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Tout faire pour renverser Assad sans y parvenir : l’Arabie saoudite peut avoir du souci à se faire avec la vengeance de l’axe chiite
©Reuters

La revanche se mange aussi chaude

Alors que les forces soutenant Bachar el-Assad progressent militairement en Syrie, une victoire de ce dernier pourrait bien redonner du poil de la bête à ses alliés chiites, notamment l'Iran. Un cas de figure qui ne serait alors clairement pas dans l'intérêt de l'Arabie saoudite, en proie à une situation intérieure difficile et embourbée dans un conflit incertain au Yémen.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Depuis quelques temps, les troupes de Bachar el-Assad et leurs alliés semblent reprendre le dessus dans le conflit syrien. En cas de victoire, même partielle, de ce dernier, peut-on s'attendre à voir cet axe chiite (Syrie, Hezbollah libanais, Iran) se retourner d'une manière ou d'une autre contre l'Arabie Saoudite sunnite ?

Alain Rodier : Se retourner à proprement parler, non, l’axe Iran-Hezbollah libanais-Syrie, auquel il convient d’ajouter le gouvernement irakien, s’oppose déjà à la volonté hégémonique dont fait preuve le régime saoudien, surtout depuis la mort du roi Abdallah en janvier 2015.

Aux "succès" militaires rencontrés par Bachar el-Assad en Syrie(1), il faut surtout ajouter le retour sur la scène internationale de Téhéran suite aux accords sur le nucléaire signés avec le "5+1" (les membres du Conseil de sécurité de l’ONU + l’Allemagne). Les sanctions vont se lever progressivement, et l’Iran va se retrouver dans le club des fournisseurs de pétrole, ce qui va permettre au régime d’engranger des fonds dont il a tant besoin, sans parler de ceux qui étaient bloqués jusque là du fait des sanctions internationales, particulièrement aux Etats-Unis. Toutefois, les banques américaines n’ont toujours pas le droit de commercer avec l’Iran.

La vengeance est "un plat qui se mange froid" comme le dit le diction. Il ne faut donc pas attendre de grands bouleversements à court et moyen termes mais d’évidence, la Perse qui a toujours eu une diplomatie et des services secrets remarquables, ne va pas manquer l’occasion de repasser à l’initiative pour contrer son grand concurrent saoudien.

(1) Il convient de rester prudent. Ces succès sont réels mais doivent se confirmer dans la durée, en particulier pour gérer les territoires reconquis. Selon leur tactique habituelle, les rebelles vont certainement y déclencher de nombreux attentats terroristes.

Dans quelle mesure la situation intérieure en Arabie Saoudite s'est-elle fragilisée ces derniers mois ?

La position va-t’en guerre adoptée par Riyad depuis le décès du roi Abdallah en janvier 2015 étonne les observateurs avertis. En effet, le souci de son successeur, le roi Salmane bin Abdulaziz a d’abord été intérieur. En effet, il veut organiser sa succession sachant sa santé fragile en mettant des membres de la famille Saoud "rajeunis" aux manettes. L’héritier officiel est le prince Mohammed Ben Nayef, ministre de l’Intérieur reconnu pour son expérience dans la lutte contre le terrorisme. Le vice-héritier n’est autre qu’un des fils du roi, le prince Mohammed ben Salmane, ministre de la défense, président du Conseil des affaires économiques et de développement qui a autorité sur le ministère de l’Economie. Ce jeune prince âgé d’à peine une trentaine d’années est l’homme qui a convaincu son père de lancer son pays dans la guerre au Yémen pour en chasser les rebelles al-Houthis appuyés par des fidèles de l’ancien président Abdallah Saleh, jugés trop proches de Téhéran. En conséquence, il est le responsable de la situation sur le terrain, or cette dernière n’est pas bonne. Les forces saoudiennes et alliées piétinent malgré les bombardements massifs auxquelles elles se livrent. Les pertes commencent à être conséquentes dans les rangs de la coalition.

De plus, une intervention au sol en Syrie pour "combattre Daech" est envisagée en coopération avec la Turquie. Une trentaine de chasseurs bombardiers auraient été dépêchés le 13 février sur la base turque où stationnent déjà des appareils américains qui bombardent régulièrement le Groupe Etat Islamique (GEI) en Syrie.

