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La dernière étude de la Fondapol confirme la montée en puissance d’un vote protestataire.
La dernière étude de la Fondapol confirme la montée en puissance d’un vote protestataire.
©CRÉDITLUDOVIC MARIN / AFP

Fondapol

La dernière étude de la Fondation pour l'innovation politique confirme la montée en puissance d’un vote protestataire et témoigne de l'évolution du tableau politique de la France.

Mathilde Tchounikine

Mathilde Tchounikine

Mathilde Tchounikine est chargé de mission auprès de la Fondation pour l'innovation politique. 

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Atlantico : Votre étude Mutations politiques et majorité de gouvernement dans une France à droite l’indique, la France est « à droite ». À quel point ce constat est-il clair ? Comment s’articule la diversité de ce positionnement « à droite » ?

Mathilde Tchounikine : Nous avons cherché à mesurer le poids électoral de la droite dans la société française. Pour cela, nous sommes partis des résultats électoraux des candidats de droite au premier tour de la présidentielle, soit le total des voix de Marine Le Pen, Éric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle et Valérie Pécresse, qui représente 40 % des suffrages exprimés. Cependant, pour calculer le poids réel de la droite, il nous paraissait juste prendre également en compte une partie des électeurs d’Emmanuel Macron. En effet, notre enquête montre que 47 % des électeurs de Macron s’autopositionnent à droite sur l’échelle gauche-droite, tandis que 20 % se positionnent à gauche, 19 % au centre, et que 12 % ne se positionnent pas. Nous avons donc ajouté au poids de la droite les électeurs de Macron qui se positionnent à droite, ce qui donne une droite à 53 %. Pour aller plus loin, nous y avons ajouté les électeurs de Macron se positionnant au centre ou ne se positionnant pas sur l’axe gauche-droite mais que le système de valeurs, identifié par une série d’items, place plutôt à droite. Au total, au premier tour de la présidentielle, la droite représente donc 58 % des suffrages exprimés.

Bien sûr, il n’y a pas une seule droite. Interrogés à partir de notre série d’items dans le but de définir des systèmes de valeurs sur l’axe gauche-droite, les électorats divergent sur la majorité des sujets. Ainsi, s’ils restent une majorité (63 %) à penser que « la plupart des immigrés ne partagent pas les valeurs de notre pays et cela pose des problèmes de cohabitation » par exemple, les électeurs d’Ensemble ! au premier tour des législatives (57 %) sont moins nombreux que ceux de LR (69 %), mais surtout que ceux du RN (91 %) ou de Reconquête ! (94 %) à choisir cet item[1], et seulement 38% pour les électeurs de la Nupes. Sur un autre plan, les divergences entre les droites se font également sur la question de l’Union européenne : les électeurs d’Ensemble ! et de LR qui souhaitent que la France sorte de l’UE sont très minoritaires (respectivement 3 % et 7 %). Même au sein de l’électorat RN, le « Frexit » est minoritaire (32 %). Seuls les électeurs de Reconquête ! sont plus de la moitié à vouloir quitter l’UE (51 %).

Cette France, à droite, est-elle correctement représentée politiquement et médiatiquement ? A quel point existe-t-il une distorsion entre les débats publics et médiatiques et la réalité du positionnement des Français ? Comment l’expliquer ?

Nous l’avons montré, la droite représente plus de la moitié de l’électorat français. Or depuis la campagne pour les élections législatives, l’attention médiatique semble particulièrement focalisée sur l’alliance des gauches, la Nupes, et notamment sur la personne de Jean-Luc Mélenchon. En effet, si l’équité du temps de parole a été équilibrée sur la période du 02 mai au 10 juin 2022, le mois de mai a vu une surexposition de la Nupes, les partis de gauche cumulant près de 50 % du temps d’antenne[2], ce qui semble disproportionné au vu de leur poids électoral réel.

