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Violences policières et caillassage d'un commissariat : une énorme bavure collective qui en dit long sur l'état de la France
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Dérapages

Les dernières manifestations de lycéens contre le projet de loi El Khomri ont été marquées par plusieurs actes de violence, aussi bien du côté des policiers que des jeunes. Face à ce comportement, c'est l'irresponsabilité des adultes - parents et politiques - qui doit être pointée du doigt.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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La scène a valeur de symbole : en plein Paris, barricadés dans leur commissariat,  subissant le siège de quelques dizaines de lanceurs de pierres, des policiers tétanisés, tremblotant derrière leurs boucliers comme dans les albums de notre enfance, les Romains attendant sous la torture les assauts d'Asterix et Obélix. Il s'agit  de la "force publique" d'une République qui a paraît-il décrété "l'état d'urgence" et déclaré la guerre au terrorisme !  Devant la bande-titre choisie par le JT de France 2 pour présenter l'évènement, il y avait de quoi se frotter les yeux : "Lycéens : deux commissariats pris pour cible". Dans la France de ce début de XXIème siècle, donc, le fait que des lycéens s'amusent à caillasser des commissariats ne choque même plus. La "colère" légitime ces actes, de même que "la peur de l'avenir" légitime les manifestations d'adolescents immatures et le blocage des établissements scolaires dans lesquels, en principe, se prépare le dit avenir. Deux institutions républicaines sont concomitamment humiliées: la police et l'Education nationale. Comment en effet prendre au sérieux une institution qui prétend lutter contre la "radicalisation" des jeunes par un "enseignement moral et civique" mais qui, face à la désertion et aux débordements des "lycéens en colère"se résigne à une coupable passivité ?

Le coup de poing vengeur par lequel le scandale public est venu est bien entendu indéfendable. Le fonctionnaire de police fautif doit être rappelé à ses devoirs et sans doute sanctionné. Il n'y a aucune raison, cependant, d'exonérer des leurs les autres acteurs sociaux défaillants : lycéens violents, chefs d'établissement laxistes, parents tolérant l'absentéisme de leurs enfants, ministres se défaussant de leurs responsabilités, politiques et médias cédant à la démagogie. Le pouvoir de l'image ne doit pas nous interdire de mettre les choses en perspective. En premier lieu, il importe de rappeler le bilan des manifestations de ces derniers jours, qui est édifiant : une dizaine de policiers blessés, des voitures incendiées, des magasins vandalisés, un feu déclenché à la porte d'un lycée parisien, etc.. La violence, de toute évidence, était pour l'essentiel du côté des étudiants et des lycéens. Ensuite, il faut convenir du fait que si les lycéens sont dans la rue et l'Education nationale à la rue, la police, elle, fait tant bien que mal son travail en essayant de maîtriser ces débordements. Il est vain en la matière de feindre l'ingénuité : il y aura toujours quelques coups de matraque abusifs de-ci de-là. Tant qu'on n'aura pas remplacé les hommes par des robots, le risque existera pour les jeunes insolents qui leur lancent des oeufs sur le coin de la figure de rencontrer des policiers excessivement chatouilleux. Consentir aux manifestations de rue de nos ados revient à consentir par avance à ce risque. Encore s'en tire-t-on cette fois-ci à bon compte : en 2010, un lycéen avait été gravement blessé au visage à la suite d'un tir de Flash-ball.

La bavure de la brute policière doit donc, me semble-t-il, être traitée comme un fait social total : il s'agit pour ainsi dire d'une bavure collective, puisque la situation qui l'a rendue possible, qui était tout sauf imprévisible, est une construction collective - l'oeuvre conjointe de la classe politique, des médias et de l'opinion. La classe politique donne une fois de plus le spectacle de la mollesse, de l'impuissance et de l'indécence. Les politiques, quand ils n'ont pas la tête dans le sable, assistent en spectateurs - smarphones en main pour réagir à un éventuel dérapage - au blocage des lycées et à l'affrontement de la police et des lycéens, comme s'il s'agissait de scènes de la vie publique ordinaire dont ils n'étaient en rien responsables. Najat Vallaud-Belkacem qui est, si l'on en croit les médias, ministre de l'Education, n'a pas eu un mot pour dénoncer le blocage des établissements scolaires et les débordements de violence des lycéens. Absente de ses responsabilités dans le monde réel mais à l'affût du moindre buzz sur les réseaux sociaux, elle a prudemment tweeté au moment médiatiquement opportun : "Violence choquante sur un lycéen. D'où qu'elles viennent, les violences sont inadmissibles." D'où qu'elles viennent ?! Mais d'où viennent-elles donc ? Najat ne voit pas, ne sais pas, ne nomme pas. Elle feint de ne pas voir que les violences viennent ou bien des forces de police, sous la responsabilité du ministre de l'Intérieur, ou bien des lycéens, dont le ministre de l'Education nationale est responsable. La palme de l'indécence revient cependant cette fois à Anne Hidalgo. Après le blocage des lycées parisiens, le feu mis à l'un d'entre eux, le caillassage de deux commissariat parisiens, le premier édile parisien fait enfin mine de s'apercevoir qu'il se passe quelque chose : "Dans ce contexte tendu, fait-elle savoir, je réitère ma condamnation de toute violence policière et mon engagement à faire respecter le droit de manifester." Qu'est-ce que le "droit de manifester" des lycéens, selon Anne Hidalgo ? Le droit de sécher les cours ? De bloquer son lycée ? De jeter des oeufs sur les policiers ? De les agresser (rappelons la dizaine de policiers blessés) ? On n'en saura pas plus. Anne Hidalgo choisit de voir ce qu'elle a envie de voir et se lave les mains des conséquences de son soutien de principe aux "combats" de la jeunesse.

