Tour de France d’Emmanuel Macron : ces 4 œillères qui risquent bien d’empêcher le président de comprendre les Français rencontrés <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Emmanuel Macron et le maire Gérard Miquel donnent une conférence de presse lors d'une visite à Saint-Cirq-Lapopie, près de Cahors, dans le sud-ouest de la France, le 2 juin 2021.
Le président Emmanuel Macron et le maire Gérard Miquel donnent une conférence de presse lors d'une visite à Saint-Cirq-Lapopie, près de Cahors, dans le sud-ouest de la France, le 2 juin 2021.
©LIONEL BONAVENTURE / PISCINE / AFP

Visites du chef de l'Etat

Emmanuel Macron a beaucoup théorisé sur le monde d’après mais idéologiquement, il s’inscrit absolument dans le prolongement du monde intellectuel qui a produit les dysfonctionnements et les fractures des démocraties libérales.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Les diverses visites que programme dans toute la France Emmanuel Macron semblent s'inscrire dans sa stratégie de campagne pour les échéances des régionales, et, à plus long terme, des élections présidentielles. Peut-il être audible auprès des populations, ou les factures de la société française sont-elles trop profondes ?

Christophe Bouillaud : Il faut d’abord rappeler l’évidence. Ce type de visites présidentielles constitue d’abord des mises en scène de l’écoute par le pouvoir de l’heure du pays profond – le choix pour commencer la tournée d’un petit village touristique du Sud-Ouest renoue en plus avec une véritable image d’Epinal de la France d’avant les « Trente Glorieuses ». Tout Président de la République qui se livre à ce genre d’exercices sait bien ce qu’il va entendre. Il dispose en effet de mille autres moyens de s’informer sur l’état du pays. Il n’y a pas en effet d’exemple où un Président en exercice découvrirait à cette occasion un aspect inconnu de la réalité ou du fonctionnement du pays.  Il en attend donc surtout que la presse et les médias donnent un écho à cette tournée en province pour le montrer « à l’écoute des Français ». Si possible, vu le passé récent, je suppose qu’Emmanuel Macron aimerait bien qu’aucune confrontation n’ait lieu à ces occasions. Cela lui permettra de souligner que sa relation avec les Français est désormais redevenue apaisée, bienveillante comme au premier jour de son idylle avec le pays. Il prend toutefois le risque qu’au détour d’une de ces visites un groupe de perturbateurs ne le prenne à partie. Mais l’omniprésence policière et le renseignement en amont devraient lui éviter toute mauvaise surprise.

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Quoi qu’il en soit, il est peu probable qu’une telle série de tournées en province changent quoi que ce soit à l’état de l’opinion à son égard. Les Français depuis son élection en 2017 ont largement eu le temps de se faire une opinion, bonne ou mauvaise, à son égard, que ce soit à l’égard de sa personnalité ou de son action. Les résultats de la vague 1 de l’Enquête électorale 2022, sondage effectué en avril 2021 sous l’égide du CEVIPOF, sont éclairants de ce point de vue. 62% des sondés considèrent que le bilan présidentiel d’Emmanuel Macron après quatre années de pouvoir est négatif, pour 38% qui le voient positif. Sans aucune surprise, ce jugement, considéré en grande masse, s’avère totalement cohérent avec les orientations partisanes de chacun. 91% des répondants qui se déclarent proche de LREM ou du MODEM lui donnent un bilan positif, et, parmi eux, 12% très positif. Inversement, plus on s’éloigne de sympathies partisanes centristes, plus on juge durement l’action du présent Président. 14% de sympathisants déclarés du RN lui donnent acte d’un bilan positif, et 15% de ceux de FI. On retrouve cette même configuration pour ce qui concerne l’action du pouvoir pendant la crise sanitaire, que ce soit du point de vue sanitaire proprement dit ou du point de vue économique. Le filtre partisan joue là aussi à plein. Quant à l’image personnelle du Président, 81% des électeurs centristes (LREM, MODEM) l’apprécient, 35% des électeurs de gauche (FI, PCF, EELV, PS), 38% des électeurs du centre-droit et de droite (LR, UDI), et, sans surprise là encore, seulement, 20% des électeurs du RN. Le même sondage détaille d’ailleurs les traits de personnalité attribués aux diverses personnalités par les sondés sous forme de notes (allant de 0 à 10). Deux questions sont intéressantes : pour ce qui est de savoir si Emmanuel Macron a l’étoffe d’un Président, il obtient une note moyenne de 5,5, qui correspond à la moyenne pondérée par leur masse respective d’un 8,3 auprès des électeurs de son camp, , à un 5,7 à droite, à un 4,8 à gauche,  à un 4,5 pour les électeurs ne se déclarant proche d’aucun parti, à un 3,8 pour les électeurs DLF et à un 3 pour les électeurs du RN ; pour celle de savoir s’il inquiète, les scores sont tout aussi cohérents : il n’inquiète pas ses partisans (2,2), mais beaucoup les sympathisants des autres partis (tous au-delà de 4,8), mais aussi ceux qui n’ont pas de sympathie partisane déclarée (5).

