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Trop manger est mauvais pour la santé. Jeûner souvent aussi
©Reuters

Début du carême

La pratique du jeûne est de plus en plus conseillée par des nutritionnistes pour avoir une bonne hygiène de vie. Est-ce vraiment une bonne idée ?

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul

Arnaud Cocaul est médecin nutritionniste. Il est membre du Think Tank ObésitéSIl a dernièrement écrit Le S.A.V. des régimes aux éditions Marabout.

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Laurence Plumey

Laurence Plumey

Le Dr Laurence Plumey est médecin nutritionniste, praticienne des Hôpitaux de Paris IDF (Necker, Antoine Béclère), professeure de Nutrition à l’Ecole de Diététique de Paris et fondatrice de l’Organisme de Formation EPM NUTRITION. Elle a notamment publié “Le Grand Livre de l’Alimentation”, aux Editions Eyrolles. “Comment maigrir heureux quand on n’aime ni le sport, ni les légumes”, aux Editions Eyrolles. “Sucre, Gras et Sel. Ce que contiennent vraiment nos aliments”, aux Editions Eyrolles.

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Atlantico.fr : Que signifie jeûner? Cette action implique-t-elle nécessairement une radicalité dans sa démarche ou existe-t-il un entre-deux? 

Guy-André Pelouze : Ce qui domine aujourd’hui dans la société post-industrielle c’est le contraire de tout notre passé au cours de l’évolution: une alimentation continue très riche en calories et singulièrement en calories de sucres. L’urban fooding est une alimentation qui n’arrête pas, pendant la journée et une partie de la nuit. Voilà ce qui nous caractérise: des prises alimentaires multiples de produits riches en sucres depuis le début de la journée jusqu’à l'endormissement. Nous jeûnons tous de moins en moins, tous les jours entre les prises alimentaires le temps de jeûne diminue. Donc jeûner c’est revenir à des prises alimentaires éloignées et rythmées. Les éloigner de plusieurs heures et les rythmer en buvant entre les prises alimentaires uniquement de l’eau ou des boissons non caloriques (café, thé, tisane sans sucre) c’est rétablir des intervalles de repos alimentaires qui sont à la fois salutaires pour le tube digestif et le pancréas mais aussi pour d’autres organes comme le cerveau. Il n’est pas souhaitable de parler de radicalité (un concept tout droit sorti du politiquement correct) pour le jeûne. Même ceux et celles qui font des séjours de jeûne d’une semaine et qui sont une infime minorité de la population ne sont en rien dans la “radicalité”. Ils font des expériences et en tant qu’adultes il est souhaitable qu’ils soient libres de le faire. En revanche il faut rappeler deux faits assez importants dans ce contexte:

- Jeûner est un mot dont le sens et le contenu est variable. Par exemple certains jeûnes ne sont pas acaloriques puisqu’il s’agit de ne boire que des jus de fruits, si frais et bio soient ils...

- Le jeûne prolongé une ou deux fois par an n’est pas un moyen de perdre durablement du poids; notamment si en dehors de ces périodes l’individu reste sédentaire, en excès calorique et en abondance de sucres.

Alors que le jeûne à l'origine est un rituel, il est aujourd'hui conseillé par de nombreuses marques et nutritionnistes comme une nouvelle méthode miracle pour une bonne hygiène de vie. Une fois par semaine, plusieurs fois par semaines, les conseils divergent. Laisser son corps en mode « nettoyage » plusieurs jours, est-ce vraiment une bonne idée ? 

Arnaud Cocaul : Je ne pense pas qu’il faille le faire pendant plusieurs jours, car lorsque l’on parle détoxication c’est un leurre. Ce qui pose le plus le plus de problème ce sont les radicaux libres. Pour dépolluer notre corps, il faudrait qu’on s’arrête de respirer : l’oxygène que nous respirons est notre principal tueur et agresseur c’est notre propre respiration, dans ce cas il faudrait arrêter d’inhaler des micro particules. Donc se mettre au jeune je pense qu’en plus cela risque de polluer l’organisme. Vous risquez en sortant du jeûne d’avoir des phases de rattrapage alimentaire qui soit irrépressibles et qui fasse que vous craquiez de façon incontrôlable.  

