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Tout sauf les grandes écoles : quelle est cette élite française qui réussit à l'étranger ?
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Voie royale

Le Financial Times vient de lancer une charge contre les élites françaises et le moule des grandes écoles où elles sont fabriquées.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Atlantico : Le Financial Times vient de lancer une charge contre les élites françaises et le moule des grandes écoles où elles sont fabriquées. Tout en déplorant cette situation, le magazine anglo-saxon salue pourtant les initiatives de plusieurs français qui réussissent à l'étranger sans avoir été protégé par les réseautages de la capitale. Qui représente aujourd'hui cette autre élite française ? 

Erwan Le Noan : Le papier du Financial Times est excellent car il dénonce ce qui est réellement le vrai problème de la France : des élites sclérosées, endogamiques, collusives et rentières qui verrouillent la direction politique, administrative et économique de notre pays, empêchant toute réforme. La France est un pays figé, par leur faute.

Ceux qui réussissent à l’étranger ont en commun de ne pas être issus de cette élite. Grossièrement, ils sont de deux types : les exilés fiscaux et les entrepreneurs. Les exilés fiscaux, dont le nombre semble augmenter, sont ceux qui ont réussi en France et ont souhaité pouvoir conserver un peu de leur succès plutôt que de l’offrir en sacrifice au fisc : ils sont partis. Les entrepreneurs sont tous ceux qui sont partis pour réussir, convaincus qu’en France l’atmosphère sociale, la pesanteur administrative, la déprime économique les empêcheraient de réaliser leurs rêves. Certains sont devenus riches, d’autres ont juste réalisé leurs ambitions ! C’est le cas de nombreux jeunes, notamment issus des quartiers, qui s’en vont parce que la morosité est telle dans l’Hexagone qu’ils ont besoin de voir ailleurs pour respirer. Il suffit d’aller à Londres pour le constater. Aux Etats-Unis, au Canada, en Asie, on rencontre plein de Français qui s’épanouissent. En fait, la France semble parfois réaliser doucement la prophétie d’Ayn Rand : las, les entrepreneurs disparaissent.

Il ne faut cependant pas oublier qu’il y a des irréductibles qui résistent et qui y créent leurs entreprises, dont certaines connaissent des succès fulgurants. Notre pays compte de nombreux entrepreneurs qui font heureusement bouger notre économie.

Comment expliquer que ces "français à succès" soient si peu visibles, voire carrément inexistant dans la vie publique hexagonale ?

Les Français qui ont réussi à l’étranger l’ont fait sur des marchés étrangers. Leurs vies et leurs intérêts économiques sont souvent loin de la France – même s’ils y restent attachés. Quand on part "faire sa vie" à l’étranger, il est certainement plus difficile de rester très présents dans la vie nationale.

A leur décharge, il faut rappeler que dans la culture française, ce qui ne se passe dans le cœur de Paris n’existe pas. L’organisation du pays est tellement centralisée, économiquement et administrativement, que tous les pouvoirs sont concentrés à Paris. La presse et les élites ne s’intéressent pas à ce qui se passe ailleurs – sauf une minorité d’entre eux. Bruxelles, c’est déjà le bout du monde. A l’exception de quelques globe-trotters et curieux, qui sait quelles réformes ont lieu ailleurs dans le monde ? qui connait les derniers débats intellectuels outre-manche ?

La France est un peu convaincue d’être le centre du monde. Elle semble ignorer que tout explose en Asie, avec une rapidité fulgurante. Pendant que le monde vibre, que les gratte-ciel se construisent, que les échanges accélèrent, que les innovateurs gravitent entre l’Amérique et l’Asie, la France s’interroge longuement pour savoir s’il faut travailler quelques trimestres de plus, s’il est vraiment nécessaire de commercer avec la Chine, si on ne pourrait pas contraindre Google et Amazon à changer de modèles économiques et taxer un peu plus les géants du web… Le tout à coup de tribunes aussi violentes que vaines dans les quotidiens du soir et les cafés de Saint Germain. On se regarde le nombril… La pesanteur intellectuelle est terrible.

Par ailleurs les élites françaises traditionnelles représentaient autrefois un véritable moteur pour le pays (ingénieurs, économistes, diplomates...). Comment expliquer le déficit actuel de leadership ?

Les élites économiques et administratives françaises ont un intérêt commun : protéger leurs rentes. Endogames, elles sont toutes issues d’un système scolaire qui organise la reproduction sociale et se consacre dans une ou deux grandes écoles (dont l’ENA, comme le souligne le FT). Elles idolâtrent l’Etat : soit parce qu’elles sont fonctionnaires soit parce que, anciennement fonctionnaires, elles sont passées dans le privé et bénéficient de subventions ou de réglementations qui les protègent. Ensemble, elles détestent la concurrence. Aux Etats-Unis, on parle de crony capitalism, le capitalisme de copinage. Le Financial Times appelle cela de la corruption. Les véritables conflits d’intérêts aujourd’hui sont là, dans cette élite collusive qui exige des Français des réformes qu’elle ne s’impose pas à elle-même.

Peut-on envisager un jour que cette autre élite puisse s'impliquer dans la vie publique du pays ou est-elle définitivement "blasée" par le malaise français ?

Il suffit de voir combien les "communautés" françaises sont actives dans les grandes villes du monde pour comprendre que les Français de l’étranger ne sont pas "blasés" par la France. Souvent, ils sont inquiets, un peu désabusés. Mais il faut leur reconnaitre qu’il est difficile de s’impliquer dans les débats nationaux quand on vit à l’autre bout du monde.

Il leur serait surtout bien difficile d’être très actifs : aussi longtemps que l’élite actuelle sera en place, les dépenses d’énergie peuvent sembler vaines… Comment changer la France quand, quoiqu’il arrive, les mêmes restent au pouvoir dans les administrations (qui prélèvent près de 51 % du PIB et en dépensent près de 56 % !) ?

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