Un pape politique à Jérusalem : ce qui se joue pour François en Terre sainte<!-- --> | Atlantico.fr
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François effectue ce dimanche une visite à Jérusalem dans le cadre de son déplacement de trois jours en Terre sainte.
François effectue ce dimanche une visite à Jérusalem dans le cadre de son déplacement de trois jours en Terre sainte.
©REUTERS/Dylan Martinez

Un jésuite en mission

Après avoir rencontré ce samedi 24 mai le roi et la reine de Jordanie, le pape François se rend à Jérusalem. La frontière entre diplomatie et religion, difficile à situer, alimente les controverses autour de cette visite.

Manlio Graziano

Manlio Graziano

Manlio Graziano enseigne la géopolitique et la géopolitique des religions à l’American Graduate School in Paris, à Paris IV – La Sorbonne et à la Skema Business School. Parmi ses publications, Essential Geopolitics: A Handbook - Manuel essentiel de géopolique (2011), Il secolo cattolico. La strategia geopolitica della Chiesa (2010) – L’Italie, un État sans nation ? (2007) et Identité catholique et identité italienne. L’Italie laboratoire de l’Église (2007). Il est en train de rédiger un essai sur la géopolitique des religions (Guerre sainte et Sainte alliance : Religions et désordre international au XXIe siècle, à paraître en 2014).

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Atlantico :  Le pape effectue ce dimanche 25 mai une visite à Jérusalem dans le cadre de son déplacement de trois jours en Terre sainte. Malgré la portée symbolique d’une telle destination, François a insisté sur le caractère uniquement religieux de ce voyage. Comment interpréter ce positionnement prudent pour ce voyage ? 

Manlio Graziano : Je crois qu’il faut s’habituer à l’idée que François est le premier pape jésuite de l’histoire de l’Église. Et un jésuite est, parmi tous les adjectifs qui peuvent le caractériser, avant tout prudent. Mais il s’agit d’une prudence particulière, qui mêle un recul apparent et public avec une connaissance profonde et un engagement aussi total que discret.

En particulier, dans cette région, cette attitude est indispensable : même avant de partir, le pape a déjà fait l’objet de polémiques de part et d’autre. Il est certain que, quoi qu’il fasse et quoi qu’il dise, ses mots seront exploités par les uns et par les autres dans leurs querelles réciproques. Au Proche-Orient, même un pape jésuite risque d’être à court de ressources.

Avant d’arriver à Jérusalem, François a rencontré le roi et la reine de Jordanie, ainsi que plusieurs réfugiés syriens. Une démarche qui paraît, elle, un peu moins religieuse. Quelle carte le Vatican a-t-il à jouer dans la région ?  

Une précision lexicale s’impose : quand une autorité de l’Église insiste sur le caractère purement "religieux" de l’une de ses démarches, cela veut dire simplement que l’accent est mis sur la politique de l’Église elle-même, plus que sur la politique des autres. Je m’explique : les voyages des papes, et tout particulièrement ce voyage, suivent l’agenda de l’Église, et veillent à éviter – dans les limites du possible – de se faire entraîner dans les agendas des autres. Dans le cas spécifique, il s’agit de la politique de "sainte alliance" avec les autres grandes religions du monde[1], une alliance qui passe d’abord par la fin des divisions au sein du monde chrétien. N’oublions pas que ce voyage est fait à l’occasion du 50e anniversaire de la rencontre historique entre Paul VI et le patriarche orthodoxe de Constantinople Athénagoras Ier, lors de laquelle les deux chefs religieux retirèrent leurs excommunications réciproques prononcées en 1054.

Dans quel état d’esprit le pape François sera-t-il reçu à Jérusalem par les représentants religieux et politiques israéliens ? Quel est l’état des relations entre les différents acteurs ? 

Je l’ai dit : il y aura de grands sourires, mais chacun essaiera d’exploiter ce voyages pour ses propres finalités, soit en essayant de tirer le pape de son côté, soit en l’attaquant pour avoir dit, ou ne pas avoir dit, telle ou telle autre chose, ou pour avoir fait, ou ne pas avoir fait, telle ou telle autre chose.

François va consacrer une partie de son séjour à la rencontre de représentants des différentes communautés religieuses du pays. Comment peut-il influer sur l’apaisement entre les communautés dans un pays où sa visite ne suscitera pas le même enthousiasme qu’ailleurs ? 

Je ne crois pas que le pape, ou qui que ce soit dans les milieux de l’Église, se fasse d’illusions sur la possibilité d’influer sur l’apaisement entre les communautés. Avec ce voyage, l’Église a un objectif "religieux", qui est celui d’avancer sur le chemin de la "sainte alliance", et un objectif plus proprement politique, ou géopolitique, qui est de sauver ce qui reste de la présence chrétienne dans la région. Pour le premier, elle contrôle presque tous les leviers ; pour le second, elle est obligée de plonger dans le vif de la crise politique locale, en passant par la diplomatie, la négociation, le sens de l’équilibre, la tactique, etc. Dès que vous êtes l’une des parties en cause, il devient très difficile de favoriser l’apaisement, même si vous en avez besoin pour atteindre vos buts.

Quels seront les éléments qui feront de ce séjour, déjà effectué avant lui par Benoît XVI et Jean-Paul II, un succès pour le pape François ?

Une grande partie des intellectuels et des médias du monde entier sont indubitablement sous le charme de pape François : c’est dire à quel point notre époque est à la recherche de points de repères. Je dis cela parce que je crois que si les intellectuels et les médias ont décidé que ce voyage sera un succès, alors ils le présenteront comme un succès quoi qu’il arrive – à moins évidemment d’un désastre majeur.

En réalité, je crois que les succès – si succès il y a – concerneront la partie "religieuse", c’est-à-dire les progrès dans la voie de la "sainte alliance", et surtout du rapport avec le monde orthodoxe, c’est-à-dire ce qui intéresse le moins les intellectuels et les médias. Sur la partie "politique", concernant les conflits locaux, je crois que les chances de succès sont minimes. Mais, je le répète, ce n’est pas ce qui se passera réellement sur le terrain qui sera discuté, mais comment les médias décideront d’en parler. Ce qui, pour un pape jésuite, n’est pas forcément une mauvaise chose.



[1] Le livre Guerra santa e santa alleanza. Introduzione alla geopolitica delle religioni nel XXI secolo (Guerre sainte et sainte alliance. Introduction à la géopolitique des religions au XXIe siècle), de Manlio Graziano, sortira en Italie en octobre et aux États-Unis l’année prochaine.

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