Laurence Plumey : Jeûner un jour ou deux par semaine, pourquoi pas si on en a envie – delà ne perturbe pas trop l’organisme. En revanche au delà de 48 heures consécutives, le corps ressent le jeûne comme une agression et déclenche des mécanismes d’adaptation qui ne sont pas physiologiques comme la production de corps cétoniques qui provoquent une sensation trompeuse de bien être et de sérénité et l’absence de faim. On a l’impression qu’on se fait du bien alors qu’au contraire les muscles fondent et les réserves commencent à se vider (glycogène et protéines musculaires, vitamines, oligoéléments et minéraux). Quand on est jeune, on peut se remettre d’une semaine de jeûne. En revanche, ceci est strictement déconseillé chez les enfants et les adolescents en pleine croissance, chez la femme enceinte et allaitante, chez le senior et la personne âgée – ou chez toute personne porteuse de pathologie.

Guy-André Pelouze : Les remèdes miracles en médecine n’existent pas, en revanche maintenir sa santé grâce à son style de vie est le moyen le plus puissant d’éviter les maladies chroniques. En France les morts évitables sont provoquées par:
-le tabac dès la première cigarette

-l'alcool au delà de 75 ml par jour de vin à 10°

-l’obésité, le syndrome métabolique et le diabète type 2.

Ces morts évitables sont plus fréquentes chez l’homme que chez la femme. En pratique ceux qui s’informent sur le jeûne veulent dans leur très grande majorité perdre du poids. Dans ces conditions le jeûne n’est au mieux qu’un outil de perte de poids mais certainement pas le plus important. 

Les modalités du jeûne sont multiples et il est tout à fait improductif de faire des essais tout seul car les travaux scientifiques sur le sujet sont nombreux et ont bien établi les conditions d’efficacité sur le poids ou sur la glycémie et l’insuline. Au delà de 12 à 16 heures le jeûne produit des effets métaboliques. Pour la restriction calorique dans le schéma d'alimentation en temps restreint il faut que les calories diminuent d’au moins 60% pour avoir des effets métaboliques Il est établi que le jeûne intermittent tout au long de l’année est efficace sur le surpoids car il induit une restriction calorique. Le jeûne aléatoire, c’est à dire un jour de la semaine ou deux qui ne sont pas fixes permet d’atteindre une flexibilité métabolique assez rapidement.

En mangeant en trop grandes quantités et trop souvent, on ne laisse pas suffisamment de temps à notre corps pour se reposer. Comment trouver un bon équilibre nutritionnel ? 

Laurence Plumey : Le corps est une merveilleuse machine qui fonctionne 24h /24h et qui a ses exigences nutritionnelles pour bien fonctionner. C’est pour cela qu’il faut être ni dans l’excès ni dans le trop peu. Il faut trouver le juste milieu et pour cela, quelques règles toutes simples et de bon sens : de la régularité dans les apports (faire 3 repas par jour), de la variété dans le choix des aliments (aucun n’est parfait, ils se complètent entre eux) et se faire plaisir. Bien manger le matin et au déjeuner – une petite collation l’après midi et dîner léger le soir. Il ne faut pas avoir peur de faire fonctionner ses organes en permanence. Ils sont faits pour fonctionner de jour et se reposer la nuit. Cela leur suffit. D’ailleurs quand l’estomac s’est vidé en 3 à 4 heures, il sécrète des molécules qui déclenchent la faim – afin qu’il soit à nouveau rempli. Le tout est de le remplir de bonnes choses pour être et rester en bonne santé. L’objectif n’est donc pas de chercher à ne pas manger – mais de manger bien, sain et équilibré. L’enjeu santé est là.   

Le jeûne favorise-t-il l’apparition de trouble de l’alimentation (boulimie, TCA, anorexie…) ? 

Arnaud Cocaul : La réponse est oui. Et on le voit parce que c’est étudié. Par exemple, les personnes qui font le ramadan : lorsqu’ils rompent le jeûne, ils ont tendance à aller vers une alimentation riche, relativement grasse. Au sortir du ramadan, on voit que la plupart des pratiquants prennent du poids. Plusieurs articles récents ont montré, notamment dans the new england journal of medecine, que le jeûne améliorait beaucoup de paramètres métabolique. La conclusion de l’article est très intéressante : chaque individu est indépendant, certains sont capables de faire ça et d’autres non. Je pense qu’il faut être très prudent et que le conseil que vous apportez au patient ne peut pas être uniformisé à tous les patients. Il y a des gens qui sont capables de faire du jeûne, d’autres qui en sont incapables.

