Travailler pour toucher le RSA : la très fausse bonne idée remise en avant par le gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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Le projet de réforme du RSA par le gouvernement est très critiqué.
Le projet de réforme du RSA par le gouvernement est très critiqué.
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Réforme

La création de France Travail est la mesure phare du projet de loi « plein emploi » présenté en conseil des ministres par Olivier Dussopt. Le gouvernement promet un « accompagnement intensif » pour les ramener vers l’emploi. Ils devront suivre jusqu’à 15 à 20 heures d’activités par semaine.

Marc de Basquiat

Marc de Basquiat est consultant, formateur, essayiste et conférencier. Fondateur de StepLine, conseil en politiques publiques, il est chercheur associé du laboratoire ERUDITE. Il préside l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence (AIRE) et intervient comme expert GenerationLibre. Il est diplômé de SUPELEC, d'ESCP Europe et docteur en économie de l'université d'Aix-Marseille. 

Son dernier ouvrage : L'ingénieur du revenu universel, éditions de L'Observatoire.

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Atlantico : Sur le plateau de BFMTV lundi matin, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, est revenu sur la réforme du RSA qui prévoit de conditionner le versement de l'aide à 15 à 20 heures d'activités d'insertion ou de formation par semaine. Le principe de ces mesures vous paraît-il légitime ? L’Etat est-il capable d’apprécier le nombre de gens concernés, c’est-à-dire ceux qui se maintiennent volontairement en situation d’assistance ?

Marc de Basquiat : Lorsque le RMI a été créé, en 1988, on imaginait que chacun de ses quelques centaines de milliers de bénéficiaires y ferait un passage transitoire avant de retrouver un emploi salarié correspondant aux capacités développées grâce à un accompagnement efficace. Las ! On s’est rapidement habitués à décompter un puis deux millions de bénéficiaires du RMI puis du RSA, souvent définitivement installés dans la précarité. Personne ne s’en satisfait, évidemment, mais comment en sortir ?

Deux approches moralisatrices opposées sont à bannir : celle qui exonèrerait d’effort les bénéficiaires – dans le mode « ils n’ont pas eu de chance dans la vie » – comme celle qui leur attribuerait l’entière responsabilité de leur situation. Ces réactions caricaturales sont des comportements de fuite devant la complexité, une préférence ordinaire pour un monde partagé entre gentils et méchants.

Admettons donc que les situations individuelles sont compliquées et qu’elles conjuguent une part de pas-de-chance avec un soupçon de responsabilité individuelle, ne serait-ce que l’assiduité scolaire permettant d’être doté d’une employabilité suffisante ou le respect de quelques règles de vie en société.

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Une partie des abonnés des minima sociaux s’y est installée et ne cherche plus à en sortir. L’économiste l’explique par deux phénomènes.

D’une part un « effet revenu » : si la personne estime que les quelques 500 euros du RSA lui suffisent pour vivre, en complément d’une aide au logement, elle ne sera pas motivée pour rechercher un emploi. C’est la face sombre de l’histoire. Pour comprendre sa prévalence ou non, il serait intéressant de sonder la population concernée : qui se satisfait vraiment de 500 euros par mois ?

L’autre face est rarement évoquée, car plus technique. On parle d’un « effet de substitution » : les bénéficiaires des minima sociaux ne gagnent que très peu – voire rien du tout – s’ils reprennent un petit travail à temps partiel. Les 15 à 20 heures auxquelles le gouvernement veut obliger les bénéficiaires du RSA seront-elles correctement rémunérées ? Ou s’agit-il de vagues « formations » ou « activités d’insertion » non rémunérées, que la personne va subir comme une contrainte plutôt que comme une opportunité ?

Lorsqu’on n’en a pas eu l’expérience, il n’est pas simple de saisir comment les personnes au RSA vivent cette situation. Certains témoignages sont édifiants : comprenons que si leurs efforts n’aboutissent jamais à rien, le découragement les envahit. Peut-on les en blâmer ?

Rien n’est dit sur les institutions qui seraient chargées d’identifier et organiser ces presque deux millions d’activités à temps partiel, mais on voit mal comment un gestionnaire pourrait dynamiser et contrôler plus de 20 ou 30 « bénéficiaires RSA en activité d’insertion ». Il s’agirait donc de créer environ 50.000 postes, soit un budget de l’ordre du milliard d’euros. Avons-nous vraiment envie de dépenser cela pour multiplier les activités-alibis d’un à deux millions de personnes ?

