Une kamikaze parmi les terroristes de Saint-Denis : pourquoi l’Etat Islamique utilise désormais des femmes pour mener ses attaques<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme a déclenché la charge explosive qu'elle portait sur elle à Saint-Denis. Une première.
Une femme a déclenché la charge explosive qu'elle portait sur elle à Saint-Denis. Une première.
©Reuters

Au féminin.djihad

Lors de l'assaut qui s'est déroulé le 18 novembre au matin à Saint-Denis, en banlieue parisienne, une femme a déclenché la charge explosive qu'elle portait sur elle. Une première sur le territoire français mais pas nécessairement sur d'autres terrains d'actions du djihad islamique à travers le monde, que ce soit au Nigéria avec Boko Haram, en Syrie avec Daech ou encore en Russie avec les islamistes tchetchènes.

Géraldine Casutt

Géraldine Casutt

Géraldine Casutt est doctorante en sociologie des religions à l’Université de Fribourg (Suisse) et à l’EHESS (Paris). Elle prépare une thèse sur la composante féminine du jihad contemporain.

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Atlantico : Quel rôle, concrètement, les femmes tiennent-elles au sein de l'organisation Etat islamique ?

Géraldine Casutt : Les femmes qui rejoignent l’EI se destinent principalement à être l’épouse d’un jihadiste, et une mère, qui aura ainsi la responsabilité d’inculquer l’amour du jihad à la nouvelle génération, avec l’espoir de la rendre encore plus radicale que celle des parents. Le jihadisme repose en effet sur un principe de complémentarité entre les sexes, garant de l’équilibre social : comme dans toute idéologie conservatrice et fondamentaliste, chaque sexe sera appelé à ne pas remplir une fonction attribuée à l’autre sexe, sous peine de créer le déséquilibre du système. C’est pour cela, entre autres, que les femmes n’ont pas le droit de combattre pour le moment dans l’EI au même titre que les hommes : être une femme dans l’EI ne signifie pas la même chose que d’y être un homme, en raison de cette complémentarité des sexes que l’on estime déterminée et voulue par Allah. Les hommes sont appelés principalement à combattre, et les femmes à enfanter, tout en préservant leur sphère familiale et maritale. Cependant, les femmes peuvent également être un puissant instrument de propagande, notamment lorsqu’elles sont en Syrie, où elles apparaissent comme des modèles pour celles encore en Europe qui s’interrogent sur une éventuelle hijra vers l’EI. Il ne faut pas sous-estimer la capacité d’une femme à agir dans l’ombre pour faciliter les objectifs de l’EI, ni son influence sur les hommes.

Que disent les textes religieux sur la place des femmes dans le djihad ? Si elles sont cantonnées à un rôle traditionnel, comment certaines d'entre elles en viennent-elles à prendre les armes ? S'agit-il d'exceptions ?

Lorsqu’elles s’inscrivent dans le jihadisme, les femmes qui prennent les armes ou qui se font exploser sont toujours une exception : la déstabilisation de cette complémentarité des sexes que j’évoquais précédemment ne peut se faire que sous condition et très rarement, sinon elle met en danger un des fondements de l’idéologie. Que se passerait-il si les femmes pouvaient endosser les mêmes rôles que les hommes dans le jihad ? C’est aussi un reproche qui est fait à l’Occident : que chaque sexe empiète sur ce qui est dévolu à l’autre et que finalement, on ne sache plus précisément qui est un homme ou une femme, ce qui est aussi une des raisons pour laquelle les sociétés occidentales sont pointées comme étant dysfonctionnelles par les jihadistes. Si les femmes se font exploser, c’est généralement dans une perspective stratégique de l’organisation : pour créer la surprise, car on se méfie moins d’une femme que d’un homme, mais aussi pour pallier le manque potentiel d’hommes, comme on a notamment pu le voir en Tchétchénie.

Ainsi, l’utilisation d’une femme pour la violence directe n’est jamais anodine dans ce type de groupe, mais fait toujours figure d’exception. Pour des raisons stratégiques cependant, le rôle de la femme peut être amené à évoluer, notamment dans le terrorisme sur le sol occidental. Pour parler de la légitimation religieuse de la femme combattante dans le jihad, on peut s’appuyer sur un certain nombre de hadiths rapportant les histoires de femmes qui se sont retrouvées sur les champs de bataille au côté du Prophète, et qui généralement sont restées dans des rôles appropriés vis-à-vis de leur nature féminine (apporter de l’eau aux combattants, les soigner par exemple). Cependant, on trouvera aussi des exceptions où des femmes se sont élancées sur le champ de bataille, notamment pour protéger le Prophète, mais cela ne justifie pas une participation au combat direct des femmes pour le moment : on remarque aussi que si la femme mobilise la violence, c’est plutôt dans une optique de défense que d’attaque. L’image de la femme prête à combattre peut aussi être utilisée dans une optique d’humiliation envers des hommes qui n’auraient pas ce courage, alors que c’est pourtant le devoir qui incombe à leur sexe : combattre les ennemis de la oumma (la communauté musulmane transnationale), et protéger les membres de cette même oumma, dont les femmes musulmanes.

Quelles sont les motivations profondes qui les poussent dans un premier temps à rejoindre les rangs de l'Etat islamique, et dans un deuxième temps, à accepter pour certaines de se sacrifier ?

On part souvent du principe que les femmes auraient des motivations différentes que les hommes pour rejoindre l’EI, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Une femme entrera généralement par la même porte qu’un homme dans le jihad, avec les mêmes révoltes politiques et sociales, en ayant détecté les mêmes failles ; tout comme lui, elle validera un système, qui entend apporter une solution et régénérer ces déséquilibres en s’inscrivant dans une légitimité religieuse, permettant ainsi de concéder un caractère irréfragable aux revendications tout comme aux moyens donnés pour atteindre les buts suprêmes du système, parmi lesquels l’établissement et la pérennisation de l’Etat Islamique.

Les femmes qui décident de partir pour l’EI sont également d’avis qu’elles ne peuvent pas vivre pleinement leur religion en Europe et mettent souvent l’argument de l’islamophobie en avant pour justifier leur départ, argument qui s’ajoute évidemment à d’autres : elles estiment notamment que l’EI est le seul endroit où l’on peut vivre conformément à la sharia, et que c’est donc la seule place où elles pourront être « musulmanes à part entière ». Il est intéressant de relever que le discours de l’incompatibilité de l’islam avec le système occidental se retrouve tant dans les mouvances jihadistes que dans les sphères de l’extrême-droite.

Ainsi, même si une femme se laissera vraisemblablement convaincre par les mêmes arguments qui toucheront un homme, des motivations plus genrées vont émerger, car puisque le jihadisme ne réserve pas le même rôle aux hommes qu’aux femmes, ces dernières vont devoir se représenter en tant que femmes dans le jihadisme et donc développer une motivation propre à ces rôles déterminés. Un discours sur leur condition de femme occidentale jugée insatisfaisante et aliénante va ainsi émerger, et elles estimeront que la place réservée à la femme dans le jihadisme leur permettra d’accéder à une forme de liberté par la soumission, non pas aux hommes, mais à Dieu. En ce qui concerne la question du sacrifice, le statut de martyr est aussi désiré par ces femmes, mais si pour les hommes cet accès se fait généralement par une violence directe, les femmes ont des conditions d’accès au martyre qui peuvent aussi leur être propres, comme par exemple lors d’une mort en couche. Il n’en reste pas moins que le statut de veuve de martyr est désirable, autant pour l’ici-bas que pour l’au-delà, que cela soit en terme de respectabilité ou de récompenses. 

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