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Villa des officiers blessés : de la nécessité d'en finir avec la gabegie du ministère de la Défense
©Reuters

Bonnes feuilles

Alors que la France manifeste une vocation de gendarme du monde, Yvan Stefanovitch a mené un minutieux travail d'inventaire de nos forces armées. Extrait de "Défense française. Le devoir d'inventaire" (1/2).

Yvan Stefanovitch

Yvan Stefanovitch

Yvan Stefanovitch, journaliste, s’est spécialisé dans les enquêtes sur les gaspillages français. i l est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont Aux frais de la princesse (2007), Le Sénat : Enquête sur les super-privilégiés de la République (2008), La Caste des 500 (2010), Enquête sur les faiblesses de l’armée et les milliards gaspillés par l’État (éditions du Moment, 2013) et Histoire secrète de la corruption sous la Ve (Nouveau Monde, 2014).

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Pour justifier les superprivilèges offerts aux officiers, le dépliant de l’hôtel Furtado-Heine cloue le bec aux curieux : « Les conditions d’accès à la “Villa des officiers” sont définies par l’acte de donation du 17 octobre 1895 ». Circulez, il n’y a rien à voir… Nous avons passé une journée aux archives départementales des Alpes- Maritimes à Nice… Toute l’histoire remonte à 1882. Veuve sans enfants en 1866 d’un riche banquier hambourgeois, Cécile Charlotte Furtado-Heine hérite d’une immense fortune de 200 millions de francs de l’époque. Elle achète la future Villa des officiers, un immense hôtel particulier construit en 1781 par une Anglaise, confisqué à la révolution, puis revendu à plusieurs reprises. Elle y passe ses vacances d’été, mais vit dans son château de Rocquencourt (Yvelines) et, à Paris, au 28 rue de Monceau dans un hôtel particulier agrémenté d’un immense jardin. Richissime philanthrope très francophile, Mme Furtado-Heine a financé de nombreuses réalisations à caractère social. Les plus connues sont la création d’un service d’ambulances militaires pendant la guerre de 1870, l’ouverture à Paris d’un dispensaire, d’une crèche pour les enfants nécessiteux et la construction de l’institut Pasteur, où son buste trône toujours dans le hall d’entrée.

En remerciement, elle est nommée chevalier de la légion d’Honneur, puis élevée à la distinction d’officier, quelques mois avant son décès le 10 décembre 1896. Quatorze mois auparavant, elle avait légué sa villa de Nice au ministère de la Guerre en vue d’y installer une « maison d’habitation et de séjour destinée aux officiers de Terre et de Mer et assimilés ayant besoin de repos, aux officiers de tous grades qui auront besoin de repos et dont le repos aura été jugé opportun ». En effet en 1895, lors de la deuxième expédition militaire dans l’île de Madagascar, plus de 5 000 soldats français sont morts du paludisme. Jusqu’à sa disparition, cette grande dame paye intégralement les frais de fonctionnement de sa villa devenue une maison de repos pour les officiers convalescents. Peu avant sa mort, Cécile Charlotte Furtado-Heine avait acheté à l’État une rente de 60 000 francs de l’époque (assortie d’un taux d’intérêts de 3 %) et l’avait léguée au ministère des Armées pour entretenir la villa et payer ses employés. Conservé aux archives départementales des Alpes-Maritimes à Nice sous la cote no402Q4/753, l’original du legs Furtado-Heine de 24 pages manuscrites l’indique de manière très précise.

Plus de cent dix-huit ans après sa mise en place, ce legs de Mme Furtado-Heine constitue, aujourd’hui, une très discrète bombe à retardement. En effet, le contribuable a succédé, depuis bien longtemps, à la donatrice dont les 60 000 francs de 1895 (mêmes assortis du taux d’intérêt de 3 %) ne valent plus grand- chose en ce début du XXIe siècle. Ce capital représentait, en 2006, une valeur d’environ 142 000 euros et avait rapporté, cette année là, au ministère de la Défense 4 260 euros 1 d’intérêts. Selon la volonté de la richissime philanthrope, ces 4 260 euros devaient couvrir, chaque année, tous les frais de gestion de la Villa des officiers. Mission impossible, quand on connaît les prix imbattables de cet hôtel de luxe. Et une mission doublement impossible, puisque la volonté du legs de Mme Furtado-Heine a été trahie…