Laurence Plumey :  Oui, car en déséquilibrant les rythmes alimentaires on envoie des signaux contradictoires au cerveau et aux cellules du corps humain. C’est comme si on vous annonçait la fermeture de tous les magasins dans les jours à venir. A titre préventif, vous allez stocker de la nourriture chez vous. Pareil pour le corps humain. Pas de nourriture ? Les métabolismes changent et se mettent à fonctionner au ralenti pour  limiter le plus possible vos dépenses caloriques. Et donc, dès que vous remangerez normalement, vous prendrez très vite du poids (et mêm plus) car vous aurez ralenti vos métabolismes. De plus, vous avez perdu en régularité. Un coup je mange, un coup je ne mange plus. Il s’ensuit des frustrations et des bouffées libératoires qui peuvent finir par s’installer. Beaucoup de personnes souffrant de TCA ont commencé par des régimes sévères ou des périodes de jeune.

Alors, comment maintenir une bonne hygiène de vie ? Faut-il favoriser les bonnes graisses au réveil ? Limiter sa consommation de viandes et de lait, le week-end par exemple ? 

Arnaud Cocaul : Oui, nous mangeons trop de viande. On est dans une société qui en consomme trop. Est ce que ça veut dire qu’on doit la supprimer ? Pas forcément, certain sont aptes d’autres non. Il y a des méthodes fléxitarienne, manger de façon plus souple. Il faut être vigilant à la charcuterie et ne pas dépasser 100 grammes de charcuterie par semaine. La viande rouge une fois par semaine. Je pense qu’après augmenter les fruits secs, ce sont des recommandations normales. Il faut pas être dans les diktats non plus, les chapelles qui nous interdisent trop d’aliments ne sont pas bonnes. Il faut surtout écouter le patient et si des patients abusent de certains aliments il faut les encourager à être attentifs. Il y a des gens qui gobent leur alimentation, il faut travailler là dessus manger de façon + rationnelle : éteindre l’ordinateur, ne pas jouer sur son tel, ne pas regarder la téléphone. Ces des conseils basiques mais qui peuvent aider les patients à perdre du poids car ils sont en dérapage générale. L’alimentation dévoile souvent des perturbations de modes de vie. 

Laurence Plumey : Il faut manger un peu de tout. Le matin au petit déjeuner, le corps a besoin de calories pour rattraper le jeune de la nuit ; prévoir du pain tradition ou aux céréales ou des muesli peu sucrés, un laitage ou un peu de fromage si on veut, un fruit (à manger ou à boire) et une boisson chaude. Le déjeuner doit être le repas le plus important de la journée car il faudra ensuite tenir jusqu’au soir ; prévoir un plat avec viande, poisson ou œufs (ou légumes secs pour les végétariens ou végétaliens) avec légumes et féculents, laitage ou fromage et un fruit. L’après midi, ne pas hésiter à manger des amandes et un fruit frais. Le soir au dîner, prévoir des œufs ou du poisson avec des légumes et peu de féculents et terminer par un fruit (éviter les plats en sauce, l’alcool et les desserts sucrés). Manger trop le soir fait grossir !

Que pensez-vous d'un jeûne plus limité dans le temps ? Par exemple, stopper toutes fringales entre notre dernier repas et notre réveil ? 

Arnaud Cocaul : Oui là c’est plus raisonnable, c’est pas des troubles du comportement alimentaire. Mettre l’intestin au repos la nuit ça permet d’avoir un sommeil de meilleur qualité et d’éviter les grignotages intempestifs le soir. C’est sur que ça c’est beaucoup plus responsable. Les grignotages le soir sont source de prise de poids car on a pas de dépense la nuit. Je serai tenté de donner de tenter raison à ceux qui disent ça. 

Il faut écouter les patients : certains sont capables de prendre un petit déjeuner, d’autres non. Certains peuvent manger équilibrer sur deux repas, les diabétiques doivent avoir 3 repas et 3 collations. Manger parce que l’on doit manger n’est pas une bonne chose. Il faut le faire parce qu’on a faim, c’est bien plus raisonnable. 