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Si l’on s’éloigne un peu de l’action et de la personnalité d’Emmanuel Macron, le même sondage montre bien en matière de priorité de l’action publique que les Français sont divisés sur des lignes de fracture multiples, mais assez cohérentes. Par exemple, il n’y a que les sondés se déclarant proches d’EELV à choisir à 85% de donner vraiment priorité à l’urgence environnementale. On ne sera pas étonné non plus d’apprendre que les sympathisants du RN ou de DLF sont particulièrement hostiles à l’accueil de réfugiés (81% et 72% respectivement). Le seul point d’accord sur ce fond très classique de désaccords n’est autre que celui sur la réindustrialisation du pays quitte à payer plus cher les produits made in France. 85% des sondés sont – au moins en paroles - pour cette option : bien sûr le contenu de cette réindustrialisation diffère sans doute entre un électeur RN attaché au moteur diesel de son vieux SUV et l’électeur EELV prêt à acheter son vélo électrique dernier cri.

Quelles sont les principales fractures qui traversent l'opinion et qui risquent de limiter les effets des déplacements d'Emmanuel Macron ?

Jean Sébastien Ferjou : La première rupture concerne le capitalisme mondialisé et financiarisé qui n’a pas tenu ses promesses, pas plus que l’euro. L’un et l’autre ont largement été conçus comme des moyens d’échapper à des responsables politiques démagogues et trop dépensiers. C’est d’ailleurs souvent la gauche qui a été l’artisan de ce qu’on a appelé le néo-libéralisme. Pas par conviction profonde mais par évitement : l’enjeu pour elle était de se débarrasser des rigidités du marxisme et des dérives budgétaires de la social-démocratie héritée du New Deal et de la reconstruction. Le problème c'est qu'aucune majorité de Français ne veut renoncer au capitalisme ni à l’euro, et que cela n'est pas possible du reste.

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La seconde rupture concerne les promesses de l’immigration comme parachèvement de la consolidation des démocraties libérales. Cette considération est une double erreur anthropologique : d'une part, on a promis aux immigrés que les sociétés d’arrivée leur devaient un accueil inconditionnellement chaleureux et bienveillant, et, d'autre part, on a promis aux sociétés d’accueil que l’immigration était une chance économique et un enrichissement culturel et humain.

La troisième rupture est économique : on a promis à la France des champs que la prospérité économique de la France des villes ruissellerait mécaniquement vers elle, et qu’il lui suffisait pour être heureuse dans son pré de se transformer en jardins ou en villages témoins disneylandisés pour citadins en goguette. Moyennant quoi, on a démantelé les bourgeoisies locales, au sens littéral, les élites des bourgs, sans mesurer l’impact profondément déstabilisant que cela aurait pour la démocratie.

Chirstophe Bouillaud : Comme on le voit dans le sondage du CEVIPOF que j’ai déjà évoqué,  et dans ce que nous apporte tout le vaste appareil statistique sur les inégalités de revenus et de patrimoine en France, il faut rappeler tout d’abord que, si la France de 2021 demeure du point de vue de la production par habitant et de la richesse par habitant un pays riche, certains de nos compatriotes sont moins bien lotis que d’autres, et surtout chacun se sent plus ou moins armé face aux dynamiques de mondialisation, européanisation, désindustrialisation en cours depuis des décennies. Le jugement sur la mondialisation se trouve ainsi très lié à l’orientation partisane : les électeurs d’extrême-droite et d’extrême-gauche sont beaucoup à y voir une menace pour la France, et les électeurs du centre y voient plutôt une chance.

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Il faut ajouter que ces jugements très différents sur la mondialisation, largement liés à des statuts socio-professionnels, correspondent aussi à des évolutions territoriales. Ce n’est pas seulement une question d’opposition entre Paris, les métropoles et le reste du pays, mais aussi la conséquence d’usages résidentiels de l’espace français très différenciés. La côte atlantique par exemple bénéficie de son attractivité résidentielle. Inversement, toute une France intérieure continue à perdre des habitants, et, bien sûr, l’ambiance en ces lieux ne peut que s’en ressentir.

