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Un office national de lutte contre la haine ou le dernier exemple en date du renoncement politique face à la montée de la violence
©PATRICK HERTZOG / AFP

Décision

Le ministre de l'Intérieur s'est rendu ce mercredi au cimetière juif de Westhoffen. 107 tombes ont été profanées mard. Christophe Castaner a annoncé mercredi la création au sein de la gendarmerie d’un "office national de lutte contre la haine".

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico.fr : En réponse à la profanation du cimetière juif de Westhoffen hier, Christophe Castaner a annoncé la création d'un "Office national de lutte contre la haine" "chargé de coordonner pour la gendarmerie nationale à la fois l'enquête pour que tous les moyens soient mobilisés, mais aussi l'ensemble des enquêtes sur les actes antisémites, antimusulmans, antichrétiens que nous connaissons sur notre territoire en zone gendarmerie."

Ce genre d'annonces relève-t-il de l'amélioration du fonctionnement de la justice ou du gadget politique ? 

Guillaume Jeanson : Il est sans doute trop tôt pour être catégorique. Pourquoi ? D’abord, parce que le ministre a fait savoir à certains de vos collègues qu’il s’inspirait d’une cellule mise en place par la gendarmerie nationale dans le Bas-Rhin, un département "particulièrement touché par ces actes" pour créer une structure similaire à "compétence nationale". Si l’initiative vient du terrain, c’est peut-être que l’utilité en est réelle pour les gendarmes. Ce qui fonctionne toutefois efficacement de manière décentralisée fonctionnera-t-il nécessairement aussi bien de manière jacobine ? Ensuite, parce qu’à ce stade, le ministère de l'Intérieur n’a pas souhaité se prononcer sur la date de création, les modalités de fonctionnement et l’appellation exacte (une cellule, un office…) de cette nouvelle structure qui seront vraisemblablement arrêtées dans le cadre des travaux sur le "livre blanc" sur la sécurité intérieure.

Reste qu’en s’exprimant comme il l’a fait le 4 décembre, alors qu’il était en déplacement au cimetière juif de Westhoffen où 107 tombes ont été profanées dans la nuit du 2 au 3 décembre 2019, en disant « J’ai décidé ce matin (…) la création d’un office national de lutte contre la haine », Christophe Castaner ne peut que donner, il est vrai, l’impression assez grossière d’offrir une simple réponse politique tenant du gadget miracle face à l’injonction traditionnelle : celle de s’évertuer à soigner dans l’instant - « j’ai décidé ce matin » - les esprits légitimement échauffés par cette profanation honteuse. La sémantique choisie, celle qui consiste à « lutter contre la haine », fait par ailleurs écho à celle retenue il y a deux mois par Angela Merkel qui avait promis une « tolérance zéro » et s’était engagée à mieux « combattre la haine » après l’attaque du 9 octobre dernier contre la synagogue de Halle en Basse-Saxe. Une attaque qui pour mémoire avait causé deux morts, et ce, le jour de la célébration de la fête juive de Yom Kippour. 

La glose sur la posture politique et les soupçons qu’elle suscite en termes d’objectifs court-termistes et purement électoralistes ne doit toutefois pas masquer une réalité vraiment inquiétante : la hausse significative des actes antisémites. La Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) a en effet fait savoir dans son « bilan 2018 des actes racistes, antisémites, antimusulmans et antichrétiens » qu’après deux années de baisse en 2016 et 2017, le nombre de faits à caractère antisémite avait augmenté de 74% en 2018. Ce phénomène ne touche hélas pas que la France. Puisque nous faisions référence à l’Allemagne, précisons que l’an dernier, les actes antisémites y ont augmenté de près de 20 % par rapport à 2017, selon les statistiques de la police. Le phénomène semble même avoir pris une importance telle que le souverain pontife a lui-même fait part, lors de son audience générale prononcée mercredi 13 novembre place Saint-Pierre, de sa préoccupation face à la hausse de l’antisémitisme dans le monde en condamnant avec force le retour de persécutions dont des personnes de confession juive font l’objet. 

D’aucuns pourraient certes tenter de balayer cette réalité un peu vite en s’abritant derrière un autre phénomène plus global, une autre hausse bien réelle aussi, celle des tensions généralisées, pour tenter d’imaginer que les agressions frappent « de manière égalitaire » toutes les religions et communautés. Le 21 novembre 2019 à Villepinte, lors d’une conférence organisée dans le cadre du salon Milipol, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Pierre de Bousquet de Florian, n’avait en effet pas mâché ses mots en déclarant que « nous nous trouvons face à une dégradation des rapports sociaux (…) à une forme d’ensauvagement général de la société ». Mais ce serait oublier qu’à l’inverse de la dynamique associé aux actes antisémites, les autres faits à caractère raciste et xénophobe ont quant à eux accusé une baisse de 4,2 %. Les actes anti-musulmans auraient eux-mêmes atteint, cette année, leur plus bas niveau depuis 2010. Bien sûr, on ne peut que se réjouir de ces dernières baisses et nous ne sommes pas là pour compter les points. Mais il est important en revanche de ne pas minimiser non plus la gravité de la tendance actuelle et ciblée face à laquelle le pouvoir tente d’apporter une réponse.

