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Toujours plus cher pour se loger ou pour acheter une voiture : mais qui parvient encore à vivre mieux que ses parents en France ?
©Flickr

C'était mieux avant

Les disparités géographiques observables en France quant au niveau de vie d'une génération à une autre témoignent des modifications de l’économie du pays, consécutives de son adaptation à la mondialisation, qui a privilégié certains territoires au détriment des autres.

Joël Hellier

Joël Hellier

Joël Hellier est économiste et enseigne à l'Université de Nantes et de Lille 1. Ses travaux portent sur la macroéconomie des inégalités, l'économie de la mondialisation, l'éducation et la mobilité intergénérationnelle et l'économie du travail.
 

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Selon les données confidentielles communiquées aux Echos par un constructeur, extraites de l'enquête NCBS (New Car Buyer Survey) réalisée par un organisme indépendant, le prix d'achat d'une voiture neuve s'éleverait aujourd'hui en France à 24 300 euros, soit 4 000 euros de plus qu'il y a dix ans et 10 000 euros supplémentaires (non-corrigés de l'inflation) si l'on compare à 1996. Que révèle cette hausse sur le creusement des inégalités intergénérationnelles survenues ces dernières années/décennies ?  

Joël HellierIl convient de considérer un certain nombre données, parmi lesquelles les niveaux de gamme : si la hausse moyenne des prix de l'automobile achetée par les ménages révèle tout simplement une montée en gamme, cela n'a alors rien d'étonnant. En effet, s'il y a trente ans, les individus n'achetaient que des R5 et que désormais, ils achètent des moyennes, voire des hautes gammes, on comprend alors aisément l'effet induit. Pour évaluer la hausse du prix d'un bien, et en particulier d'un bien durable, on rapporte généralement son prix moyen au niveau du revenu moyen: ceci permet de savoir combien coûte ce bien par rapport à ce que gagne une personne en moyenne. Par ailleurs, on essaye de faire cette évaluation à qualité constante.

Le premier élément qui va avoir un impact sur la consommation, c’est le revenu et l’épargne : plus le revenu augmente et plus la consommation va augmenter ; plus l’épargne augmente et plus la consommation va diminuer. Ce que l’on constate depuis plusieurs années, ce sont des revenus qui augmentent très peu dans les pays industrialisés, et tout particulièrement en France ; quant à l’épargne, celle-ci semble être repartie à la hausse depuis 2015. Ainsi, l’évolution de la consommation est plutôt faible.

Il convient ensuite de porter attention sur ce que l’on consomme, en distinguant les biens durables et les biens non-durables ; l’automobile est typiquement un bien durable. On sait que lorsqu’il y a une montée des incertitudes qui fait que l’on épargne davantage, ou une décélération du revenu qui va faire que ce dernier n’augmente pas, voire diminue, la consommation de biens durables est repoussée à plus tard.

Les biens durables correspondent typiquement à un marché de renouvellement dans la mesure où dans nos pays, la plupart des individus sont équipés d’une voiture. Ce marché est connu pour ne pas véritablement augmenter, et où les primo-entrants, tels que les jeunes, vont avoir un impact important ; ceci est typiquement le cas du marché de l’automobile.

Les jeunes sont les plus touchés par le ralentissement de revenus. Ce sont plutôt eux qui vont avoir un problème de chômage, un problème lié à la notion de "risque". Même s’il a un emploi, un jeune ne sait pas s’il va le garder ; cette instabilité va limiter sa capacité à s’endetter. Avant, cela était plus facile compte tenu de la part occupée par le CDI dans la création d’emplois chez les jeunes, qui est de 10% à peine aujourd’hui. C’est parce que les jeunes sont actuellement moins bien lotis qu’ils vont consommer moins d’automobiles, ce qui peut avoir un effet récessif sur ce marché. 

A l'échelle du territoire national, quelles sont les catégories socio-économiques/socio-profesionnelles précisément qui vivent mieux que leurs parents ? A l'inverse, quelles sont celles qui vivent moins bien qu'eux ? Comment interpréter ces disparités géographiques ?

Laurent ChalardPour synthétiser, en gardant en tête que dans le détail la situation est beaucoup plus complexe, il est possible de distinguer trois types de territoire.

D’un côté, il existe deux types de territoire, où les populations résidentes vivent plutôt mieux que leurs parents.

Le premier type correspond aux grandes métropoles, dans lesquelles se concentrent les actifs occupés cadres, qui ont, en règle générale, un niveau de vie équivalent, voire meilleur, que celui de leurs parents, et surtout de leurs grands-parents. Ils ont pleinement bénéficié de la mondialisation, partent en vacances souvent, et sont propriétaires d’un logement ayant une forte valeur financière, même si leur superficie n’est pas toujours très importante. Le phénomène est renforcé par le fait que les actifs occupés en phase d’ascension sociale du reste du territoire national viennent s’installer dans les grandes métropoles, qui concentrent de plus en plus les emplois qualifiés. Il convient cependant de garder en tête que ce schéma est surtout valable pour les actifs occupés cadres de plus 40 ans vivant en couple. Pour les plus jeunes et les familles monoparentales cadres, c’est beaucoup moins vrai du fait de l’explosion des prix de l’immobilier, qui n’est pas corrélée à celle des revenus, et le schéma ne s’applique, bien évidemment, pas aux nombreux travailleurs immigrés qui occupent les emplois bas de gamme.