Laurence Plumey : Le jeune le plus courant est celui qui sépare le dîner et le déjeuner, en sautant le petit déjeuner. Cela fait un jeune de 16 heures. Pourquoi pas mais tout dépend dans quel objectif on le fait. Si c’est pour maigrir, cela marchera d’autant mieux que l’on fera son sport le matin à jeun et que l’on attend le déjeuner pour manger. Si l’on saute en revanche le petit déjeuner tout simplement parce qu’on n’a pas faim le matin et que l’on se sent plus léger jusqu’au déjeuner, c’est possible. Cela peut fonctionner chez certaines personnes – mais pas chez d’autres, pour qui le petit déjeuner est sacré. A chacun de bien se connaître et de savoir ce qui lui réussit. En revanche, il faudra prévoir un laitage et un fruit en plus à ajouter aux repas suivants pour ne pas risquer de manquer de calcium et de vitamines. 

Quels peuvent être les dangers d'un jeûne prolongé ou mal préparé?

Guy-André Pelouze : Le jeûne prolongé au cours de l’évolution humaine était subi. Pénurie alimentaire, cataclysme, perte des récoltes pour des raisons météorologiques ou à cause d’insectes ou d’animaux ravageurs provoquaient une restriction calorique et parfois la famine. Le jeûne périodique régulier a ensuite été un marqueur religieux ou civilisationnel. De nos jours le chaos économique peut aussi conduire à une restriction calorique forcée avec perte de poids mesurable comme au Vénézuela. En Europe nos sociétés sont tellement déséquilibrées par l’abondance alimentaire et le coût faible de l’alimentation que nous en sommes à proposer de jeûner. Ce sont des paradoxes facilement explicables. 

Quels sont les “dangers”? 

Guy-André Pelouze : Le jeûne intermittent aléatoire pour les individus vivant dans des pays développés ou émergents est une pratique qui présente moins de risques que l’alimentation continue, hypercalorique et sucrée à trois repas par jour et une collation. Les faits sont incontournables et l’épidémiologie de l'obésité y compris chez les enfants n’est pas contestable.  

Quelle préparation au jeûne intermittent aléatoire?

Guy-André Pelouze : Dans le jeûne nos réserves caloriques c’est à dire les tissu gras sont utilisées par le foie pour synthétiser du glucose en fonction des besoins et éventuellement des corps cétoniques. Mais, sans entrer dans les détails du métabolisme, le foie utilise aussi des acides aminés qu’il trouve facilement dans les muscles mais à leurs dépens. Cette voie métabolique est d’autant plus active que le jeûne se prolonge; c’est pourquoi le jeûne intermittent aléatoire est sans danger du point de vue de la masse musculaire ce qui n’est pas le cas du jeûne prolongé. Entrainer son organisme (le foie et ses enzymes) à métaboliser les triglycérides du tissu gras en glucose (ce que l’on appelle la néoglucogenèse), à produire de l’énergie avec les acides gras dans la mitochondrie par des épisodes de jeûne intermittent aléatoires est favorable. Il faut simplement le faire progressivement et le moyen le plus simple est d’allonger l’intervalle entre deux repas. Par exemple le repas du soir pris et terminé avant 20h30 et un repas le lendemain après 13 h. La précaution importante est une hydratation importante et en tout état de cause sans attendre d’avoir soif. Bien évidemment les liquides doivent être acaloriques… 

Le jeûne intermittent aléatoire est aussi un moyen de diminuer l’addiction alimentaire quelle qu’elle soit. Ce n’est pas négligeable car les produits transformés génèrent diverses addictions alimentaires. De surcroît le jeûne produit des effets pléiotropes sur le système immunitaire, le cerveau, l'équilibre végétatif… 

Au total le jeûne, intégré dans un style de vie différent, peut être un moyen complémentaire d’atteindre son poids de forme à plusieurs conditions:

- la restriction calorique doit être significative sur le long terme, 

- la part des sucres doit être réduite et les sucres rapides supprimés

- un programme d’activité physique doit démarrer en même temps. 

C’est cette intégration qui conduit à des résultats importants et souvent très spectaculaires. Plusieurs pays développent d’ores et déjà des programmes inspirés de cette approche autour des régimes bas en sucres. Dans les années à venir ils seront la première ligne d'intervention proposée aux patients diabétiques type 2

Laurence Plumey publie le 4 mars prochain un nouveau livre, "Le Monde Merveilleux du Gras. Tout sur ces rondeurs qui nous habitent", aux Editions Eyrolles.

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