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Tueries de masse : ces causes qui passent sous le radar des obsessions médiatiques
©AFP

Las Vegas parano

Les Etats-Unis ont été frappés par deux tueries de masse en l'espace d'à peine 13 heures samedi et dans la nuit de dimanche, d'abord à El Paso, au Texas, puis à Dayton, dans l'Ohio. Depuis janvier 2019, c'est déjà la 251ème fusillade mortelle ayant eu lieu aux Etats-Unis, soit 44 de plus que l'année dernière à la même date.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

Voir la bio »

Interview initialement réalisée en octobre 2017

Que nous apprend de nouveau sur c​e phénomène la récente tuerie de masse perpétrée à Las Vegas (58 morts, plus de 400 blessés) ?

Rien. Seul fait marquant, le nombre de morts, sans égal dans l'histoire de tels massacres. Sinon, business as usual - surtout dans les médias français, qui toujours, radotent qu'il y a des "profils", que les armes en circulation aux Etats-Unis expliquent tout, etc. Revenons-en à la réalité des faits.

Y a-t-il, jamais eu un "profil" pour les auteurs de ces massacres de masse ?

Jamais. Aux Etats-Unis, ces tueurs sont exactement monsieur tout le monde. La preuve. L'assassin de masse de Las Vegas est un blanc sexagénaire aisé, un peu négligé et instable, aimant jouer gros. Avant la tuerie, il n'a jamais commis d'infraction. Et les autres auteurs des pires tueries de l'histoire américaine ? Un agent de sécurité Afghan - un étudiant coréen un peu déprimé (sympathisant démocrate) - un étudiant blanc de vingt ans (libertarien et vegan) - un camionneur blanc irritable - un père de famille (blanc) sans histoire - Deux Pakistanais auto-fanatisés - un postier (blanc) après une réprimande - un ex-tireur d'élite des Marines - deux lycéens (blancs) de bonne famille (aux parents démocrates) - un médecin psychiatre issu du Moyen-Orient (enregistré démocrate) - un ex-militant de la présidentielle de Barack Obama, etc. Fait-on un profil avec ça ? La presse Bobo exige toujours plus de "diversité" ? Eh bien, elle est servie.

N'oublions pas les déments : en septembre 2013 Aaron Alexis tue 12 personnes au fusil de chasse, dans un bâtiment (sécurisé) de la Marine de guerre, à Washington, puis est abattu par un policier. Electricien, ce métis converti au bouddhisme entendait des voix et jouait à des jeux vidéo violents. Sans doute paranoïaque, il a agi en pleine confusion mentale.

Le FBI essaie depuis plus de vingt ans d’établir un profil de l’”active Shooter phenomenon” sans résultat. Il n'arrive qu'à "un homme jeune, niveau études supérieures ; ayant connu des déceptions et frustrations, socialement isolé et incapable d'assumer ce qu'il éprouve et l'accable". Combien d'Américains entrent dans ce tableau, de l'amant éconduit à celui qui rate un examen ou perd son boulot ? Des hommes solitaires, sombres et mutiques, blancs et jeunes, il y en a vingt millions aux Etats-Unis, aussi bien sujets à une sévère rage de dents, qu'à une psychose homicide ou un chagrin d’amour…

Des damnés de la terre, alors ?

Pas plus : Elliott Rodger (tuerie de Santa Barbara, mai 2014) est fils d'un producteur d'Hollywood qui vole en première classe et a sa BMW personnelle. Les autres viennent en majorité des classes moyennes.

Mais le facteur racial ?

Nul : sur 66 tueurs de masse scrutés de 1982 à 2013, 44 sont Blancs ; 11 Noirs ; 6 Asiatiques ; 4 Latinos ; 1, Amérindien - c'est l'éventail ethnique américain, rien de significatif là-dedans.

Et l'abondance et la disponibilité des armes ?

