine Rousseau. Elle a surtout recouvert d’un manteau de vertu des agissements individuels passés sous silence pour ne pas fragiliser le groupe ou l’institution. Quel clergé, quel parti peut s’en estimer indemne ? Dernier problème, qui est aussi vieux que la Révolution, est donc aussi vieux que la gauche : son combat ultime est-il celui de l’Egalité, ou bien de la Vertu ? A moins que l’une soit le moyen de l’autre, ce qui reste à démontrer, il se peut fort qu’il y ait là quelque chose comme deux gauches irréconciliables…

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