Il est aisé de jeter la pierre, si j'ose dire, aux politiques. Celui ou celle qui se risquerait à rappeler ces quelques vérités, ou qui proposerait par exemple une réponse ferme au blocage des lycées serait probablement cloué au pilori médiatique dans le quart d'heure. Car si les médias font leur miel de l'idéologie victimaire, ils ont l'indignation sélective : une brève sur les policiers blessés, des tartines sur les images du lycéen violenté, témoignage larmoyant de la victime à l'appui. En conséquence, bien entendu, le caillassage des commissariats est présenté comme une réponse légitime des "lycéens en colère", assortie de la quasi-approbation du ministre de l'Intérieur. N'en voulons pas trop, cependant, aux médias, car si les politiques sont dans leurs mains, ceux-ci sont dans la main de l'opinion. Les médias, c'est nous. Nous les adultes, les parents, éventuellement même les professeurs et les chefs d'établissement, qui trouvons normal de laisser nos adolescents déserter les salles de classe, empêcher leurs camarades (les vrais "lycéens", ceux qui vont au lycée) de s'y rendre, nous qui organisons par laxisme ou confusionnisme intellectuel la confrontation des lycéens (parfois même des collégiens) et des forces de police.

Quels sont la nature et le fondement de ce consentement ? Telle est la question à poser si on croit encore en la possibilité d'une prise de conscience et d'une auto-critique collectives. Il me semble qu'il y a, outre la protection de l'enfance, deux explications à la bienveillance dont les adultes font montre à l'endroit de ces manifestations lycéennes qui se produisent à échéances régulières sous des prétextes divers. La première tient à l'absurde valorisation de "l'engagement des jeunes". Depuis 1968, les manifestations de rue sont considérées comme une preuve que l'apathie politique des jeunes est un mythe, sinon comme sorte de formation à la citoyenneté par les méthodes actives. Or, ces mouvements, qui ont par ailleurs une évidente dimension "festive", sont quant à leur contenu purement protestataires : ils ne laissent aucune trace et ne témoignent en rien d'un engagement dans la durée (si ce n'est pour quelques leaders carriéristes). S'il fallait prendre au sérieux et valoriser l'engagement des jeunes en tant que tel, il conviendrait de renoncer à lutter contre la "radicalisation" des jeunes qui s'engagent dans le djihad international. L'engagement des jeunes djihadistes, en effet, est autrement enthousiaste - parce que révolutionnaire - et sérieux – parce que sans retour – que l'engagement qui n'engage à rien des petits bourgeois auxquels papa, maman et le proviseur ont donné la permission d'aller bloquer leur lycée.

La deuxième cause de la complaisance adulte à l'égard des manifestations lycéennes tient au sens qu'on leur prête. La jeunesse, entend-on de toute part est “inquiète pour son avenir”. A cause du chômage, de la précarité, du déclin économique de la France et des ravages du néo-libéralisme,etc.. Tous les mouvements de jeunes après 1968 ont sur le fond deux caractéristiques : ils apparaissent extérieurement purement réactifs, conservateurs ;  indissociablement, ils sont sur le plan intellectuel d'un extrême conformisme, voire d'une parfaite nullité. Quoiqu'on pense de 1968, force est de reconnaître que le mouvement générationnel était alors porteur de créativité formelle, de références savantes (certes caricaturales), d'utopies politiques (certes souvent délirantes) et de mutations culturelles qui ont contribué à changer la société. Depuis lors, l'apport culturel, intellectuel et politique de la jeunesse à l'histoire collective est nul. Les commentateurs en ont conscience, qui ne cherchent pas à justifier les mouvements de jeunes par le sens qu'ils se donnent à eux-mêmes, mais par le sentiment qu'ils sont supposés exprimer - le désormais incontournable sentiment de "peur de l'avenir", véritable pont-aux-ânes sociologique devenu le prêt-à-penser journalistique sur le sujet.

Cette explication me paraît douteuse, mais je ne la mettrais pas ici en question, mon propos portant davantage sur le discours et l'attitude des adultes que sur la motivation des jeunes. Admettons donc que ceux-ci soient réellement soucieux de leur avenir ; on pourrait non seulement le comprendre mais aussi s'en réjouir : les parents s'inquiètent généralement de l'insouciance de leurs enfants et de leur incapacité à se projeter dans l'avenir. Le problème tient à la nature de la réponse apportée par les adultes à cette inquiétude réelle ou supposée. Comme on peut le constater aujourd'hui, le seul message adressé aux jeunes par les adultes est qu'il est légitime d'exprimer sa peur et sa colère. Tel est le sens désormais donné à l'engagement "citoyen". A défaut de pouvoir exiger des jeunes qu'ils se hissent au niveau de complexité requis par le débat public sur les problèmes et les enjeux politiques, on se résigne à penser que l'indignation est préférable à l'indifférence. On renonce  au courage et à l'intelligence, préférant croire ou faire croire que l'expression de la peur de l'avenir pourrait tenir lieu de préparation de l'avenir. Comme si bloquer des lycées et paralyser  des gouvernements pouvait garantir un avenir meilleur. Que pouvons-nous espérer d'une société dans laquelle la misère intellectuelle de la jeunesse n'a d'égale que la misère morale du monde adulte ? Voilà une bonne raison de s'inquiéter.

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