Tout le monde se souvient que George W. Bush a déclenché la guerre en Irak. Peu de gens savent qu’il a par ailleurs sauvé plus de vies que n’importe quel autre président américain<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien président américain George W. Bush prend la parole lors d'un événement marquant le 20e anniversaire du PEPFAR, le 24 février 2023 à Washington.
L'ancien président américain George W. Bush prend la parole lors d'un événement marquant le 20e anniversaire du PEPFAR, le 24 février 2023 à Washington.
©ALEX WONG / Getty Images via AFP

PEPFAR

Le 43e président des États-Unis a lancé un programme mondial qui a sauvé plus de 25 millions de vies.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Le President's Emergency Plan for AIDS Relief (plus connu sous l'abréviation PEPFAR) est un plan d'aide d'urgence à la lutte contre le sida à l'étranger lancé par le président des Etats-Unis, George W. Bush, en 2003.  Selon le New York Times, George W Bush a sauvé 25 millions de vies grâce à ce projet PEPFAR. Quel est ce projet ? Qu’a-t-il mis en place ? 

Antoine Flahault : Le PEPFAR est le plus important financement public venant d’un Etat jamais réalisé en santé globale. Plus de 100 milliards de dollars ont été injectés par l’administration américaine en l’espace de 20 ans pour lutter contre le Sida dans les pays à ressources limitées. Etonnamment, ce n’est pas sous l’égide d’une administration démocrate, que l’on aurait pu croire plus encline au devenir des malades atteints du Sida en Afrique et dans les Caraïbes, mais bien sous l’administration républicaine de George  W Bush (junior) en 2003 que cette initiative présidentielle a été décidée. Il s’agissait d’un plan d’aide nord-américaine inédite, initialement de 15 milliards de dollars sur cinq ans et renouvelée sans interruption depuis.  Les activistes et les pays africains eux-mêmes ont joué un rôle majeur en amont puis en aval de cette décision. Dès la fin des années 90, l’Afrique du Sud et le Brésil ont demandé de pouvoir produire à des conditions abordables les nouveaux antirétroviraux qui avaient profondément transformé le pronostic de la maladie dans les pays riches. Ainsi, l’Afrique du Sud a cherché en 1997 à contourner les barrières imposées par l’Organisation Mondiale du Commerce en promulguant une loi nationale offrant la possibilité au pays de produire ces médicaments encore sous brevet sous forme générique. L’Administration Clinton, apportant son soutien aux fabricants occidentaux d’antirétroviraux, a fait pression sur Prétoria, dénonçant leur violation des traités internationaux. Le vice-président démocrate Al Gore a obtenu le retrait de la loi sud-africaine en 1999. Mais les activistes nord-américains ont alors fortement milité pour la cause sud-africaine et contre les protections de l’industrie pharmaceutique soutenues par l’Administration nord-américaine de l’époque. Leurs campagnes ont rencontré un succès notable en 2001, avec la Conférence ministérielle des pays membres de l’OMC, tenue à Doha, qui s’acheva sur une déclaration commune considérant que « l’accès aux médicaments pour tous jouait un rôle déterminant dans la lutte contre le Sida et les autres maladies dans le monde ». Progressivement, les brevets tombaient avec le temps et le prix des antirétroviraux s’effondrait avec l’arrivée des premiers génériques, passant de plus de 12 000 dollars par an à quelques centaines. Les mouvements activistes du Sida ont continué à faire pression sur la nouvelle Administration de George W. Bush, et notamment sur Anthony Fauci qui dirigeait alors l’Institut en charge des maladies infectieuses au NIH à Bethesda aux Etats-Unis. C’est ainsi que se sont dessinés les contours de ce qui allait devenir le futur PEPFAR, il y a vingt ans déjà. Puis en 2008, au moment de la première reconduction du plan quinquennal, George Bush voyant le succès de cette opération, proposa d’en plus que tripler son enveloppe, la portant à 50 milliards. L’ironie du sort pour les Démocrates voudra que l’Administration de Barack Obama sera contrainte de couper le budget du PEPFAR, en raison de la crise financière de 2008 qui secoua les finances publiques aux USA. Mais en tout, ce seront plus de cent milliards de dollars qui auront été alloués dans ce plan présidentiel depuis vingt-ans, et nous sommes à la veille d’une possible reconduction de ce plan par le Congrès cette année.

En 2003, George W. Bush lançait le programme PEPFAR de lutte contre le SIDA. Quel était le contexte du lancement de ce programme ?

Jean-Eric Branaa : C’est un programme qui a bien marché en partie parce qu’il est bipartisan, ce qui est assez notable, mais c’est bien Bush qui l’a porté. Il est arrivé après les années 80-90 qui ont été très compliquées aux États-Unis avec le VIH -même si la trithérapie avait fait son apparition à la fin des années 90. On ne s’en rend pas compte mais ce traitement coûtait une fortune à l’époque. Et le fait que ça soit une maladie qui dure toute la vie excluait de ce traitement tous les pays les plus pauvres. C’est lorsqu’il y a eu le pic de 2002 avec 5 millions d’infectés que l’idée a été de lutter mondialement contre le sida. Ce programme avait été annoncé pendant le discours sur l'État de l’Union de Georges W. Bush, à un moment où il souhaitait une Amérique bienveillante. Le gouvernement explique qu’il va faire des actions pour aider les enfants, pour lutter contre les addictions et combattre le sida au niveau mondial car il fallait en finir avec cette maladie. À ce moment-là on pense qu’il est possible de le vaincre et c’est un vrai tournant en comparaison aux années 80 ou des tas de personnes mourraient.