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Quel employeur a envie d’accueillir dans son entreprise des personnes soumises à cette forme de « travail forcé » ? Celles-ci se retrouveraient inévitablement réparties dans divers services publics, sans mission autonome. Peut-on parier sur une amélioration globale de leurs performances ?

Le dispositif proposé n’a rien à voir avec l’apprentissage. Dans ce cas, le jeune est motivé par la voie professionnelle qu’il a choisie. Il est formé et suivi par son école, rémunéré par une entreprise qui espère intégrer à l’issue de la période d’alternance un jeune compétent et reconnaissant envers les ainés qui lui ont partagé leurs savoirs. Pouvons-nous imaginer que la même magie opère en forçant les personnes les plus fragiles de notre société à venir s’asseoir 15 heures par semaine dans le bureau d’une administration, sans mission claire et sans perspective d’intégration ?

Comment réformer, pour de vrai, le système électoral français ? 

Lorsqu’il s’agit de réformer « pour de vrai » le système social français, il est plus intéressant de scruter les travaux de fond des administrations. En l’occurrence, un travail colossal a été mené pour le projet RUA (Revenu universel d’activité) depuis son annonce par le président Macron en septembre 2018. Sous la direction du très rigoureux Fabrice Lenglart, actuel directeur de la DRESS, il a été envisagé de regrouper le RSA, la Prime d’activité et les aides au logement. Le 5 janvier 2022, il déclarait devant les sénateurs : « nous pensions initialement à un socle commun, assorti de suppléments selon les situations. Nous pensons aujourd'hui que nous conserverions trois prestations, le RSA, les allocations logement et la prime d'activité, mais avec des bases de ressources harmonisées ».

C’est ainsi que l’affichage politique initial d’une fusion est rendu caduc, trois ans plus tard, par l’épouvantable complexité des dispositifs. L’objectif politique du projet est alors reformulé de façon très différente par les experts : « Les 15 prestations de solidarité sont octroyées en fonction de 15 bases ressources, ce qui est une source fondamentale d'illisibilité. De même qu'il existe un revenu fiscal de référence en France, il faut créer un revenu social de référence en harmonisant les bases ressources. La réforme du revenu universel d'activité n'aura pas pour objet de fondre l'ensemble des prestations ; il restera l'équivalent du RSA, de la prime d'activité, du minimum vieillesse et de l'AAH, ainsi que des aides au logement identifiées, mais les barèmes seront conçus de façon cohérente les uns avec les autres ».

Il y a une déconnexion totale entre les discours simplistes des politiques et la réalité des réformes très techniques qui se trament dans l’ombre, grâce à la bonne volonté de quelques experts qui y comprennent un peu quelque chose. Le 5 janvier, Fabrice Lenglart a expliqué au sénateur qui a travaillé avec lui pendant deux ans sur le projet RUA que « se trouvaient autour de la table 24 directions d'administration centrale de 12 ministères, toutes les caisses de sécurité sociale, Pôle emploi et le CNOUS ».

En quoi un véritable revenu universel d’inspiration libérale (couplé à un impôt universel donc) pourrait-il être une solution bien plus efficace pour qui aurait le courage de l’imposer à la technostructure ?

Dans la quatrième partie de L’ingénieur du revenu universel, j’explique la difficulté pour la technostructure d’accepter qu’un revenu universel mensuel de 500 euros par adulte, financé par un prélèvement de 30% des revenus imposables, aurait un effet redistributif très proche de la combinaison de l’actuel impôt sur le revenu, du RSA et de la Prime d’activité. C’est trop simple ! Comment pourraient-ils admettre que les dizaines de milliers de règles compliquée et obscures actuelles ont une utilité très relative ?

Ce blocage est humain. Parmi les experts des ministères et administrations à qui j’ai expliqué ma proposition, plusieurs l’ont compris et validée, mais comment se lancer dans un projet de simplification aussi massif sans une impulsion politique très déterminée ? Et du côté politique, beaucoup d’élus ont compris notre proposition de revenu universel et la soutiennent, mais comment avancer sur un projet inconnu des citoyens ?

Un collectif associatif lance une nouvelle pétition pour faire connaître la proposition d’un revenu universel combiné à un impôt universel. Espérons que ce sujet émergera pendant la campagne des législatives.

On peut en douter.

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