Une chance pour l’Europe : les Allemands vont être obligés d’abandonner leur credo économique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chancelier allemand Olaf Scholz s'exprime lors d'une conférence de presse avec le président français Emmanuel Macron après un sommet de l'UE, le 17 décembre 2021.
Le chancelier allemand Olaf Scholz s'exprime lors d'une conférence de presse avec le président français Emmanuel Macron après un sommet de l'UE, le 17 décembre 2021.
©JOHN THYS / PISCINE / AFP

Atlantico Business

La coalition qui vient de s’installer au pouvoir en Allemagne va sans doute devoir gérer la plus grande mutation économique depuis un siècle. Et c’est peut-être une très bonne nouvelle pour l’Europe et pour la France.  

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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« Les Allemands vont être obligés de cesser d’être allemands ». La boutade qui prouve que certains Allemands ont de l’humour vient d’un député conservateur qui assistait aux vœux de Olaf Scholz. Le nouveau chancelier allemand expliquait que l’Allemagne d’aujourd’hui était devant « sa plus grande restructuration depuis 100 ans », et qu’il se sentait missionné pour transformer toute l’industrie allemande et lui permettre d’affronter les mutations de la modernité.

Le nouveau gouvernement allemand n’a d’ailleurs pas tardé à amorcer le changement alors qu’il est confronté aux difficultés sanitaires et aux critiques de l’opinion publique sur les retards pris avec la vaccination. Les deux premières décisions qui étaient en tête du contrat de gouvernement ont déjà été prises et sont loin d’être symboliques.

La première revient à augmenter le Smic allemand de 9 euros de l’heure à 12 euros, soit plus de 30 %. De quoi provoquer un choc de consommation mais aussi dégrader la compétitivité coût.

Et puis, la deuxième décision a consisté à rappeler l’objectif d’atteindre la neutralité carbone dès 2045, ce qui représente un effort colossal pour l’appareil de production allemand.

Ces deux seules mesures prises et adoptées amorcent le changement radical dont parle le nouveau chancelier.

Il faut savoir que, jusqu'à maintenant, la puissance allemande qui justifiait son leadership européen reposait sur la formidable compétitivité de son modèle. Cette compétitivité est le pur produit des réformes Schroeder, c’est à dire d’abord les réformes Hartz du marché du travail entre 2003 et 2005, sous le mandat du chancelier Gerhard Schröder (SPD). Et puis dans la foulée, l’ensemble du mandat de Gerhard Schröder avait consisté à s’adapter systématiquement aux contraintes de la mondialisation. Angela Merkel a repris et adapté le même logiciel.

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Pendant plus de dix ans, l’Allemagne a tout fait pour devenir le champion de l‘exportation vers les pays émergents, tout fait pour améliorer sa productivité globale, tout fait pour imposer une rigueur budgétaire orthodoxe, d’abord à elle-même et ensuite aux pays membres de l’Union européenne.

Les accords de Maastricht et la maitrise monétaire par la BCE ont été les deux outils pour indirectement faciliter cette compétitivité allemande. Les autres pays membres ont souffert, obligés de mettre en œuvre des plans d’austérité pour réduire leur déficit, sachant que c’était la condition pour que l'Allemagne réassure le système et permette aux autres de s‘endetter à un prix supportable.

Les mesures du nouveau chancelier peuvent rebattre toutes les cartes parce qu’elles transgressent les dogmes précédents.

1er point : l‘augmentation des salaires, et notamment des bas salaires, va forcément provoquer une relance de la demande intérieure, mais aussi une augmentation des coûts, ce qui aura un impact sur la puissance concurrentielle. Ça n’est pas mauvais pour les producteurs européens, les Italiens, les Français et les Espagnols. Ça n’est pas mauvais pour l’industrie de l’agro-alimentaire ou du luxe et les services de tourisme.

2e point : l’engagement de décarboner va obliger les Allemands à changer de stratégie au niveau de la production d’énergie. Ils n’en sont pas à remettre en route les centrales nucléaires, mais il va falloir qu’ils trouvent une solution pour remplacer les centrales au charbon, sortir de la dépendance au gaz russe (60% de leur énergie), parce que les énergies renouvelables ne permettront pas d’offrir une alternative correcte, d’autant que les éoliennes, qui poussent comme des champignons partout dans la campagne allemande, commencent à mécontenter singulièrement les populations rurales. Sans parler des risques fréquents de black-out. Pour les Allemands, ça n’est pas un changement qui se prépare, c’est une révolution qu’il va falloir provoquer et financer, parce que là encore, une telle mutation va générer des hausses de coût dans l’industrie allemande, donc une baisse de la compétitivité des produits made in Allemagne.

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3e point : la prise en compte des changements de rapport de force géopolitique. Jusqu'alors, l’Allemagne a nourri sa croissance en étant le premier fournisseur d’équipements industriels de la Chine. Très bien, sauf que maintenant la Chine est équipée, son marché de consommation existe, la Chine a les moyens de devenir concurrent de l’Occident et notamment de l’Allemagne.

4e point : la politique budgétaire va être beaucoup plus difficile à redresser. Comment ramener un budget à l’équilibre et réduire l’endettement à zéro quand les excédents vont reculer, moins de rentrées, moins de recettes fiscales, plus de dépenses sociales parce que la population vieillit. Tout se passe comme si l’Allemagne va entrer dans le camp des « pays européens normaux ». Pour beaucoup d’Européens, cette perspective annonce un changement d’attitude des représentants allemands à Bruxelles. En France, du côté de Bercy mais aussi en Italie dans l’entourage de Mario Draghi, on estime que la coalition allemande, en dépit de l’ADN des Allemands sera moins exigeante.

C’est la raison pour laquelle les pays du Sud de l’Europe préparent des réformes pour rééquilibrer le logiciel allemand, vers plus d’investissement, plus de plans en commun, plus de relocalisation et moins de compétitivité en Allemagne, mais plus de consommation interne, donc plus de marchés ouverts aux Européens, moins d’importation en provenance des pays émergents ou alors des importations plus chères parce qu’intégrant une taxe carbone.

Tout cela mis bout à bout va peut-être contribuer à construire une Allemagne qui sera, pour reprendre le mot de ce député conservateur, beaucoup moins « allemand » qu’avant et plus euro compatible. 

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