Trop de dividendes, pas assez d’augmentations en 2021 : les grandes entreprises européennes sous-estiment-elles le risque politique encouru ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En France, le taux de marge des entreprises (excédent brut d'exploitation sur valeur ajoutée) vient de battre un record à 35,4%, selon l'INSEE.
En France, le taux de marge des entreprises (excédent brut d'exploitation sur valeur ajoutée) vient de battre un record à 35,4%, selon l'INSEE.
©DAMIEN MEYER / POOL / AFP

Conflits sociaux à l'horizon ?

Les profits des entreprises sont en augmentation mais les employés qui espèrent une hausse des rémunérations sont déçus. Ce contexte pourrait s'avérer propice à des conflits sociaux.

Sébastien Laye

Sébastien Laye

Sebastien Laye est chef d'entreprise et économiste (Fondation Concorde).

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Atlantico : Les profits des entreprises sont en augmentation et les dividendes devraient suivre. Dans les circonstances actuelles, pourquoi augmenter les dividendes plutôt que les salaires est une erreur stratégique ?

Sébastien Laye : En France, la mesure  par l'INSEE du taux de marge des entreprises (excédent brut d'exploitation sur valeur ajoutée) vient de battre un record à 35,4%. Le phénomène est mondial et s'explique par la restructuration des entreprises durant la période Covid (abaissement des coûts fixes, recherche de productivité, et reprise de la consommation après les confinements). Pour autant, les taux de réinvestissement restent stables et les salaires connaissent une situation mitigée: stables en Europe, ils ne compensent pas l'inflation galopante même dans les pays où ils augmentent comme aux USA. Les entreprises, notamment les grandes entreprises cotées en Bourse, profitent toujours de la politique monétaire accommodante pour se livrer à de l'ingénierie financière: rachat d'entreprises concurrentes, endettement pour distribuer des dividendes. En celà, elles commettent une erreur macro économique et de long terme mais leur comportement est rationnel: ce sont les dirigeants politiques et des Banques centrales qui leur offrent de l'argent facile, avec un coût du capital très faible. Face à ce robinet de liquidités, elles disposent certes d'un consommateur de retour après le Covid, mais il s'agit là d'une effet transitoire, qui commence à s'estomper par exemple aux USA; il n'y a donc pas forcément de projets d'investissements profitables en face de cet argent facile. Et augmenter les salaires, c'est augmenter sa base de coûts fixes, notamment dans les pays à la législation sociale complexe comme la France. Ce qui va à l'encontre de leur objectif en sortie de crise. Par contre, au moment où on parle de la "Grande Démission", avec des salariés qui réinventent leur relation au travail, le cadre du télétravail, et la disparition de certains secteurs avec le Covid, cette attitude des entreprises commence déjà à se retourner contre elles. Elles vont devoir rechercher les conditions d'un nouveau contrat social avec leurs salariés au cours des prochaines années.

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De facto, le manque d’investissement se fait ressentir également. Dans la situation actuelle, est-ce une décision sous-optimale due à un manque de croyance dans l’avenir ?

Il y a une divergence de jugement sur les prochaines années entre dirigeants politiques et entreprises. Les premiers rêvent d'un âge d'or de croissance après le covid du fait du retour de l'investissement public. Les seconds ne voient pas ces conditions là (pas encore) sur le terrain, ou ne font pas confiance aux politiques, voire sont aux prises avec des secteurs en crise après le Covid ou du fait de changements technologiques: commerces, restauration, hotellerie. Ces secteurs cherchent à se restructurer, abaisser les coûts, certainement pas à faire de l'investissement de long terme dans le contexte que nous vivons. Les plans de relance sont pour l'instant plutôt décevants et en tout cas ne sont pas de nature à créer une nouvelle demande pour les entreprises sur le terrain. Celà pourrait changer aux Etats Unis avec le vote récent de l'Infrastructure Bill. Il reste à voir, comment pratiquement, aux Etats Unis d'ici quelques semaines, en France quand nous lancerons de vrais programmes d'infrastructure (ce n'est pas encore le cas), ce nouvel âge d'or de l'investissement public-privé peut constituer des débouchés pour les entrepreneurs.

Quel risque politique cela peut-il représenter de privilégier les actionnaires aux salariés dans cette période de sortie de crise ? Faut-il se méfier des conflits sociaux ?

La modération salariale est d'autant plus dommageable que les mêmes conditions monétaires accommodantes qui permettent cette ingénierie financière, sont la cause de l'inflation galopante qui décime le pouvoir d'achat des salariés. L'inflation est déjà à plus de 6% aux Etats-Unis, 5% en Allemagne, 4% en moyenne en Europe, 3% en France... Si on prend le cas de la rance, on nous annonce 4% de croissance en 2022 mais l'inflation pourrait atteindre ce seuil de 4%... soit une croissance réelle nulle... Il y a donc un vrai risque, en particulier si la croissance n'est pas aussi forte que prévue, de frustrations sociales. Les citoyens vont constater que les politiques monétaires ont enrichi les grandes entreprises, les plus riches et ceux qui vivent d'actifs financiers, alors que les salariés et les petits propriétaires sont lésés par cette situation. Entendez-vous cependant beaucoup nos hommes politiques en campagne sur ce sujet ? Non, il n'y a plus de vrai suivi du cadre macro économique par les équipes politiques, comme si les dirigeants s'étaient découplés de ces réalités....

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