En second lieu, à ces différences liées au destin probable de chacun face à la mondialisation, différence qui existent en fait dans tous les pays développés, il faut ajouter la fracture autour de l’immigration. Le FN, désormais le RN, existe électoralement d’abord et avant tout à cause de cette fracture. Comme dans beaucoup d’autres pays qui ont fait appel à de la main d’œuvre étrangère dans les années 1950-1970 pour assurer la poursuite de la croissance extensive de l’époque, la société française s’est complètement illusionné sur la nature de cet apport. On l’a cru temporaire, ou on a voulu le croire temporaire, alors même que l’histoire de l’immigration en France depuis les années 1890, voire avant, prouvait déjà que cela serait plutôt le contraire. Nos voisins allemands ont fait la même erreur. Du coup, il n’y a jamais eu de réflexions cohérentes menées sur ce point qui aillent au-delà de la nécessité économique de l’heure. Elles auraient d’ailleurs pu aller dans le sens de l’ouverture ou de la fermeture. L’immigration peut être une nécessité économique, mais, dans ce cas-là, il faut bien répartir les gains et les pertes de ce choix.

De même, on a signé dans les années 1950 des accords sur l’accueil inconditionnel des réfugiés. Cela correspondait à la culpabilité ressentie face au sort tragique des Juifs d’Allemagne après 1933, et aussi au fait qu’à l’époque, en Occident, les réfugiés futurs avaient de bonnes chances de venir surtout de l’Est communiste –ce qui s’est effectivement produit en 1956 pour les Hongrois fuyant l’échec de l’insurrection anti-communiste d’octobre 1956 ou pour les « boat-people » de l’ancienne Indochine française dans les années 1970. L’on partait ainsi du principe que ces réfugiés seraient tous favorables à notre mode de vie démocratique. Contrairement à ce que prétend l’extrême-droite, c’est probablement toujours le cas aujourd’hui pour la plupart des réfugiés actuels (Syriens par exemple), mais, là encore, la mondialisation a tout changé, les masses de réfugiés potentiels sont énormes (deux tiers des êtres humains vivent en 2021 dans des régimes politiques moins libres que celui de la France), et cela demande donc à réfléchir à deux fois à une stratégie politiquement réaliste. Après tout, vu la dictature en vigueur en Chine communiste, comment pourrait-on légitimer notre refus de recevoir des dizaines de millions de Chinois vraiment « démocrates » ou tous les Chinois de religion chrétienne (en risque de persécution par le régime actuel) ? Le Royaume-Uni a réaffirmé récemment qu’il accueillerait volontiers tous les Hongkongais ayant droit à la citoyenneté britannique, mais, de là, à prendre dans les îles britanniques tous les Hongkongais démocrates, il y a tout de même un grand pas. 

Ces deux éléments combinés  – économie et immigration -  correspondent d’ailleurs aux zones de force électorale du RN, telles que les prévoient les sondages pour les élections régionales de la fin de ce mois, qui dessinent les parties du pays où une grande masse d’électeurs se trouve en souffrance sur l’un de ces deux points ou sur les deux : les Hauts-de-France désindustrialisés, la Bourgogne désertée, la Provence Alpes Côtes d’Azur ségrégée.

Dans l'autre sens, qu'est-ce qui empêche Macron de comprendre les Français ? Idéologiquement, n'est-il pas déconnecté des grandes questions actuelles ?

Jean Sébastien Ferjou : Il faut saisir que toutes ces promesses, énoncées plus haut, n’ont pas été uniquement faites par véritable souci de l’amélioration du genre humain. Mais parce que la culpabilité liée au traumatisme de la Seconde guerre mondiale nous poussait à nous rendre meilleurs afin de nous sentir mieux. L’autre et le souci de l’autre sont plus devenus des instruments de la gestion de nos angoisses que des soucis authentiques. Ces promesses constituent des œillères du macronisme qui risquent d'empêcher le Président de comprendre les Français, même en les rencontrant.

Christophe Bouillaud : Emmanuel Macron ne me parait pas si déconnecté que cela.  Il me parait plutôt prisonnier des contraintes de son propre électorat et des groupes d’intérêt qui le soutiennent. La France qui va bien, la France qui gagne, la France qui se félicite des records de prix dans l’immobilier parisien, des métropoles ou de la côte atlantique, ou du cours des actions, ne peut guère se soucier vraiment de l’autre France. Cela supposerait des contraintes nouvelles dont cette France du bien-vivre ne veut pas entendre parler.

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