Ukraine : les désarrois de la droite nationale<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour et Marine Le Pen lors d'une réunion à Matignon en février 2022.
Eric Zemmour et Marine Le Pen lors d'une réunion à Matignon en février 2022.
©STEPHANE DE SAKUTIN / POOL / AFP

Campagne présidentielle

Marine Le Pen et Eric Zemmour marchent sur des œufs dans le cadre du conflit russo-ukrainien. Ils sont critiqués par certains candidats à l'élection présidentielle pour leurs positions pro-Poutine avant le début de l'offensive russe en Ukraine.

Yves Laisné

Yves Laisné

Yves Laisné est docteur en droit, ancien enseignant-chercheur à l’Université, ancien auditeur de l’IHEDN, Jurisconsulte pour le droit français inscrit sur la liste du Kammergericht de Berlin et auteur de plusieurs ouvrages juridiques. L’auteur cumule, sur un demi-siècle de vie professionnelle, une expérience diversifiée de la fonction publique, de l’organisation patronale, de chef d’entreprise, dans le conseil stratégique, les fusions acquisitions, la transmission d’entreprises. Esprit complètement indépendant et profondément libéral, il a mené une expérience de la métapolitique acquise au cours de longues années de lutte contre l’idéologie communiste.

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Le Pen, Zemmour, Pécresse, les candidats de la droite nationale, pour les deux premiers, rattachée (par le souvenir gaulliste) pour la troisième, marchent sur des œufs dans le cadre du conflit russo-ukrainien.

S’ils se gardent de s’opposer frontalement à la légitime indignation qui s’est saisie des populations européennes et de la majorité de l’opinion mondiale, à la suite de l’invasion d’un Etat souverain par l’armée de son voisin, les tenants de la droite nationale cherchent manifestement, de biais, à apporter leur soutien au maître du Kremlin.

Les angles d’attaque sont variés : critique des sanctions, par les effets sur le « pouvoir d’achat des Français » qu’elle risquent d’avoir, rappel de l’appartenance historique de l’Ukraine à la sphère russe (« Kiev, berceau de la Russie »), critique de l’extension de l’OTAN à l’Est, « provocatrice », voire critique des mouvements nationalistes ukrainiens en reprenant les accusations de « nazisme » de M. POUTINE, critique de la réduction au silence des organes de propagande du SVR (le service secret extérieur russe) que sont Russia Today et Sputnik, au nom de la « liberté d’expression « .

On disait naguère du journal « Le Monde » qu’il n’était pas procommuniste, mais « anti-anticommuniste ». Subtile distinction qui permettait au respectable quotidien du soir d’éviter de se voir imputer une bienveillance directe pour les crimes du soviétisme.

La droite nationale est en train d’entrer curieusement dans la même logique. Elle ne soutient pas ouvertement l’agression poutinienne, mais cherche à attaquer ou à affaiblir ce qui la combat. Une logique qu’on trouve aussi dans le négationnisme : les négationnistes, pour la plupart, ne disent pas que la Shoah n’a pas existé, mais s’attaquent aux preuves en prétendant que celles-ci ne sont pas probantes et que donc, dès lors qu’il n’y a pas de preuves formelles, ce crime peut être mis en doute (Irving).

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Cette méthodologie est marquée du sceau de la mauvaise foi. Vladimir Poutine a ordonné à son armée d’envahir l’Ukraine, sans déclaration de guerre. Il est vrai que son plus grand prédécesseur Josef Staline – qu’il n’a jamais condamné – avait dit : on ne déclare plus une guerre, on la commence. Le silovik (barbouze, officier de renseignement) du Kremlin est un bon élève. On oublie bien vite à droite que, jusqu’à l’âge de 40 ans environ, Vladimir Poutine était officier de renseignement du KGB, la structure de subversion extérieure (1er directorat, devenu SVR) et de répression intérieure (2ème directorat, devenu FSB), du régime soviétique.