Les Turcs ont de leur côté commencé à bombarder à l’artillerie lourde des positions reconquises par le YPG, les Unités de protections populaires, le bras armé du Parti de l’union démocratique (PYD), qui ont reconquis des villages et une base aérienne dans le "corridor d’Azaz" situé à l’est du canton d’Afrin, une région à majorité kurde. On apprenait ensuite que l’artillerie turque engageait également des cibles, vraisemblablement gouvernementales syriennes, sur les hauteurs nord de Lattaquié reprises de haute lutte sur les rebelles il y a quelques jours. Il est vrai que les régions visées par l’armée turque sont peuplées pour partie de Turkmènes considérés comme des "frères" par Ankara. Toutefois, la suite de cette "aventure militaire" est incertaine car elle risque de provoquer une véritable guerre régionale dont personne ne peut prédire la suite. Il semble que le président turc envisage d’envahir une "zone tampon" profonde d’une trentaine de kilomètres qui s’étendrait d’Afrin à l’ouest à l’Euphrate à l’est. L’objectif annoncé est de lutter contre Daech, ce qui n’est pas totalement faux puisque la zone de Jarabulus située à l'ouest de l’Euphrate est aux mains de ce mouvement. La Turquie en a les moyens militaires, la 2ème Armée étant sur le pied de guerre à la frontière turco-syrienne (ce qui fait de 15 000 à 20 000 hommes, des centaines de chars de bataille et de transports de troupes blindés appuyés par de l’artillerie lourde et l’aviation).

Si les Saoudiens décident de participer à cette action terrestre, ils dépêcheront vraisemblablement des forces spéciales pour faire "figuration", les effectifs plus lourds étant déjà occupés au Yémen et le long de la frontière irakienne.

Les positions de matamore de Mohammed ben Salmane commencent à irriter de nombreux autres princes saoudiens. Il y en a 400 de "sang royal" qui peuvent prétendre à la succession du roi Salmane bin Abdulaziz s’il venait à disparaître. Certains estiment que le prince Salmane peut conduire l’Arabie saoudite, donc ses dirigeants, dans un chaos incontrôlable. En particulier le prince Mutaib bin Abdullah bin Abdulaziz al Saoud, le tout-puissant ministre de la Garde Nationale qui ne dépend pas du ministère de la Défense, qui rongerait actuellement son frein. Il pourrait très bien faire alliance avec le prince Mohammed Ben Nayef pour "calmer" le jeune ambitieux. En effet, ces deux princes tiennent les forces intérieures qui peuvent aisément mettre en échec l’armée régulière – si celle-ci décide de s’opposer à un putsch, ce qui est loin d’être évident.

Quels leviers d'action (militaires, politiques, économiques, diplomatiques...) l'axe chiite pourrait-il lever contre l'Arabie Saoudite ?

L’axe chiite aussi souvent appelé le "croissant chiite" ne peut pas faire grand-chose de manière ouverte pour nuire à l’Arabie saoudite et à ses alliés sunnites. Tout est histoire d’influences et de guerres souterraines menée par le Vevak, les services secrets iraniens. Si des confrontations sont parfois ouvertes, ce sont alors des guerres par procuration comme c’est aujourd’hui le cas en Syrie et au Yémen. Dans ce dernier pays, les rebelles devraient recevoir plus d’aide de la part de l’Iran. Bien que le Yémen soit placé actuellement sous un état de siège de la part de l’Arabie saoudite et de ses alliés de la coalition qu’elle a montée de toutes pièces et même si les populations semblent manquer de tout, connaissant une famine qui ne semble guère émouvoir les bonnes âmes occidentales, les rebelles disposent d’armes et de munitions à profusion. Il utilisent des missiles anti-chars et même des missiles sol-sol avec lesquels ils bombardent des positions saoudiennes situées à la frontière sud de l’Arabie saoudite. Comment se procurent-ils tout ce matériel est une bonne question à se poser, et surtout, par où passe-t-il ?

Par contre, dans l’hypothèse où les Saoudiens posent des boots on the ground en Syrie comme cela a été expliqué dans la réponse à la question précédente, il n’est pas exclu que ces forces se retrouvent directement opposés à des pasdarans iraniens présents en force dans la région d’Alep. Comme je l’ai dit, il sera alors impossible de prévoir le développement de la suite des évènements.

D’un autre côté, 10 à 12% de la population saoudienne est chiite, particulièrement cantonnée dans le sud-ouest du pays le long de la frontière yéménite et en face du Bahreïn qui, lui, est à majorité chiite mais dirigé par la dynastie sunnite des al-Khalifa. Des troubles pourraient bien éclater dans ces régions qui ont été traumatisées par l’exécution du dignitaire chiite contestataire, le cheikh Nimr Baqer Al-Nimr le 2 janvier 2016.

En conclusion, la situation est explosive dans l’ensemble du Proche-Orient. L’initiative de Riyad de suivre Ankara dans ses délires guerriers vis-à-vis de la Syrie est irresponsable et les conséquences totalement imprévisibles. L’incendie risque fort de se propager à l’ensemble de la région avec la fragilisation des pouvoirs en place dont celui des Saouds. C’est là le paradoxe.

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