La multiplication des mesures (que ce soit des lois ou des organes de "coordination") contre les "porteurs de haine" est-elle efficace ? Sur quoi faudrait-il plutôt mettre l'accent ? 

Pour réagir face à la montée des actes antisémites, le gouvernement allemand a annoncé le 28 novembre dernier que l’antisémitisme allait bientôt être considéré en Allemagne comme une circonstance aggravante et être sanctionné plus sévèrement au pénal. En France, cette circonstance aggravante existe depuis déjà bien longtemps. Au-delà de cette circonstance aggravante, il faut préciser que notre droit est déjà très bien pourvu pour sanctionner les actes antisémites : il compte en effet plusieurs infractions qui figurent tant dans le Code pénal que dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il permet également de sanctionner l’antisémitisme via la provocation à la haine raciale et via le négationnisme depuis la loi Gayssot. Une loi contre les contenus haineux sur Internet destinée à retirer certains contenus haineux sous 24 heures des réseaux sociaux, plates-formes collaboratives et des moteurs de recherche doit d’ailleurs en plus être examinée par le Sénat ce mois-ci. Multiplier les lois sur ce sujet semble donc davantage répondre aujourd’hui à un besoin politique qu’à un réel besoin pratique, ce qui revient à dire que le spectre de l’instrumentalisation législative à des fins politiciennes n’est évidemment plus très loin. La conséquence est une complexification inutile et contreproductive du droit qui peut même parfois se retourner contre ceux que le législateur zélé prétend vouloir protéger. 

Multiplier les organes est aussi un exercice périlleux. Pourquoi ? Parce qu’en le fractionnant toujours plus, on prend bien souvent le risque d’handicaper l’exercice du pouvoir. Du moins comme expression d’une volonté politique cohérente. S’intéressant au « foisonnement des autorité administratives indépendantes », le général Bertrand Soubelet dans son livre « Tout ce qu’il ne faut pas dire » a brocardé avec beaucoup de sagesse ces institutions dont « les objectifs sont louables » mais « dont les méthodes peuvent parfois mettre en difficulté l’exécution de missions capitales pour notre pays, en l’occurrence pour la sécurité des citoyens ». Des autorités qui, selon cet ancien numéro 3 de la gendarmerie nationale, sont « la parfaite illustration de l’incapacité politique à réformer et à contrôler l’Administration », « la résurgence d’un vieux réflexe jacobin qui consiste à créer une instance insoupçonnable pour régler les difficultés de fonctionnement de la vie publique ou économique ». 

L’annonce de la création d’un nouvel organe est d’autant plus curieuse qu’elle s’inscrit à contre-courant d’une politique qui, sous couvert de réaliser des petites économies, choisit malheureusement aujourd’hui de s’en prendre à des dispositifs tels que la MIVILUDES, cette mission de lutte contre les sectes, à l’INHESJ, l’institut national des hautes études de sécurité et de justice et à l’ONDRP, l’observatoire nationale de la délinquance et de la réponse pénale, qui offrent de réels atouts pour penser les politiques publiques de réponse à tel ou tel fléau criminel. Le gouvernement semble donc faire de la godille : il supprime des laboratoires d’idées et d’analyses qui ont prouvé leur utilité ces dernières décennies pour réaliser de bien modestes économies tout en en annonçant à chaud la création d’un autre organe dont l’utilité et l’efficacité pose, du moins à ce stade, encore question. Il est urgent de retrouver une vision. Il est urgent de recouvrer le courage d’une cohérence.

Ce qui compte, ce n’est pas la rapidité de l’annonce politique. C’est la capacité réelle d’une politique à infléchir un phénomène criminel pour limiter le nombre de victimes. Ce qui compte ce n’est pas le discours, ce sont les actes. Le gouvernement a-t-il tenu ses engagements de construction de nouvelles places de prison ? A-t-il tenu ses engagements de développement de peines de travail d’intérêt général ? At-il tenu ses engagements de simplification de la procédure pénale ? La réponse est hélas dans chacune de ces questions. C’est en permettant à la justice de fonctionner normalement, en exécutant rapidement des sanctions réelles et non symboliques ; c’est en acceptant de nommer la réalité de ce nouvel antisémitisme qui résulte aujourd’hui en grande partie des dérives radicales islamistes, pour couper court à toute forme de complaisance et en travaillant en amont de la chaine judiciaire sur ce phénomène, qu’on se donnera une chance véritable de réduire le nombre de victimes.

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