Le discours annonce donc un investissement massif de la part des États-Unis soutenu par le Congrès et la communauté médicale internationale.

Le New-York Times impute l’idée à Michael Gerson, l’une des plumes de Bush, un évangéliste qui aurait dit « il faut le faire car c’est la bonne chose à faire », est-ce cette idée là qui a prévalu au-delà des questions partisanes ?

Jean-Eric Branaa : Je ne peux l’affirmer. Mais dans les années 80, on ne pouvait pas aller dans les villes américaines sans assister à des événements autour du sida. C'est à cette même époque que l’on se demandait si le sida n’était pas une maladie contagieuse, ce qui rendait la vie affreuse aux personnes qui le contractait qui se savait condamnées à mort puisqu’aucun soin n’était possible. Il y a eu une prise de conscience très forte -au-delà de la communauté gay qui a été la plus touchée. C’est tout de même Bush qui apporte ce programme avec un engagement de l’ensemble de l’union américaine pour le monde. Il avait l’idée de rayonnement des États-Unis pour le bien être mondial. On peut voir une continuité avec Joe Biden qui veut faire la même chose avec le cancer. Cela fait partie des bons côtés de l’Amérique dans son rapport à l’argent. Il y a des racines religieuses dans la société qui font que, en bon chrétien, lorsqu’on a de l’argent il faut aussi faire le bien autour de soi. C’est le rôle des charity. Et puisque les Etats-Unis sont le pays le plus riche au monde, il est normal qu’ils agissent à échelle mondiale. Kamala Harris est actuellement en Afrique pour soutenir l’aide au développement américaine, cela s’inscrit dans cette logique. C’est peut-être aussi pour cela que cela a été oublié, parce que cela semblait normal. Mais les chiffres communiqués vendredi, 25 millions de personnes sauvées, sont incroyables.

L'estimation de 25 millions de vies sauvées est-elle correcte ? Quel est le bilan de cette action, 20 ans après ?

Antoine Flahault : Le PEPFAR a été déployé dans plus de 50 pays dans le monde, en Afrique de l’ouest, de l’est, centrale et du sud, mais aussi dans les Caraïbes, en Amérique du Sud, en Asie et dans de nombreux pays de l’ancien bloc soviétique. Fin 2021, les données officielles indiquaient que 19 millions de femmes, hommes et enfants avaient pu bénéficier de traitements antirétroviraux, sans lesquels la mort aurait été certaine. A cela, il faut ajouter 3 millions d’enfants nés indemnes de toute infection par le VIH grâce au traitement de leurs mères durant leur grossesse, et aussi 3 millions de personnes traités contre la tuberculose. Le PEPFAR contribue aussi à la prévention pour des millions d’autres personnes (tests diagnostiques, distribution de préservatifs, recours à la PrEP, circoncision des hommes, programme d’éducation des femmes et adolescentes) ainsi qu’à des programmes de soutien aux orphelins du Sida et à leurs proches aidants.

A quel point le dispositif PEPFAR a-t-il aidé dans la lutte contre le SIDA en Afrique ? Quelles ont été les conséquences directes de ce plan dans le cadre de la lutte contre le SIDA à travers le monde et notamment en Afrique ? Qu'est-ce qui a poussé George W. Bush à lancer ce programme ?

Antoine Flahault : Pour de très nombreux experts, le PEPFAR a été une contribution majeure des Etats-Unis dans la prise en charge du Sida en Afrique et dans les pays à ressources limitées. Le Président Masisi du Botswana a déclaré en 2019 que les investissements américains du PEPFAR auront pu « sauver de l’extinction une génération entière de son pays». Il est clair que l’administration de George Bush voyait à l’époque la progression de la pandémie de Sida comme un risque géopolitique majeur de déstabilisation de l’ensemble du continent africain. Certains ont pu dénoncer une forme d’instrumentalisation de cette aide nord-américaine bilatérale, aux dépens d’une aide multilatérale qui aurait pu mieux financer les organisations onusiennes et le Fonds Mondial chargés de la lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme. D’autres ont souligné certains aspects plus moralistes que scientifiques des programmes du PEPFAR. Par exemple, jusqu’en 2008, le tiers de ses fonds étaient destinés à financer des organisations faisant la promotion de l’abstinence sexuelle avant le mariage et la fidélité dans les couples mariés. Le PEPFAR écartait toutes les organisations qui refusaient de signer les dispositions contre la prostitution, aliénant les efforts de ceux qui étaient engagés dans la prévention du Sida chez les travailleurs du sexe. Le PEPFAR ne finançait pas non plus les programmes de lutte contre l’échange de seringues malgré leur efficacité reconnue chez les usagers de drogues intraveineuses. Mais la plupart de ces dispositions controversées ont été corrigées depuis, et les flux du PEPFAR alimentent désormais des voies multilatérales de financement. Au-delà des critiques, constatons que ce vaste plan présidentiel visant la santé globale a eu le mérite de rassembler, de la gauche à la droite, des mouvements activistes LGBT aux associations confessionnelles, l’ensemble de l’échiquier d’une société américaine toujours de plus en plus clivée.

Le fait que George W. Bush ait, la même année, lancé ce programme et la guerre en Irak peut-il avoir contribué à masquer cet aspect de son héritage ?

Jean-Eric Branaa : C’est possible oui. Bush est devenu pour toute la planète celui qui a attaqué l’Irak et menti à tout le monde, avec la petite fiole de Powell à l’ONU. Mais il est intéressant de voir ce que le temps fait à son héritage. Aujourd’hui Bush est « revisité » et on se souvient de ces programmes et notamment car les Etats-Unis cherchent à éradiquer le SIDA. 

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