Umami : le cinquième goût est-il vraiment la révolution gastronomique qu’on nous promet ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le umami est la dernière tendance à la mode en gastronomie.
Le umami est la dernière tendance à la mode en gastronomie.
©MONICA SCHIPPER Getty Images via AFP

Bonheur des papilles

Le "umami", qui correspond au "cinquième goût" selon les Japonais, est de plus en plus tendance en Occident. Pourrait-il changer le rapport des chefs à leur cuisine ?

Fabrizio Bucella

Fabrizio Bucella chronique la science et le vin. Docteur en physique et professeur des universités à l'université libre de Bruxelles, il tient une chronique pour Le Point "Le prof en liberté". Chaque semaine, on le retrouve dans le poste de radio et télévision belge de service public (RTBF). Sur les réseaux sociaux, il publie quotidiennement une vidéo ludique sur le vin et la science. Ses comptes sont suivis par plus de 200 000 abonnés.

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Atlantico : Le "umami", qui correspond au "cinquième goût" d'après les Japonais, déferle sur l'Occident, à en croire la presse anglo-saxonne. De quoi s'agit-il exactement ?

Fabrizio Bucella : Il est assez complexe de définir le umami. C’est une histoire gustative, bien sûr, mais il ne faut pas perdre de vue que c’est aussi, pour partie à tout le moins, une affaire marketing. A cet égard, il est pertinent de rappeler la différence de perception entre le umami, du côté des Japonais, et ce qu’en observent les occidentaux car le sujet est aussi très culturel. Notons d’ailleurs que c’est la première fois que l’une des saveurs dites fondamentales a un nom culturellement marqué. 

Passé ce préambule, il importe de définir ce qu’est une saveur fondamentale. Sur le plan scientifique, il s’agit d’une saveur gustative qui engendre une réponse sensorielle spécifique, liée à une famille de molécules spécifiques et potentiellement à des récepteurs spécifiques au niveau des papilles. L’umami, puisque c’est de lui qu’il est question, serait la responsable sensorielle à la famille de molécule à laquelle appartient le glutamate monosodique (GMS). 

C’est un exhausteur de goût. C’est pour cela qu’il est difficile de définir sa saveur exacte puisqu’il vient relever le goût des autres aliments. Une étude menée sur des monolingues américains et des bilingues anglais-japonais illustre bien la difficulté des premiers à poser un mot sur le goût exact de l’umami tandis que les locuteurs d’origines japonaise disposaient d’au moins deux mots pour l’identifier : umaï, que nous avons traduit par umami, et ajinomoto, du nom de la firme qui commercialise le glutamate monosodique au Japon. Cette firme, il est intéressant de le savoir, a été fondée par un homme réputé pour avoir découvert la saveur umami. L’entreprise qu’il a fondée commercialise d’ailleurs le GMS aux producteurs industriels.

Les quatre premiers goûts sont généralement associés au doux, à l'acide, à l'amer ou au salé. Comment qualifier, en Français, le umami ? Existe-t-il ici aussi depuis plus longtemps que nous ne pourrions le penser ?

Il est vrai de penser que l’umami existait chez nous, et ce depuis longtemps, certainement les Romains avec leur garum qui est un concentré de glutamate monosodique. Plus récemment, Jean Anthelme Brillat-Savarin a popularisé le terme “osmazôme” (du grec ancien osmế pour « odeur » et zômós pour « jus, bouillon »), 100 ans avant Ikeda, le fondateur de la société Ajinomoto. Le terme remonte, lui-même, au premier empire et désigne un phénomène chimique spécifique : l’extraction des saveurs des viandes. C’est celle que l’on retrouve dans les bouillons et les potages, qu’on retrouve dans de nombreuses cultures, y compris occidentales. L’extraction lente, par chaleur, de légumes, de viandes ou de poissons entraîne l’apparition (notamment) de glutamates monosodiques, ce qui correspond à l’umami. La composition du bouillon cube est assez proche de celle de l’umami, même s'il y a davantage de gras et de sel. C’est pour cela que nous avons plus de mal à l’identifier en occident.

Le parmesan, par exemple, est composé de beaucoup de graisse et de beaucoup de sel… Ainsi que d’une bonne dose de glutamate monosodique. Mais encore faut-il retirer la graisse et le sel pour identifier le dernier composant. Sans l’avoir dégusté de façon “pure”, il est difficile de l'identifier.

Faut-il penser qu'il pourrait changer le rapport des chefs à leur cuisine ? Dans quelle mesure faut-il s'attendre à des changements gastronomiques ?

Il ne faut pas s’attendre au moindre changement sur le plan gastronomique. L’idée même que l’umami pourrait bouleverser notre culture gustative est, à mon sens, une vaste blague. Ce qui n’empêche pas un certain nombre de cuisiniers de parler d’umami, parce qu’il s’agit d’un terme très à la mode ces derniers temps. Mais dans les faits, nos grands-mères utilisaient déjà l’umami “naturel” dans leurs propres plats. Les oignons, par exemple contiennent beaucoup “d’umami naturel” et c’est bien pour cela qu’il faut les faire rissoler dans la poêle avant la préparation et non pendant. C’est tout l’objet de l’extraction. C’est vrai aussi pour les tomates (particulièrement les tomates cerises et les tomates très mûres, qui sont des grandes pourvoyeuses d’umami) que l’on cuit lentement. Les sauces à base de tomates sont remplies de glutamate monosodique. Le viandier de Taillevent est rempli de recettes qui comportent, peut-être involontairement mais tout de même, du glutamate monosodique. Cela n’a rien de nouveau. 

Cela étant, être en mesure d’identifier les ingrédients qui en sont pourvoyeurs pourrait pousser tout un chacun à cuisiner plus souvent à la maison.

Le umami est réputé pour sa capacité à tenir l'altitude mieux que les autres saveurs. Quels pourraient être ses autres usages spécifiques ?

C’est très juste et vous avez de raison de penser que l’on peut utiliser le glutamate monosodique d’autres façons (autrement d’ailleurs, que ne procède l’industrie qui s’en sert généralement pour couvrir l’utilisation d’ingrédients de mauvaise qualité en réhaussant le goût). 

L’un des problèmes contre lequel le glutamate monosodique peut aider à lutter, me semble-t-il, c’est celui de la dénutrition des personnes âgées qui tendent à perdre appétit et arrêter de se nourrir. Souvent, on recommande de saler un peu plus (mais pas trop) les plats, pour en réhausser le goût. Le souci vient du fait que le sel, consommé en trop fortes doses, peut s’avérer dangereux pour la santé. Il peut être remplacé par le glutamate, qui est aussi un exhausteur de goût mais ne présente pas les mêmes risques.

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