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Il est urgent de permettre
à la Banque Centrale européenne
de sauver l'Europe
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Last dance pour l'Europe

Selon Die Welt, la Commission européenne, la France, l'Italie et les États-Unis auraient proposé au G20 que la BCE s'inspire de la Réserve fédérale américaine pour résoudre la crise en zone Euro en rachetant la dette souveraine des États membres. Une proposition vivement combattue par l'Allemagne mais qui ressemble pourtant à la solution de la dernière chance.

Frédéric Bonnevay

Frédéric Bonnevay

Frédéric Bonnevay est Associé d’Anthera Partners. Il conseille des institutions financières en Europe et au Moyen-Orient.

Il est notamment l'auteur de l'étude Pour un Eurobond - Une stratégie coordonnée pour sortir de la crise (Février 2010, Institut Montaigne).

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Atlantico : Pour la Commission européenne et certains États membres de la zone Euro, la BCE pourrait jouer un rôle semblable à celui de la réserve fédérale américaine pour répondre à la crise économique. La BCE doit-elle racheter les dettes souveraines sur le marché primaire, c'est à dire directement auprès des États ?

Frédéric Bonnevay : Depuis 2008, les dettes privées sont passées dans le giron public, avec un levier fiscal fonctionnant à plein. Les plans de relance se sont multipliés en Europe. Désormais, les bilans publics sont engorgés, et les États sont presque tous en faillite, surendettés, illiquides... C’est donc au levier monétaire de prendre le relais sous une double forme : augmentation de la masse monétaire en circulation, et utilisation de celle-ci pour acheter des obligations souveraines sur les marchés primaire et secondaire (le marché qui concerne 
les titres déjà émis par les administrations et que des banques, des compagnies d’assurances, des fonds d’investissement 
ou de pension vendent et achètent, on se situe sur les bourses ou marchés organisés).

La BCE (banque centrale européenne) ne lutte pas à armes égales avec ses consœurs (Réserve fédérale américaine, Banque d’Angleterre et celle du japon), sa mission étant restreinte à un point focal unique, celui de la stabilité des prix. De son côté, la Réserve fédérale américaine s'occupe à la fois de l’inflation et de la croissance durable sur tout le territoire.

Il paraît donc souhaitable, et les autorités de la BCE en ont pris conscience, d'élargir le mandat de Francfort pour soutenir la croissance, et ne pas rester obnubilé par les 2% de plafond d’inflation à ne pas franchir.

Un mandat élargi de la BCE se résume principalement à lutter contre l'émergence d'une hyper inflation, comme cela c'est déjà produit dans les pays qui ont utilisé leur banque centrale pour se désendetter. Et très vite cette inflation peut échapper à tout contrôle, en sachant qu'une inflation élevée génère toujours plus d’anticipation d’inflation, et donc toujours plus d’inflation réalisée. Quant au retour à la normale, il est extraordinairement difficile à opérer, et les recettes miracles échappent encore à notre domaine de connaissance.

Le grand avantage, c’est que cet élargissement du mandat de la BCE est la seule solution raisonnable aujourd’hui. Tout a été envisagé : augmenter le pouvoir de décision de Bruxelles, aller vers davantage d’intégration au niveau fiscal, opérer des plans d’austérité assez drastiques (plus ou moins coordonnés, et on ne peut que regretter ce manque de coordination)... Il faut désormais agir directement sur le désendettement des États en passant par l’augmentation de la masse monétaire et son utilisation pour des opérations de marché primaire et secondaire initiées par la BCE.

Les Etats sont trop endettés pour continuer à creuser leur déficit en tentant de soutenir leur activité. Il n'y a qu'un seul bailleur de fonds possible pour reprendre la dette des Etats en Europe et c'est la BCE. Et il faut traiter d’urgence la zone Euro, c’est à dire stabiliser les taux sur les marchés de capitaux, que ce soient les taux italiens, espagnols ou français... Cela permettra de prouver aux investisseurs qu’il y a un acheteur en dernier ressort, et qu’il n’y a pas lieu de s’emballer.

