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Certaines femmes souffrent de manque de libido.
Certaines femmes souffrent de manque de libido.
©Reuters

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Ce que l'on nomme "viagra féminin", commercialisé sous le nom d'Addyi peut désormais être prescrit par ordonnance aux Etats-Unis. La molécule flibansérine pourrait aider les femmes rencontrant des troubles du désir, premier motif de consultation.

Ghislaine Paris

Ghislaine Paris

Ghislaine Paris est médecin sexologue. Elle est notamment l'auteur de Un désir si fragile (Quotidien malin, 2014) ou encore Faire l'amour pour éviter la guerre dans le couple avec Bernadette Costa-Prades (Albin Michel, 2010)

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Atlantico : Dans quelle mesure ce que l'on appelle "viagra féminin" répond-il à une demande dans nos sociétés ? Les problèmes sexuels des hommes sont souvent mis en avant, qu'en est-il de ceux que rencontrent les femmes ?

Ghislaine Paris : Sur le plan statistiques, le premier motif de consultation chez les hommes est les troubles érectiles, chez la femme il s'agit des troubles du désir. Il est très important de pouvoir parler de cette problématique et si l'effet flibansérine (le nom de la molécule) est le même que celui du viagra, c'est-à-dire permettre aux personnes de venir consulter, de parler de leurs difficultés, cela est très positif. La sexualité féminine a besoin que l'on se penche sur elle.

J'ai été très en colère au moment de la sortie du viagra et de tous les produits de la même famille – 4 à 5 médicaments sur le marché traitent de la dysfonction érectile – en me demandant pourquoi l'on ne se penchait pas sur les "mécanismes érectiles" concernant aussi la femme. On partait alors du principe, faux bien sûr, selon lequel pour les femmes c'est dans la tête que cela se passe, et que c'était d'ordre mécanique pour les hommes. Ces derniers ont aussi un cerveau et des émotions, ils connaissent aussi parfois des troubles du désir. Et les femmes subissent également des problèmes médicaux, des soucis hormonaux etc. Il était grand dommage de ne pas étudier les effets de ces molécules vaso-actives qui dilatent les artères et favorisent l'afflux sanguin en ce qui concerne le viagra, et regarder comment aider des femmes à l'aune de ces connaissances.

On pourrait se demander pourquoi ne se penche-t-on pas sur les troubles du désir masculin, cela existe aussi ! Les hommes ont parfois des troubles autres qu'érectiles. Un sexologue accomplit sait qu'une partie des troubles de l'érection chez l'homme relève en fait d'un trouble du désir. Le problème de l'érection est souvent la conséquence d'un problème de désir. La cause la plus fréquente de ces troubles, pour les hommes comme pour les femmes, est la dépression.

Dans la vulgate, l'homme ayant recours au viagra est d'âge mûr. Est-ce vrai ? Quel est le profil des femmes qui pourraient être intéressé par ce traitement ?

Le profil supposé du viagra est faux. Je prescris autant de viagra pour des gens d'un certain âge que pour des jeunes. L'une des indications du viagra est la peur et l'appréhension et les jeunes sont particulièrement soumis à ce type de stress.

De manière générale les femmes rencontrant des problèmes de désir sexuel peuvent être intéressées par ce médicament. J'ajoute que j'ai été choquée en découvrant l'indication de cette molécule : elle est réservée aux femmes non ménopausées. Pourquoi ? J'avoue avoir des difficultés à comprendre en quoi la ménopause interfère avec les neuro transmetteurs. Il ne s'agit même pas d'hormone dans le cas de la flibansérine. S'il s'agit de dire que les femmes ont du désir dans un cadre précis, et pas après la ménopause, cela est saugrenu. En permettant de libérer la parole, cette molécule en un sens aura déjà fait beaucoup !

Pourquoi ce type de traitement pour les femmes arrive-t-il si tard ?

C'est une bonne question ! Si cette molécule arrive si tardivement sur le marché c'est surtout car ce médicament est compliqué à mettre en place. On touche aux émotions, au désir. Traiter une dilatation artérielle est aisée aujourd'hui, traiter une émotion se révèle bien plus délicat. On a encore beaucoup à apprendre des neuro transmetteurs.
Deuxième raison, il y a un tabou autour de la sexualité féminine qui à certains égards reste enfermée dans un ghetto. Comme je l'expliquais, l'idée que cela est relatif à l'amour, à quelque chose que l'on ne maitrise pas, est une idée tenace.

Et puis un autre élément, très présent aux Etats-Unis notamment et dans une proportion moindre en France : le puritanisme, l'idée que l'on risque de déstabiliser l'ordre de la société car les femmes vont se mettre à avoir du désir est encore ancrée. Les réactions étaient similaires il y a 50 ans avec la pilule contraceptive. Pour beaucoup : "les femmes vont se déchainer, elles auront des amants, la famille sera en péril…" Je ne le pense pas ! Il est important de se pencher sur la sexualité féminine de manière différente que sous l'angle de la reproduction.  

Comment agit ce médicament ?

Ce médicament est appelé à tort "viagra féminin", or le mécanisme est différent. On stimule le désir avec des molécules, neuro-transmetteurs qui agissent au niveau cérébral, neurologique. Le viagra a une action locale de dilatation des artères génitales favorisant l'afflux sanguin et donc l'érection lorsqu'il y a une excitation sexuelle. Ainsi, en l'absence de désir, il n'y a pas d'excitation sexuelle et donc le viagra ne fonctionne pas. 

La flibansérine agit au niveau neurologique, ces neuro transmetteurs étant la sérotonine, la dopamine, la noradrénaline, et ces substances agissent sur nos émotions, nos comportements, notre humeur, notre sexualité etc.

A-t-on assez de recul ?

Quand un médicament sort et est commercialisé, il a été l'objet d'étude avec un nombre de tests conséquents. Normalement les effets négatifs du médicament ont été étudiés et il y a une certaine sécurité. Dans le cas de ce médicament, des effets négatifs existent, et représentent 5 à 10% des cas ce qui n'est pas négligeable. Il convient d'étudier, comme pour tout autre prise médicamenteuse, la balance bénéfice / risque. Si le bénéfice est largement supérieur aux risques encourus par le patient, c'est valable, dans le cas inverse bien entendu cela ne l'est pas.

Deuxième étape cruciale lors de la commercialisation d'un médicament, le retour patient qui est essentiel. Il est même supérieur à toutes les études précédentes même si ces dernières sont importantes pour la sécurité. Est-ce que cela va être assez intéressant, les patients vont-ils bien le supporter… Nous verrons.

J'espère que cette molécule ne sera jamais donnée sans passer avant par une vraie consultation diagnostique au départ de manière à identifier les causalités du trouble du désir. Ensuite, ce médicament ne doit pas  être donné sans un accompagnement thérapeutique. Il ne s'agit pas de recevoir la patiente 10 minutes et lui prescrire cette molécule sur un coin de table… C'est la même chose que pour le viagra par exemple. Face à un enjeu si complexe que représente la sexualité, avec une multifactorialité, il faut être rigoureux. 

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