Pourtant, la donatrice avait pris toutes les précautions nécessaires pour qu’on n’en arrive pas là. Enregistré le 22 décembre 1895 par les notaires parisiens, Georges Bertrand et Ferdinand Robin, le legs mentionne la condition du versement de cette rente à 3% au ministère de la Défense « à la condition pour l’État d’affecter à perpétuité ladite villa à l’habitation ou à la résidence des officiers de tous grades des armées de Terre et de Mer et assimilés qui auront besoin de repos. » Ce document ne précise à aucun moment que la Villa des officiers puisse devenir un établissement commercial de quelque nature que ce soit et a fortiori un hôtel- restaurant de luxe réservé aux officiers de l’armée française.

Afin de perpétuer la mémoire de Cécile Furtado-Heine, sa villa de Nice prend le nom de « Fondation Furtado-Heine Villa des officiers » par un décret du 18 novembre 1895 de la République française. Mais, dès le 29 septembre 1896, le ministre de la Guerre, le général Jean-Baptiste Billot, décide de ne plus envoyer d’offi- ciers convalescents à la Villa des officiers. Connu pour sa plainte contre Zola dans l’affaire Dreyfus et sa participation à la piteuse expédition impériale au Mexique, cet officier général trahit ainsi tranquillement les volontés du legs de Cécile Furtado-Heine. La Afin de perpétuer la mémoire de Cécile Furtado-Heine, sa villa de Nice prend le nom de « Fondation Furtado-Heine Villa des officiers » par un décret du 18 novembre 1895 de la République française. Mais, dès le 29 septembre 1896, le ministre de la Guerre, le général Jean-Baptiste Billot, décide de ne plus envoyer d’offi- ciers convalescents à la Villa des officiers. Connu pour sa plainte contre Zola dans l’affaire Dreyfus et sa participation à la piteuse expédition impériale au Mexique, cet officier général trahit ainsi tranquillement les volontés du legs de Cécile Furtado-Heine. La raison semble évidente : fin 1896, le général Joseph Gallieni commence à mater l’insurrection à Madagascar, où le paludisme ne menace plus les soldats depuis plusieurs mois. Il ne reste donc pratiquement pas de militaires à soigner. Aussi, le brave général Jean-Baptiste Billot, élu sénateur sous l’étiquette républicaine, décide de créer un superprivilège pour ses amis généraux et offi- ciers supérieurs. La fondation Furtado-Heine abandonne sa mission caritative pour se transformer en un hôtel-restaurant de luxe.

Mais pas question d’en faire un établissement rentable. Il sera réservé aux képis étoilés, amis du ministre de l’époque… Depuis, cet établissement commercial à l’enseigne de la fondation Furtado-Heine a toujours été subventionné par son propriétaire le ministère de la Guerre, rebaptisé successivement ministère des Armées, puis ministère de la Défense. Soixante-dix ans plus tard, le ministère des Armées crée, en 1966, l’IGESA (Institut de ges- tion sociale des armées), établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). L’IGESA emploie un millier de salariés et exerce des missions de gestion à caractère social, décidées par son autorité de tutelle le ministère de la Défense, dont celle de l’hôtel-restaurant Furtado-Heine. En 2001, le directeur général de la Fondation décide de refaire la salle de restaurant de la Villa des officiers pour un budget de 50 000 euros. Seul fait nouveau depuis : un décret du 18 décembre 2012 dissout la fondation Furtado-Heine et transmet la gestion de l’hôtel directe- ment à l’IGESA. Cécile Furtado-Heine doit s’en retourner dans sa tombe, son legs n’a même plus d’existence officielle… En 2010, par un décret du président de la République, le général de corps d’armée du cadre de réserve Louis Dubourdieu est nommé prési- dent du conseil de gestion de l’IGESA. Ce saint-cyrien de 61 ans est l’archétype de l’officier d’état-major : il n’a commandé qu’un seul régiment, le 19e régiment du génie de Besançon. Son travail consiste à réunir une fois par an le conseil de gestion de l’IGESA dans les locaux de la résidence Voltaire au Kremlin-Bicêtre. En fait, le directeur de l’IGESA, Paul Pellegri, un énarque du ministère de la Défense nommé par arrêté ministériel, fait le boulot depuis ses bureaux de Bastia.