Ensuite, il faut refinancer les bilans publics, et mettre davantage de liquidités à disposition des États pour opérer ces financements, qui peuvent encore une fois ne venir que d’une seule source : la BCE, puisqu'elle peut librement et indéfiniment augmenter la taille de son propre bilan (engager de la création monétaire).

Ce ne serait d'ailleurs pas un phénomène nouveau pour la BCE, puisqu'elle pratique déjà le rachat de dettes souveraines, mais sur le marché secondaire… Elle est déjà copieusement intervenue, notamment au sein du programme SMP (Securities Markets Programme). La BCE est donc consciente des enjeux, même si concernant le SMP, il s'agissait d'un engagement inédit pour lequel M. Trichet a été vivement critiqué, par les Allemands en particulier. Elle achète encore aujourd’hui près de 100 milliards d'euros d’obligations souveraines sur le marché secondaire.

Deux possibilités s'offrent à la BCE : agir au travers d’un bras armé, le FESF en l'occurrence, ou agir seule et à reculons. Et c’est malheureusement vers cette dernière solution que l'Europe se dirige aujourd’hui.

La première solution serait de très loin préférable, puisque ce n’est pas le rôle d'une Banque centrale d’acheter du "papier" sur les marchés. En revanche, un fonds pourrait éventuellement être transformé en Banque, c'est d'ailleurs ce que proposait Bercy (ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie). C’est la solution la plus intelligente et la plus efficace pour augmenter la taille du bilan de la BCE, de manière à ce qu'elle puisse opérer des rachats de dettes souveraines de manière illimitée.

Une fois encore, la mauvaise solution risque d'être retenue, et je crois que l'Europe fera marche arrière, puisque c’est un invariant européen que d’explorer toutes les mauvaises solutions avant de se diriger vers la seule bonne. J’espère donc que le FESF pourra devenir une banque, et intervenir librement sur les marchés en allant se financer auprès de la BCE.

Elle achète actuellement directement les dettes souveraines (sur le marché secondaire) à contre cœur, puisqu'elle précise bien ne vouloir le faire que temporairement et dans une limite très stricte.

Or, en matière de politique monétaire, la parole est performative, et le message envoyé aux investisseurs par la BCE compte plus que l’action de la BCE à proprement parler. La preuve en a été faite aux États-Unis avec le programme Tarp, qui avait atteint ses objectifs avant même d’être actionné. Notamment car il était clair, et son exécution sûre et certaine. Les investisseurs ont donc préemptivement réalisé l’objet de la mission confiée confiée à ce programme, et Tarp est devenu un ectoplasme… C’est vers ce même équilibre vertueux que la BCE doit se diriger aujourd’hui, en énonçant clairement ses intentions... Celles d’acheter directement de la dette souveraine, ou mieux encore par le biais du FESF sur les marchés primaire et secondaire. C’est la seule façon de rassurer les investisseurs.

Un mandat élargi de la BCE sous-entendrait toutefois plus de fédéralisme et un engagement dans le long processus de modification des traités. Les États membres de la zone Euro sont-ils prêts à accepter une perte de souveraineté économique ?

Sous la pression, l'Europe est capable de davantage d’intégration politique dans es temps records, même la Chancelière allemande le faisait remarquer. Il est donc possible que l'Europe aille vers davantage de fédéralisme, et ce ne serait que la première étape en faveur d'une politique monétaire plus active et autonome.

Quant à la perte de souveraineté économique... la Banque de France, celle d'Allemagne et d'Italie ne sont en réalité que de simples antennes statistiques de la BCE… Elles n’ont d’autre rôle que de commenter des décisoons prises au niveau de Francfort.

Enfin, concernant la perte de souveraineté au niveau de la politique budgétaire, et donc fiscale, elle est déjà en cours... en Italie et en Grèce, avec gouvernements dits de technocrates, dont la conduite est dictée par la BCE (cf. Lettre de Jean-Claude Trichet adressée à Silvio Berlusconi quant aux points à respecter pour s’assurer du soutien de la BCE). Et on se dirige à grands pas vers une situation identique dans toute l’Europe. Les États n’ont plus le choix.

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