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Une oeuvre méconnue : quand Mozart composait un opéra sur la franc-maçonnerie
©AFP

Bonnes feuilles

Laure Dautriche publie "Ces musiciens qui ont fait l’Histoire" aux éditions Tallandier. Face au pouvoir, la plupart des musiciens se sont engagés et ont choisi d'entretenir avec les puissants des rapports d'admiration, de séduction ou d'opposition. Laure Dautriche nous invite à suivre le parcours singulier de treize génies pris dans les tourments de l'Histoire. Extrait 1/2.

Laure Dautriche

Laure Dautriche

Laure Dautriche est journaliste à Europe 1 depuis 2009. Diplômée en musicologie et en lettres modernes, elle est également violoniste.

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Le réconfort, encore et toujours, il le trouve dans sa loge. Cela fait maintenant six ans qu’il a rejoint le cercle des initiés. Mais alors que s’ouvre l’année 1791, à Vienne, la franc-maçonnerie n’est plus la brillante société d’élites qu’elle était au milieu des années 1780 quand Mozart et Haydn l’avaient rejointe. Elle est persécutée par la police impériale. Depuis la mort de l’empereur Joseph II quelques mois plus tôt, en février 1790, c’est Léopold II qui est à la tête du Saint Empire romain germanique. Jusqu’ici, les francs-maçons ont bénéficié d’une certaine tranquillité, mais le nouvel empereur craint des débordements, effrayé par les grondements de la Révolution française. Et il entend bien mettre un terme à l’attitude libérale de son prédécesseur envers la franc-maçonnerie. On la suspecte d’être en contact avec des révolutionnaires français. Bon nombre des chefs de file des mouvements républicains en France font partie de la confrérie. Les francs-maçons autrichiens doivent donc se réfugier dans la clandestinité. À l’époque, personne ne sait encore que trois ans plus tard, la franc-maçonnerie cessera d’exister en Autriche, avec des francs-maçons qui fermeront leurs loges de leur plein gré.

Mozart a toutes les peines à s’attirer les bonnes grâces de l’empereur. Est-ce parce qu’il est un fidèle franc-maçon ou à cause de ses ennuis financiers ? On ne le sait pas. Ce qui est sûr, c’est que Léopold II l’ignore ostensiblement. Lorsque le souverain apparaît pour la première fois dans un théâtre, c’est pour assister à un opéra de Salieri ! Quelques semaines plus tard, Mozart n’est même pas invité à la fête du couronnement du  nouvel empereur, alors qu’il est le musicien de la chambre impériale. Humilié, il enrage. Mozart vit cela comme un affront personnel, et choisit de s’y rendre à ses propres frais en mettant en gage son mobilier. 

Telle est alors sa situation lorsqu’un de ses amis lui fait une proposition qui sera la dernière grande aventure  musicale de sa vie. Au printemps 1791, Emanuel Schikaneder, directeur d’un théâtre à Vienne et ancien franc-maçon, propose à Mozart de monter ensemble un opéra sur un thème inspiré par la franc-maçonnerie, un opéra à la gloire de la société. Ce sera La Flûte  enchantée. Alors que la confrérie est directement menacée, le moment est bien choisi, pense sans doute Mozart, pour faire comprendre que la franc-maçonnerie prône le vrai bonheur de l’humanité. Il faut que la joie inonde l’œuvre d’un bout à l’autre. Sans oublier l’idée d’amour et de lumière. Ce sera son testament spirituel. Mais pour l’heure, l’opéra mûrit dans son esprit. Mozart ne trahit à l’époque aucun signe de fatigue. Il n’y a aucune raison de penser qu’il n’a plus que neuf mois à vivre.

Très impatient de faire entendre aux Viennois son opéra féérique, Schikaneder installe Mozart dans un petit pavillon de bois dans le jardin de son théâtre, pour qu’il travaille plus tranquillement. Et plus rapidement, surtout. Pour la mise en scène, Schikaneder veut beaucoup  d’effets spéciaux. L’œuvre doit être populaire et grandiose. L’opéra doit surprendre et plaire aux nobles comme aux petites gens. Dix changements de décors sont prévus. Les trappes, les appareils volants seront dissimulés sous des fleurs. Des montagnes envahiront la scène. La Reine de la Nuit apparaîtra sur un trône décoré d’étoiles étincelantes. Tout cela au milieu d’un décor de montagnes, puis de pyramides. Reste à écrire la musique. 