Cependant, la question de la représentation politique et médiatique va au-delà du clivage gauche-droite. La plupart des électeurs ne se retrouvent ni dans le traitement médiatique de l’actualité ni dans la parole politique : 66 % des électeurs ne se sentent pas concernés par les sujets couverts par les médias ; et 74 % disent ne pas se sentir concernés par les sujets dont parlent les responsables politiques. Ces chiffres sont encore plus élevés chez les répondants qui adoptent un comportement protestataire (vote pour un parti protestataire, vote blanc ou abstention). Alors que l’abstention (52,5 %) et la protestation électorale (77 %) atteignent des records historiques au premier tour des législatives, l’un des enseignements essentiels de cette année électorale est bien la mise en évidence d’une double crise de la représentation, politique et médiatique.   

Vous évoquez « la prise en charge systématique de préoccupations populaires mises au ban des sujets légitimes, tant par les partis de gouvernement que par le monde médiatique » qui a favorisé le RN. Cette distorsion peut-elle expliquer, en partie, la montée, inexorable, du vote protestataire et la place actuelle du RN ?    

Il existe effectivement des thèmes qui sont rejetés par certains partis, comme la laïcité, la sécurité ou l’immigration. Ce dernier, bien qu’évoqué pendant les campagnes électorales, reste souvent perçu comme une préoccupation indigne dans les médias. Pourtant, la moitié (47 %) des électeurs répondent que « les populations d’origine étrangère finiront par être majoritaire en France ». Il faut noter que cette crainte ne concerne pas seulement les électeurs de droite. Elle est partagée par 28 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle et par 31 % des électeurs de Fabien Roussel comme de Yannick Jadot. Quel que soit leur avis sur le sujet, il faut donc bien, pour convaincre, que les partis politiques de gauche comme de droite, abordent cette question. Abandonnés par les partis de gouvernement, ces sujets, essentiels pour les Français, ont trop longtemps été l’apanage du RN, ce qui explique forcément une partie de sa réussite actuelle, non seulement dans les urnes mais aussi dans l’opinion publique. Rappelons que, avec EELV, le RN est le parti dont les idées suscitent l’adhésion la plus large : 39 % des électeurs indiquent être d’accord avec les idées du parti.

Quelles sont les conséquences politiques et démocratiques de cette situation que vous décrivez ?

La première conséquence des résultats électoraux de 2022, c’est l’incertitude. Le système partisan est mis à mal. Dominé par LFI au sein de leur alliance, le statut de parti de gouvernement du PS est mis en cause. La question du futur des LR dans la recomposition des droites est elle aussi centrale, alors que les électeurs de droite sont particulièrement divisés sur la question des alliances : ils sont 34 % à souhaiter une alliance LR-Ensemble !, 39 % une alliance LR-RN-DLF-Reconquête !, ce qui, compte tenu du rapport de force actuel, les placeraient sous la domination du RN, et 26 % ne souhaitent pas que les LR fasse une alliance. Mais l’absence d’alliance expose au risque de devenir un parti impuissant, entre le RN et Renaissance (ex-LREM). Enfin, la question du renouvellement des deux principaux partis protestataires, LFI et RN, doit également être posée. Interrogés sur la prochaine élection présidentielle, les électeurs sont une minorité à souhaiter voir une candidature de Jean-Luc Mélenchon (26 %) et de Marine Le Pen (38 %), malgré le fait que cette dernière soit la deuxième personnalité politique la plus attendue pour 2027, derrière Édouard Philippe (44 %). Le futur du macronisme est également incertain : Emmanuel Macron effectuant son dernier mandat, Renaissance sera forcément poussée à se métamorphoser dans les années qui viennent.


[1] Cet item est proposé en opposition avec : « La plupart des immigrés partagent les valeurs de notre pays et c’est un enrichissement culturel ».

[2] Paul Sugy, « Temps de parole : les mélenchonistes monopolisent l’antenne », Le Figaro, 22 mai 2022 (www.lefigaro.fr/politique/temps-de-parole-les-melenchonistes-monopolisent-l-antenne-20220522).

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