Lors de tels massacres, 143 armes à feu sont identifiées de 1982 à 2012 (du fait des recherches menées après le massacre d'enfants de Sandy Hook) : 71 armes d'assaut avec chargeurs à grande capacité ; 28 carabines, 23 armes de poing et 21 fusils de chasse. 70% de toutes ces armes, légalement acquises. Au-delà, on compte aujourd'hui aux Etats-Unis quelque 265 millions d'armes à feu légales ; bien plus de 300 millions avec les armes illicites. Mais si, comme le serinent nos médias, armes à feu hors-contrôle égalent massacres de masse, pourquoi n'y a-t-il aucun acte analogue au Brésil et au Mexique, comptant dix fois plus d'armes illicites que les Etats-Unis ?

De plus, en dépit du cliché médiatique, la manie des armes baisse aux Etats-Unis. Dans la décennie 1970, 50% des foyers du pays en possèdent ; ils sont environ 30% en 2016. Décrue donc, mais même si l'interdiction des armes automatiques était votée demain - elle ne le sera pas, on le verra plus bas - la situation serait incontrôlable. Circulent en effet aux Etats-Unis 3,5 millions de fusils d'assaut AR-15, équivalent US de la Kalachnikov, si populaire qu'on l'a surnommé la "Barbie Doll" des armes longues...

Après le massacre de Sandy Hook (décembre 2012) le président Obama exige du Congrès des lois concrètes : vérifications avant un achat sur Internet ou lors d'une foire aux armes ; interdiction des chargeurs d'armes d'assaut à grande capacité. Tout cela est enterré par le Sénat - d'autant plus vite qu'au Colorado (Etat ayant connu deux massacres, 30 morts au total) deux sénateurs démocrates de l'Etat, partisans du contrôle des armes, sont battus aux élections suivantes par deux républicains pro-armement.

Donc, pas de "législation stricte sur les armes à feu" à attendre aux Etats-Unis ?

Non et ce, alors que pourtant, la situation s'aggrave :

- De 2000 à 2008 : 5 tueries de masse par an,

- De 2009 à 2014 : 15 tueries de masse par an,

- Depuis 2015, quasiment une par jour.
Du 1e janvier 2017 au 1e octobre (275e jour de l'année) on compte aux Etats-Unis 273 de ces massacres (définition : "au moins 4 tués ou blessés, au même lieu, par un seul assaillant"). Ces tueries de masse paralysent, tétanisent l'Amérique, qui ne sait que faire : de 1997 à fin 2012, l'organisme fédéral qui décompte les homicides (US Center for Disease Control and Prevention) subit un amendement constitutionnel qui interdit de financer toute étude sur la façon dont la violence par armes à feu affecte les Américains. L'interdit est levé fin 2012, cependant, le CDC n'a réalisé depuis aucune étude sérieuse sur le sujet.

Clairement, l'Amérique ne veut pas savoir. Le drame dépasse un pays qui n'arrive pas à se regarder dans la glace. Car ces massacres frappent surtout des sociétés riches et évangéliques, comme les Etats-Unis, sociétés monochromes figées dans le conformisme et la bienséance. Toute dissidence y fait horreur. Toute négativité en est bannie : les églises n’y montrent plus le Christ crucifié - insupportable vision d’un corps torturé. Cas typique : l’Amérique suburbaine du Colorado où en 1999, deux élèves du lycée Columbine abattent 13 condisciples et en blessent 32 avant de se suicider.

Ainsi, ce qui provoque ces massacres n'est pas l’accessibilité des armes, même si cela aggrave les choses, mais plutôt un facteur enfoui au cœur de la société américaine. Voilà ce qu'il faut rechercher, comprendre, au lieu de s'hypnotiser sur des outils homicides.

Car ces massacres de masse concernent d'abord des humains, et les armes loin derrière. L'homme n'est pas un robot ; jeune, aventureux - même ensuite - il est parfois outrancier de propos ou d'actes : ainsi se défoule-t-il. Etouffez-le sous le politically correct et le gnan-gnan bienséant, vous aurez à coup sûr 999 moutons bêlants et une bombe humaine. Blaise Pascal l'a dit dès le XVIIe siècle : "Qui veut faire l'ange, fait la bête". Le catholicisme l'aura mieux intégré que le protestantisme à la sauce américaine : voici sans doute l'un des fondements de l'affaire.

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