En septembre 1791, pendant un séjour à Prague, Mozart est invité à une réunion de francs-maçons. Il est accueilli avec les honneurs. À son entrée dans le temple, les frères alignés sur deux rangs le saluent en chantant la cantate La Joie du maçon qu’il a composée six ans plus tôt pour un chœur d’hommes et un petit orchestre. L’œuvre débute par un grand air de ténor. Puis, sur la partition, la mélodie finale est joyeusement reprise par le chœur, comme dans les cérémonies maçonniques. Mozart est touché. Ému même. Comme un clin d’œil, il glisse alors à ses frères : « Bientôt, je rendrai un meilleur hommage à la franc-maçonnerie. » Il veut bien évidemment parler de La Flûte enchantée. La première représentation a lieu à Vienne trois semaines plus tard. 

En ce soir du 30 septembre 1791, bourgeois, commerçants, valets et servantes se pressent au Theater auf der Wieden, le théâtre de Schikaneder. La salle est pleine. L’encre de la partition est encore fraîche, Mozart a terminé d’écrire l’Ouverture dans la nuit. À dix-neuf heures, le compositeur paraît sur scène pour diriger son œuvre depuis le clavecin. Le rideau se lève et on aperçoit un temple maçonnique. Les héros, Pamina et Tamino, doivent rejoindre le cercle des initiés. Pour cela, ils traversent ensemble une série d’épreuves initiatiques qui sont des références à peine voilées au rituel des loges. Pour affronter ces épreuves, Pamina est aidée par deux instruments de musique qui ont le pouvoir de stopper le mal : le carillon de Papageno et la flûte de Tamino. 

L’occasion n’a jamais été si belle pour Mozart de montrer sa propre vision de la franc-maçonnerie. Une chose lui tient particulièrement à cœur : l’égalité entre les hommes et les femmes. Quoi de mieux que cet opéra pour le dire ? Mozart décide donc d’initier Pamina. Oser formuler qu’une femme puisse rejoindre la franc-maçonnerie est une révolution en Autriche. Il n’y a qu’en France qu’elles sont acceptées. Ainsi, Pamina n’est pas seulement la compagne de Tamino. Elle est sa jumelle dans l’accession à la lumière. Mozart lui réserve les airs les plus sensibles, frémissants, parfois désespérés, montrant sa grandeur d’âme, qui fait penser avant l’heure aux héroïnes romantiques du XIXe siècle. Et que dire de la musique ? Les références à la franc-maçonnerie sont partout, discrètement. Dans l’acte II, le grand chœur des prêtres est un véritable choral maçonnique. Pas de violons, pas de cordes. Mozart fait la part belle aux instruments à vent graves : cors de basset,  bassons, trombones. Autant d’instruments que l’on retrouve dans les réunions des loges. La couleur musicale est unique. Il met la trompette à l’honneur dès les premières mesures de l’Ouverture alors qu’il a à plusieurs reprises manifesté son hostilité pour cet instrument. Le chiffre 3, si symbolique pour les francs-maçons, apparaît souvent. Un triple accord, puissant et solennel, ouvre l’opéra. Il y a aussi trois dames, trois enfants, trois épreuves : du silence, de l’eau et du feu. Et le chœur final s’achève sur les mots « force », « sagesse » et « beauté », c’est-à-dire sur les trois vertus cardinales des francs-maçons. 

Dans la salle, on imagine les francs-maçons stupéfiés de voir les symboles de la confrérie dévoilés à la vue de tous. Bien sûr, le rituel exact n’est pas présenté sur scène, mais de nombreuses scènes, si elles semblent anecdotiques pour la plupart du public, sont immédiatement comprises par les initiés. Ils viennent d’assister au premier opéra maçonnique de l’Histoire. C’est aussi l’idéal de Mozart qui éclate : en dépassant l’ignorance du monde des apparences à travers des épreuves, on peut accéder à la véritable connaissance. 

Mais la force de cet opéra est ailleurs. On y trouve plusieurs niveaux de lecture, et il peut être compris parfaitement par ceux qui ne sont pas francs-maçons. C’est bien le défi que s’est fixé Mozart. En écrivant un opéra en langue allemande, et non pas en italien, il veut être compris de tous. Varier également les styles, pour toucher toutes les classes sociales. Sa musique mélange gravité et légèreté, sacré et profane, comique et tragique. C’est un triomphe. Vingt représentations sont données durant le mois d’octobre. Soir après soir, Mozart observe les réactions de la salle. Mais, parallèlement, sa situation personnelle ne s’améliore guère.

Extrait du livre de Laure Dautriche, "Ces musiciens qui ont fait l’Histoire", publié aux éditions Tallandier.

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