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Un habeas corpus républicain pour l’islam de France ? Pourquoi le recteur de la mosquée de Paris se trompe dans sa manière d’aborder la question des musulmans français
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Contre-sens

Dans une tribune du Point, le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubaker, demande que la stigmatisation des musulmans français cesse et réclame un "habeas corpus républicain" pour les protéger.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Dans une tribune signée par le recteur de la Mosquée de Paris et publiée par l'hebdomadaire Le Point, Dalil Boubakeur déclare "Depuis la première "affaire du foulard" en 1989 jusqu'au débat sur "Islam et laïcité" le 5 avril 2011 en passant par le débat sur l'identité nationale, la "burqa", le "halal", ou les "prières de rue", les musulmans de France sont victimes d'une stigmatisation permanente dans certains médias comme dans l'ensemble de l'échiquier politique, sous la plume de certains intellectuels ou politiciens." . Derrière cette accusation, ne pourrait-on pas dire que la cible des "attaques" ici dénoncées a été l'Islam politique et non "les musulmans" comme le prétend Dalil Boubakeur ?

Eric Deschavanne : Si Dalil Boubakeur avait eu l’intention de montrer à tous les Français que le problème n’est pas seulement le djihadisme ni l’islamisme, mais l’islam même, il ne s’y serait sans doute pas pris autrement. Que veut-il signifier quand il réclame un "habeas corpus" qui protège l’islam et les musulmans de la critique par les intellectuels, les politiques et les journalistes si ce n’est que les musulmans – tous les musulmans – sont par essence incapables de vivre dans une démocratie libérale où règne la liberté d’expression ? Il est à cet égard opportun de rappeler que Dalil Boubakeur s’était associé à l’UOIF pour porter plainte contre Charlie Hebdo dans l’affaire des caricatures du Prophète. Dans la mesure où l’on ne peut considérer le Recteur de la Grande Mosquée de Paris comme un "fanatique", il faut vraisemblablement imputer ses prises de positions à son souci de se faire le porte-parole du musulman moyen. C’est bien ce qui est le plus inquiétant ! Il n’y a pas en France un problème de l’islam, il y en a trois. Il y a en premier lieu le problème du terrorisme qui s’exerce au nom de l’islam. Il est l’œuvre d’une infime minorité, heureusement condamnée par l’immense majorité des musulmans. Il y a ensuite le problème de l’islam "séparatiste" - l’islamisme et le salafisme - dénoncé par la tribune des cent intellectuels dans le Figaro. Il y a enfin le problème de l’islam "mainstream" lequel, confronté à la nécessité de s’adapter aux mœurs d’une société démocratique moderne, refuse de "changer" et choisit, lors des polémiques que font naître l’islam séparatiste, de s’associer à l’islamisme plutôt qu’aux défenseurs de l’idéal républicain. C’est très exactement ce que fait Dalil Boubakeur lorsqu’il porte plainte contre Charlie Hebdo, s’offusque d’une tribune d’intellectuels qui rappelle les principes républicains et déplore que la burqa ou les prières de rue alimentent l’islamophobie des Français : plutôt que d’appeler les musulmans à s’intégrer, à assimiler les valeurs et les mœurs de la société française, il préfère, par conviction, calcul ou lâcheté, reprendre la complainte victimaire et identitaire par laquelle les islamistes entreprennent de séparer les musulmans de leurs compatriotes. 

En pointant du doigt les médias, les politiques et les intellectuels, Dalil Boubakeur ne se trompe-t-il pas lui-même de cible ? 

Il se trompe de stratégie, dans la mesure où il contribue ainsi – en donnant le sentiment que les musulmans, même "modérés", sont allergiques à la critique - à renforcer la "stigmatisation" des musulmans qu’il déplore. La "présomption d’innocence républicaine" à l’égard des citoyens Français de confession musulmane n’interdit nullement la mise en examen de l’islam sur le plan intellectuel ni la discrimination entre les pratiques religieuses selon qu’elles paraissent ou non conformes à la laïcité, voire même aux mœurs de la société française. On peut faire crédit au recteur de la Mosquée de Paris - ce qui le distingue de personnages comme Tariq Ramadan et Marwan Muhammad, ou d’organisations telles que l’UOIF et le CCIF – de ne pas souhaiter que cette stigmatisation des musulmans se renforce. Il a raison sur un point : les polémiques qui ont l’islam pour objet ont bien pour effet d’accroître la défiance des Français non musulmans à l’égard de leurs compatriotes de confession musulmane. Le musulman intégré et discret dans sa pratique religieuse peut légitimement éprouver le sentiment d’être une victime collatérale de ces polémiques et des excès auxquels elles peuvent donner lieu. Mais précisément : un responsable musulman réellement soucieux de l’intégration de ses coreligionnaires devrait plaider pour l’assimilation aux mœurs démocratiques, dont l’acceptation de la liberté critique et du débat fait partie. 

En contribuant ainsi à créer un amalgame par opposition, quels sont les risques pris par le recteur de la Mosquée de Paris ? 

La politique du Recteur de la Mosquée de Paris est celle de l’autruche. Il est dans le déni systématique du "problème de l’islam" mais ne veut pas voir non plus que celui-ci nourrit les discours identitaires – celui des islamistes comme celui d’une islamophobie qui peut à tout moment, chez certains, devenir intolérante. Le conflit identitaire ne peut pas bénéficier à la minorité musulmane, et ce n’est donc pas servir celle-ci que de l’entretenir. Il est compréhensible qu’une partie des Français soient irrités par le retour du fanatisme, de l’intolérance et de la haine des Juifs, par la régression de la liberté des femmes, l’exhibitionnisme des pratiques religieuses, la résurgence d’un obscurantisme que les autres religions ont depuis longtemps abandonné. Il est légitime que cette irritation puisse s’exprimer sous la forme d’une "islamophobie" pacifique, c’est-à-dire sous la forme d’une libre critique sur le plan intellectuel et politique. Dalil Boubakeur devrait comprendre que, lorsqu’il répugne à aborder le fond des problèmes pour récuser la critique elle-même ainsi que l’expression de la défiance à l’égard de l’islam, non seulement il ne fait rien pour lutter efficacement contre la "stigmatisation" des musulmans, mais il renforce le camp des musulmans hostiles aux valeurs du monde démocratico-libéral. Pour un musulman doté d’une conscience politique aujourd’hui, il n’y a pas de position neutre, "centriste" ou modérée possible : il faut nécessairement être soit du côté d’une réforme de l’islam permettant d’assimiler la modernité démocratique et scientifique, soit dans le camp réactionnaire qui a pour projet de restaurer l’intégrité de l’islam en l’expurgeant de la contamination des valeurs de la modernité occidentale. Ceux qui, à l’image de Dalil Boubakeur, refuseront de choisir clairement leur camp, seront à terme voués à la marginalisation. 

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