Le second type de territoire correspond aux territoires d’économie résidentielle, où les retraités, très présents, vivent mieux que leurs parents puisqu’ils ont bénéficié pleinement des acquis du boom des Trente Glorieuses qui leur ont permis de prendre leur retraite dans des territoires attractifs : littoraux balnéaires ou campagnes aux paysages remarquables. Ils sont propriétaires de leur logement et leurs pensions de retraite leur permettent de pleinement bénéficier de la vie, avec souvent des voyages à l’étranger. Il est à noter cependant que pour les jeunes actifs de ces territoires, qui travaillent dans le secteur touristique et le domaine des services à la personne, la situation est beaucoup moins rose.

A contrario, d’un autre côté, se distinguent les territoires, qui concentrent les populations peu diplômées, en particulier d’ouvriers et d’employés, où les actifs occupés (ou non) d’aujourd’hui vivent, en règle générale, moins bien que leurs parents. Ce sont les territoires ruralo-industriels, se composant d’espaces ruraux à proprement parlé, mais aussi de petites villes et de villes moyennes, ce que le géographe Christophe Guilluy dénomme la "France Périphérique". En effet, la désindustrialisation y a été massive, le chômage de masse s’y étant installé avec peu de possibilité d’ascension sociale sur place, du fait, entre autres, de l’éloignement des universités et grandes écoles, mais aussi, tout simplement, d’absence d’offres d’emploi de cadres sur place. Alors que les parents avaient un emploi rémunéré, qui leur avait permis, pour certains, de devenir propriétaire de leur logement dans des territoires au coût du foncier peu élevé, les enfants combinent période de chômage et petits boulots, les empêchant de mettre de l’argent de côté.

Ces disparités géographiques témoignent des modifications de l’économie française, consécutives de son adaptation à la mondialisation, qui a privilégié certains territoires, les métropoles et les territoires d’économie résidentielle, au détriment des autres. En conséquence, dans les territoires en déclin, le niveau de vie a stagné, voir diminué, en particulier pour les jeunes générations, puisque ces territoires ne peuvent plus offrir autant d’emplois qu’auparavant à leurs habitants. La raréfaction des emplois peu qualifiés, produit de la nouvelle géographie économique mais aussi des gains de productivité considérable dans le secteur secondaire, a été une catastrophe pour des territoires où la population se formait traditionnellement sur le tas. Un département comme les Ardennes, où la majorité des emplois disparus dans la métallurgie sont des emplois d’ouvriers spécialisés, c’est-à-dire non-qualifiés, en constitue un exemple-type.

Quels sont les critères retenus pour apprécier les conditions de vie générales d'une génération à une autre ? 

Joël HellierIl existe deux types d’approches statistiques : celle par le revenu et celle par le panier de consommation. L’approche par le revenu consiste à regarder la manière dont évolue le revenu d’une génération à une autre. Etant donné à la fois le niveau de croissance et le niveau d’augmentation de la productivité dans les économies avancées, il apparaît évident que les générations actuelles sont beaucoup plus mal loties que les générations des années 1960-1970, et encore plus par rapport à celles des années 1950.

Pour mesurer davantage la pauvreté, on considère un panier de biens minima nécessaires, comme avoir un logement, un réfrigérateur, une télévision, etc. Si sur dix biens durables pris dans ce panier, il en manque trois, on considère que vous êtes en dessous du seuil de pauvreté, les mesures dépendant, bien évidemment, des biens durables considérés. 

Du point de vue des groupes socioprofessionnels, après avoir eu le phénomène de hausse des inégalités qui touchait en particulier les non-qualifiés au cours des années 1980, on assiste désormais au phénomène de polarisation depuis les années 1990 dans les pays anglo-saxons et depuis les années 2000 dans les pays d’Europe occidentale hors Grande-Bretagne. Selon ce phénomène, ceux qui se portent moins bien aujourd’hui sont les classes moyennes dites "inférieures" et "moyennes-moyennes".

A l’inverse, ceux qui se portent très bien sont les groupes sociaux les plus élevés, qui voient leur part de revenus augmenter de façon très forte dans tous les pays, et tout particulièrement en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Pour ce qui est des classes les plus défavorisées et des classes moyennes, celles-ci, en revanche, ne gagnent pas plus maintenant qu’en 1970 en termes réels. Les classes moyennes sont ainsi les grandes perdantes de ces dernières années en matière de revenus, mais également en matière de fiscalités celles-ci étant moins mobiles que les classes aisées qui, elles, peuvent fuir une fiscalité trop lourde. 

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