Tous ceux qui vont sentir passer le dépassement de l’Arabie Saoudite par les États-Unis comme 1er producteur de pétrole<!-- --> | Atlantico.fr
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Grâce au pétrole de schiste les Etats-Unis se placent cette année en tête des producteurs mondiaux.
Grâce au pétrole de schiste les Etats-Unis se placent cette année en tête des producteurs mondiaux.
©Reuters

Ça sent le gaz (de schiste)

Exit l'Arabie saoudite et la Russie, les rois du pétrole aujourd'hui, ce sont les États-Unis ! Europe, Asie, Moyen-Orient... Le passage des Américains au rang de premier producteur mondial n'est pas sans effets sur les équilibres du monde.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

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Atlantico : Grâce au pétrole de schiste les Etats-Unis se placent cette année en tête des producteurs mondiaux, devant l’Arabie saoudite et la Russie. De manière concomitante, l’administration Obama a autorisé l’exportation de pétrole à moitié raffiné, chose qui depuis 40 ans était impossible. Le pays pourrait-il finir par jouer sur les cours ? Quelle est sa capacité d'influence en la matière ?

Stephan Silvestre : Ces deux faits remarquables sont en effet intervenus récemment, donnant le sentiment que les États-Unis étaient en passe de devenir un exportateur majeur de pétrole. Cependant, il faut rappeler que, si la production américaine dépasse maintenant les 12 millions de barils par jour, la consommation reste proche de 20 millions de barils/jour. Le pays est donc encore loin de l’autosuffisance et de se trouver en capacité d’inonder le marché. Les deux licences d’exportation qui ont été accordées sont néanmoins intéressantes, car elles portent sur du pétrole très léger, issu des nouveaux gisements, et peu adapté aux raffineries américaines. Ce qui se passe est que, si le pays reste le deuxième importateur mondial de pétrole, il regorge de brut léger qui ne trouve pas preneur sur le territoire national. D’où ces autorisations, accordées à titre expérimental.

Quant à pouvoir contrôler les prix, on en est très loin. Pour cela, les USA devraient devenir l’État pivot sur le marché à la place de l’Arabie Saoudite, capable de délivrer instantanément 3 à 4 millions de barils/jour pour faire face à la demande. Sa production globale devrait donc se situer autour de 28 millions de barils/jour, plus du double du chiffre actuel. De toute façon, un prix bas n’est pas la première préoccupation des Américains. Ce qui est plus important à leurs yeux est de trouver les ressources nécessaires pour alimenter leur croissance.

Moins dépendants du Moyen-Orient pour leurs importations, les Etats-Unis vont-ils encore plus se désengager de la région, et avec quelles conséquences ?

Actuellement, 20% des importations américaines proviennent du Golfe Persique, ce qui représente 10% de la consommation du pays. C’est important, mais pas vital. Pour le moment, il serait difficile de remplacer intégralement cette source d’approvisionnement, mais ce n’est pas exclu à moyen terme. Ce mouvement économique s’accompagne d’un mouvement stratégique, avec un allègement progressif de la présence militaire américaine dans cette région. Mais les USA ne se retireront pas complètement, à la fois pour des raisons politiques – ils ont des alliés locaux à assister – et pour des raisons de sécurité – ils interviennent périodiquement contre les groupes islamistes disséminés dans cette région. De plus, il n’est pas exclu qu’un jour les Américains s’allient aux chiites au détriment des sunnites. Un tel revirement s’accompagnerait probablement de nouvelles menaces sur les intérêts américains.

Vers qui les pays du Golfe vont-ils se tourner pour leurs exportations ? L’Asie deviendra-t-elle leur principal client ?

Oui, l’Asie, bien entendu, et c’est déjà le cas. Si on considère l’ensemble de l’Asie (Japon, Chine, Inde, Corée), elle est déjà en tête. L’Arabie Saoudite expédie ainsi 4 de ses 8 millions de barils/jour en Asie, contre seulement 1,5 vers les États-Unis. Il en est de même avec les autres producteurs du Golfe.

La Chine est particulièrement dépendante des importations de pétrole. Les Etats-Unis pourraient-ils trouver là un moyen de pression diplomatique ? Comment pourraient-ils en profiter ?

Ils pourraient le faire de deux façons. La première, assez hypothétique, en venant se substituer aux fournisseurs du Golfe persique. Certes, cela donnerait un poids supplémentaire aux Américains dans leurs négociations avec la Chine. Cependant, et contrairement à l’Europe, la Chine ne se sentirait pas plus en sécurité avec du pétrole américain qu’avec du pétrole arabo-persique. L’autre façon, bien plus probable, serait en vendant aux Chinois des technologies-clés nécessaires à l’exploitation d’hydrocarbures chinois. Dans leur quête d’indépendance énergétique, les Chinois privilégient bien sûr les ressources nationales. Mais ils manquent cruellement de technologies pour leur exploitation. Les Américains ont donc une carte à jouer, ce qu’ils ne manqueront pas de faire.

Qu’en est-il de l’Europe ? On sait que dans un contexte de tensions avec la Russie, les Etats-Unis ont insisté pour qu’elle se tourne davantage de l'autre côté de l'Atlantique pour satisfaire ses besoins énergétiques… Le Vieux continent pourrait-il se retrouver sous la coupe du cousin américain ?

Cette hypothèse est assez séduisante pour de nombreux pays, notamment ceux de l’est, encore sous perfusion de la Russie. Mais à l’ouest, il existe des réticences. D’une part, certains voient d’un mauvais œil cette nouvelle dépendance au cousin américain, comme en témoignent les difficiles négociations en cours sur l’accord de libre-échange. D’autre part, l’Union européenne cherche à minimiser sa consommation d’hydrocarbures et promeut surtout les efforts de sobriété. L’arrivée d’un pétrole bon marché, après le charbon et le gaz, n’irait manifestement pas dans ce sens.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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