Toute la formation, la culture, la psychologie du président russe sont soviétiques. Bien sûr le KGB n’était pas le Parti communiste soviétique et il existait même une sourde rivalité entre les deux, comme il a toujours existé, dans les sociétés d’ordres, des rivalités entre les hommes d’armes (les bellatores) et le clergé (les oratores). Mais, nonobstant le caractère prétendument universel du communisme (abandonné par Staline), les ordres dominants soviétiques étaient d’accord dans le nationalisme… russe.

L’extension du l’Union soviétique après la guerre de 39-45 n’était pas une extension du communisme, mais une extension de l’empire russe. Le totalitarisme soviétique n’était que l’instrument de l’impérialisme russe. Un impérialisme touché au cœur par la chute de l’Union soviétique, amèrement et publiquement regrettée par Poutine, comme la plus grande catastrophe politique du XXème siècle.

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Dans ce contexte, l’indépendance ukrainienne, la sortie de ce grand pays de la sphère d’influence russe après la révolution de 2014, le vivace nationalisme d’une fraction des ukrainiens, ne pouvait être regardé que comme inacceptable par celui qui s’est toujours opposé à voir qualifier de génocide l’Holodomor, extermination des ukrainiens par la famine ordonnée à la fin des années 1930 par Staline.

Très curieusement, notre droite nationale, qui s’affirme très attachée aux frontières, et qui parle d’invasion quand quelques milliers de pauvres hères, venus du Moyen-Orient ou d’Afrique, s’infiltrent à travers celles-ci, ne paraît pas spécialement émue de la violation des frontières d’un Etat souverain, internationalement reconnu, par des colonnes de chars d’assaut et de véhicules blindés accompagnés de soldats qui, pour la plupart, ne savent même pas ce qu’ils viennent faire là.

Pourquoi cette incohérence ?

A priori cette droite nationale, dont une fraction importante manifeste, publiquement ou non, son attachement au Maréchal Pétain, chef de la Collaboration avec l’occupant nazi, ne devrait pas détester particulièrement ces nationalistes ukrainiens dont certains, naguère, se sont compromis avec les SS, moins par attachement au IIIème Reich que par haine pour l’oppresseur soviétique (Bandera).

Elle ne devrait pas manifester sa sympathie – directe ou camouflée – pour ce qui se révèle être une tentative de restauration de l’influence impériale russe (alias soviétique) sur tout l’Est de l’Europe.

Il n’en est rien.

Par-delà les accusations de dépendance financière (le fameux prêt d’une banque russe au Front national), qui ne sont qu’anecdotiques, il semble que la fascination de la droite nationale française pour le silovik du Kremlin, tienne à une tout autre cause, qui inscrit d’ailleurs pour une part cette droite nationale dans une tradition gaullienne : la haine de la civilisation anglo-saxonne et de son expression la plus influente, les Etats-Unis.

Dès lors que l’Ukraine se rattache à un Occident américanisé et libéral, elle peut périr, sa qualité de nation lui être déniée, son peuple être bombardé, ses réfugiés même être méprisés.

La Russie agressive d’aujourd’hui, c’est pour cette droite nationale qui, selon le mot prêté à Talleyrand, n’a rien appris, ni rien oublié, l’espoir un peu fou de restauration d’une grandeur française perdue dans l’émergence des Etats-continents, en se jetant dans le soutien à une ambition impériale aux antipodes de nos valeurs de paix, de liberté et de prospérité.

Alors oui, en représentant moins d’un pour cent de la population mondiale et moins de 4% du PIB mondial, la France ne peut plus être, par-delà toutes les nostalgies, la puissance dominante qu’elle était avant la Guerre de Sept ans et qu’elle est pour partie restée jusqu’à la fin du XIXème siècle.

Elle doit choisir de se rattacher au soft power anglo-saxon, dont chacun peut s’abstraire s’il a assez de caractère pour, loin de Panurge, ne pas suivre les médias « mainstream », ou au hard power russe ou chinois dont le refus est sanctionné de mort ou de déportation.

La droite nationale, dans sa majorité, montre une complaisance dérangeante vis-à-vis des régimes autoritaires.  

Ce n’est pas mon choix.

Yves Laisné

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