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Vague FN chez les ouvriers, la réalité d'un grand basculement
©François NASCIMBENI / AFP

Bonnes feuilles

Brexit en juin 2016, présidentielle américaine de novembre 2016, présidentielle française de mai 2017. Ces scrutins ont mis en évidence un clivage nouveau au sein des démocraties occidentales. Quelle en est la nature ? Comment expliquer son émergence ? Est-il voué à perdurer ? Extrait de "Le nouveau clivage" de Jérôme Fourquet, aux éditions du Cerf (1/2).

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Si la diversité des opinions politiques existe dans le monde ouvrier, le FN y est aujourd’hui fortement enraciné. Comme le montre le graphique ci-dessous, la domination de la gauche est révolue sauf à intégrer l’ensemble des voix d’Emmanuel Macron dans le « total gauche » qui, même dans cette hypothèse maximaliste, atteindrait 49 %, soit nettement moins qu’à l’apogée du vote de gauche dans la classe ouvrière lors de l’élection présidentielle de 1981, où les candidats de gauche s’arrogeaient 66 % des voix dans cette catégorie.

Florent Gougou a identifié deux grands facteurs du désamour des ouvriers pour la gauche1. Les mutations industrielles d’une part (désindustrialisation, déclin de l’industrie lourde et des grandes concentrations ouvrières) qui ont principalement affecté le PC et l’exercice du pouvoir par la gauche, d’autre part, qui a coûté cher au PS, avec un décrochage très marqué à la fin des années Mitterrand. À l’issue du quinquennat de François Hollande, qui a déçu une large partie du « peuple de gauche », un tel phénomène s’observe de nouveau. Alors que François Hollande atteignait 21 % parmi les ouvriers en 2012, Benoît Hamon, lui aussi candidat du PS, n’en a recueilli que 5 % en 2017. Ce reflux a profité en partie à Jean-Luc Mélenchon, qui a amélioré ses scores de 2012 parmi les ouvriers : 25 % en 2017 contre 18 % à l’époque.

Le désamour prévaut également à droite. En 2012, Nicolas Sarkozy avait recueilli 14 % des voix ouvrières, son successeur a dû se contenter d’un étiage deux fois moindre (6 %). Le Penelopegate et les révélations sur le train de vie de François Fillon ont causé des dégâts dans l’électorat populaire de droite mais le décrochage avait commencé avant l’affaire. Le candidat de la droite était ainsi passé de 20 % à 11 % d’intentions de vote auprès des ouvriers entre décembre 2016 et janvier 2017, sous l’effet notamment des critiques formulées à l’encontre de son programme de réforme de la Sécurité Sociale.

Emmanuel Macron, avec 15 % des voix, a fait, quant à lui, nettement mieux que François Bayrou, qui le soutenait, et qui n’avait obtenu que 6 % parmi l’électorat ouvrier en 2012. Le leader d’En Marche ! élargit donc sensiblement l’assise du vote « centriste » dans cette catégorie de la population en captant sans doute des déçus de la gauche et de la droite. Si c’est parmi les cadres et les professions intellectuelles qu’il a été le plus massivement soutenu (37 %), Emmanuel Macron a donc également bénéficié d’une audience non négligeable chez les « cols-bleus ». Son niveau dans l’électorat ouvrier (15 %) est exactement le même que celui qu’était parvenu à atteindre François Bayrou dans cette catégorie en 2007, campagne durant laquelle le Béarnais porta lui aussi un discours de dépassement du clivage gauche droite et qui rencontra un écho auprès d’un ouvrier sur sept, étiage pour un positionnement central dans cette catégorie de la population.

Mais le leader d’En Marche ! est loin de rivaliser avec Marine Le Pen, qui domine dans cette catégorie de la population avec 4 électeurs sur dix (39 %). Alors que son père obtenait déjà ses meilleurs scores parmi les ouvriers et que cette catégorie lui resta relativement fidèle en 2007, quand Nicolas Sarkozy réalisa une OPA sur l’électorat frontiste, Marine Le Pen a considérablement renforcé et étendu l’assise du frontisme dans le monde ouvrier. Elle avait ainsi obtenu 33 % en 2012 et elle a progressé de 6 points en 2017.

À titre de comparaison on rappellera qu’en s’appuyant sur des données d’enquêtes de l’Ifop, le sociologue Mattei Dogan estimait à 38 % la part des ouvriers qui avaient voté pour des candidats communistes lors des législatives de 1962 ; et d’après la Sofres, le communiste Jacques Duclos recueillait 33 % des voix ouvrières lors de la présidentielle de 1969. Le FN de Marine Le Pen bénéficia donc en 2017 d’une audience égale voire supérieure au sein de la classe ouvrière à celle dont jouissait le Parti communiste au cœur de la Guerre Froide. Le poids des ouvriers dans la population ayant diminué par rapport aux années 1960, et le FN ne disposant ni du réseau de mairies, ni des structures associatives, ni des dizaines de milliers de militants et de sympathisants qui incarnaient le Parti dans les quartiers ouvriers et les usines, il n’y a pas aujourd’hui de contre-société frontiste dans le monde ouvrier comme il en existait une pour le PC. Pour autant, l’audience électorale et l’influence idéologique frontistes sont du même ordre de grandeur que celles qui firent la puissance du PC des années 1950 à la fin des années 1970 dans les milieux ouvriers. Et à l’instar de ce que l’on observe dans les autres pays industrialisés, une bonne partie des ouvriers rejettent les orientations économiques et idéologiques dominantes, comme le faisaient les ouvriers communistes dans les années 1950 à 1970. La dissidence des ouvriers les porte aujourd’hui à voter pour l’extrême droite populiste et à abandonner l’extrême gauche communiste.

Extrait de Le nouveau clivage de Jérôme Fourquet, aux éditions du Cerf (cliquez sur l'image).

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