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Toutes ces raisons qui expliquent pourquoi une partie de la jeunesse éprouve un sentiment d’impunité total à commettre des actes délictueux
©DAMIEN MEYER / AFP

Les Quatre Cents Coups

Deux jeunes se sont filmés pendant qu'ils volaient un camion de pompier dans le Jura et ont diffusé la vidéo sur les réseaux sociaux. Comment expliquer l'évolution et ce type de comportements ? Qu'avons-nous raté dans l'éducation de ces jeunes pour en arriver là ?

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Deux jeunes se sont filmés pendant qu'ils volaient un camion de pompier dans le Jura et ont diffusé la vidéo sur les réseaux sociaux. Loin de regretter son geste, un des deux individus a publié une deuxième vidéo dans laquelle il invite ceux qui se sont offusqués de la séquence à "aller se faire foutre". Le dernier fait-divers d'une longue liste emprunte de dédain. Comment expliquer ces comportements et selon vous, qu'avons-nous raté dans l'éducation de ces jeunes pour en arriver là ?

La difficulté est de savoir dans quelle case on doit ranger ce type de comportements. Si on est optimiste, on peut se dire que, après tout, c’est le genre de comportement idiot que l’on peut rencontrer chez des jeunes. Ce n’est pas forcément le signe d’un échec dans l’éducation car il arrive également que des jeunes de « bonnes familles », sur un coup de tête, se lancent dans des actes absurdes pour des raisons variées : plaire à sa copine, tester les limites, défier ses parents, goûter au plaisir des interdits, etc. Dans ce cas, une bonne leçon de morale et quelques menaces de sanction suffisent généralement à remettre les choses à leur place.
Le problème est que les jeunes en question n’ont pas l’air de répondre à ce type de situation. On ne sent pas chez eux une capacité de culpabiliser, de prendre conscience de leur faute, de réaliser que les conséquences auraient pu être dramatiques. Leur attitude pendant et après est inquiétante parce qu’elle laisse transparaître une forme de nihilisme, un manque total de sens des responsabilités, voire un certain mépris pour autrui et pour les règles minimales de la vie en société. Si ce genre de cas était isolé, cela ne susciterait pas trop d’inquiétudes. Mais on voit bien que ce profil n’est pas rare. Il existe aujourd’hui des jeunes qui n’ont aucune limite, aucune crainte, sur qui les autorités n’ont aucune prise, et qui sont prêts à saisir la moindre occasion pour créer des torts ou des nuisances. 
Malgré tout, on peut quand même trouver deux raisons de rester optimistes. La première est que, quand on regarde leur vidéo, on voit qu’ils avaient manifestement conscience de franchir un interdit. La seconde est qu’ils auraient pu faire pire : ils auraient pu détruire le véhicule ou s’en servir pour commettre d’autres forfaits. Le fait qu’ils ne soient pas allés trop loin laisse une petite lueur d’espoir.

Est-ce que le phénomène ne serait pas renforcé depuis l'apparition des réseaux sociaux et la possibilité de faire le "buzz" ? 

Il est évident qu’aujourd’hui, on a changé d’échelle. Ce qu’ont fait ces deux jeunes nécessite d’avoir un public. Or, avec Internet, l’audience est considérablement augmentée. Cela dit, la technologie ne fait pas tout : elle ne peut qu’amplifier ou faciliter. Les comportements de ce type existeraient même s’il n’y avait pas Internet et les réseaux sociaux. 
Et puis, l’avantage d’une large diffusion, c’est aussi que le risque de se faire prendre augmente. Fort heureusement, ces jeunes ne brillent pas par leur intelligence : entre la prudence et la gloire, ils optent souvent pour la seconde, au risque de se faire repérer, comme ce jeune qui avait pour passe-temps de jeter son chat en l’air (https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/01/31/marseille-l-homme-filme-en-train-de-lancer-un-chat-contre-un-mur-en-garde-a-vue_4358159_3224.html) ou celui qui s’amusait à trainer son chien derrière son scooter (http://www.lepoint.fr/faits-divers/chien-traine-par-un-scooter-le-tortionnaire-en-detention-provisoire-11-02-2018-2193997_2627.php).
Tous ces individus ont été pris au piège de leur propre mégalomanie : ils savaient pouvoir trouver un public réceptif à leurs actes, mais ils ont vu trop grand et ont été dénoncés. C’est d’ailleurs la morale de ces histoires : il revient à chacun de ne pas hésiter à dénoncer ce qui pose problème car tout dépend du degré de permissivité qui est accordé à certains actes. En même temps, ce qui complique la tâche, c’est que les publics peuvent être très segmentés, avec des systèmes de valeurs parfois radicalement différents, voire opposés. Il est ainsi possible que la vidéo dans laquelle le jeune assume le vol du camion de pompier soit d’abord destinée à faire le mariole devant ses proches, même si le jeune a conscience d’avoir commis une faute. Il est parfois plus important de sauver la face auprès de son groupe de référence que de respecter la loi ou de faire acte de repentir. 

Que peut-on faire pour essayer d'inverser la tendance selon vous ? 

Il n’y a malheureusement pas de réponse à cette question parce que, pour l’heure, il n’y a pas de consensus sur la nature des problèmes qui se posent à nous, et sur leurs causes. De ce fait, les solutions sont forcément clivantes : chacun pense avoir la bonne réponse et rejette celle de son voisin. Quand on voit qu’on est toujours dans l’incapacité de dresser un diagnostic consensuel sur les causes du terrorisme islamique, on comprend qu’il sera encore plus difficile d’en faire autant avec des enjeux moins dramatiques tels que les incivilités et la criminalité de basse intensité. Il faudra pourtant s’y mettre car les problèmes sont devant nous. Il existe aujourd’hui des dysfonctionnements préoccupants dans les mécanismes de socialisation et d’intégration culturelle, ce qui se traduit par des comportements variés, plus ou moins graves, dont la remise en cause des institutions (et pas seulement de la police) n’est que l’un des symptômes. 

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