La Villa des officiers échappe à la crise

Opérateur social du ministère de la Défense, cet institut gère entre autres le fonctionnement de 150 établissements, dont les établissements familiaux de vacances, au nombre de 25, qui proposent un logis avec ou sans restauration et représentent 400 000 nuitées par an environ. En principe, ces établissements font l’objet d’une tarification établie en fonction des charges réelles hors coût de l’entretien immobilier qui est pris en charge par le ministère. La fondation Furtado-Heine Villa des officiers est la seule exception à ces dispositions classiques : la tarification des prix de cet hôtel-restaurant n’a rien à voir avec ses coûts de revient réels.

Et cette sous-tarification scandaleuse risque de devenir très problématique en notre période de crise. Dans leur rapport du 22 novembre 2012 « Le soutien de la politique de Défense », la sénatrice communiste Michelle Demessine et son collègue centriste Jean-Marie Bockel expliquent pourquoi… En effet, ils y détaillent la subvention allouée à l’IGESA en 2013 sur un budget total de l’action sociale de la Défense de 78,4 millions d’euros : « L’évolution des dépenses entre 2012 et 2013 tient notamment à la baisse de 13,8 millions d’euros de la subvention versée à l’Institution de gestion sociale des armées (IGESA) qui est réduite à 41,6 millions d’euros. Cette baisse de plus de 20 % intervient après plusieurs autres. En quatre ans, la subvention à l’IGESA aura été réduite de plus de 40 %. Le contrat d’objectifs et de moyens entre l’État et l’établissement demande à l’institution de développer ses ressources propres et d’optimiser sa gestion. Cela s’est traduit par la fermeture.

Bien évidemment, les syndicats majoritaires à l’IGESA et une bonne partie des salariés sont vent debout contre cette baisse des dépenses sociales du ministère. Dans un communiqué publié le 7 décembre 2012, le syndicat CGT-Défense met en garde contre « la politique sociale de l’institution [qui] se limite désormais à un blocage des salaires et cela depuis plusieurs années. Les déficits annoncés au titre des exercices 2012 et 2013 nous font craindre pour l’avenir. À cela, il faut ajouter, en 2014, la suppression par le minis- tère de 8M€ de la subvention vacances, subvention qui permet de financer les tranches tarifaires. » De son côté la fédération CGT des travailleurs de l’État dénonce, le 19 novembre 2012, dans un tract « la trésorerie de l’IGESA, qui représente 69 millions d’euros de bénéfices pour 2011. Plus 8,7 millions par rapport à l’exercice 2010, soit +12,5 % de trésorerie en plus. Dans quel but ? Dans le même temps, l’IGESA affiche un chiffre d’affaires en baisse de 9 millions qui s’explique par des prestations trop chères et une baisse de la qualité de l’offre. Pourquoi l’IGESA crée-t-elle cette manne finan-cière, sous couvert de son ministère de tutelle ? » Cette trésorerie participe-t-elle au rééquilibrage des comptes de l’hôtel-restaurant Villa des officiers ? Aucun de nos interlocuteurs n’a souhaité aborder le sujet. Les grands syndicats des personnels civils de l’armée (CFDT, FO, CGT et UNSA) n’ont jamais fait la moindre allusion publique aux mystères de la gestion de la Villa des officiers. Une chose est sûre : la Villa des officiers et son parc exotique de 4 600 m2 constituent un patrimoine immobilier unique sur la promenade des Anglais, d’une valeur minimum de plusieurs dizaines de millions d’euros. Le ministère de la Défense devrait s’en défaire rapidement dans l’intérêt du contribuable, mais certes au préjudice de ses officiers… d’établissements, la maîtrise de sa masse salariale et une augmentation sensible du prix de ses prestations. » La Villa des officiers n’a connu depuis ni augmentation de ses prix ni fermeture.

Extrait de "Défense française. Le devoir d'inventaire", Yvan Stefanovitch, (Editions du Moment), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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