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Derrière le procès Timochenko, 
une forte odeur de gaz
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Ukraine

Peut-on parler de remake des procès de Moscou en Ukraine ? Depuis le 5 août, l'ancienne Premier ministre et égérie de la Révolution orange Ioulia Timochenko est incarcérée. Accusée d'abus de pouvoir, elle encourt 7 à 10 ans de prison. Ce procès est-il une simple affaire de politique intérieure, ou de contrats gaziers saupoudrés d'influences mafieuses ?

Arnaud Castaignet

Arnaud Castaignet

Arnaud Castaignet est consultant dans une agence de communication, après avoir travaillé en tant que journaliste économique pour une revue britannique.

Spécialiste des questions énergétiques et géopolitiques, il collabore toujours avec la presse étrangère sur des questions de relations internationales. 

Il tient un blog sur consacré à la politique internationale et aux affaires militaires : http://surlefront.blogs.nouvelobs.com/

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Depuis le début de son procès, le 24 juin, Ioulia Timochenko n'a cessé d'accuser l'actuel président Viktor Ianoukovitch d'orchestrer ces affaires pénales dans le but de l'éliminer politiquement. 

Qu'est-il reproché à la chef de l'opposition ? Le tribunal estime qu'elle aurait conclu des accords gaziers "désavantageux" pour l'Etat ukrainien vis-à-vis du voisin russe en 2009. On l'accuse "d'abus de pouvoir", accusation qui peut prêter à sourire dans un pays où les procès politiques se multiplient depuis l'accession de Viktor Ianoukovitch  à la présidence de la République le 25 février 2010.

Ioulia Timochenko n'est pas une sainte, loin de là. La "princesse du gaz" a débuté sa carrière dans le secteur de l'énergie, notamment au sein de la KOuB, entreprise unifiée des systèmes énergétiques ukrainiens où elle a fait fortune dans des circonstances opaques.

Cependant, depuis le début de sa carrière politique et notamment les années 1999-2001 où elle était à la tête du ministère des Combustibles et de l'Energie au sein du gouvernement de Viktor Iouchtchenko, elle s'est fortement opposée aux oligarques de l'industrie, avant de devenir l'égérie pro-occidentale de la Révolution Orange en 2004. 

Il faut remonter à 2009 pour retrouver la trace de ces contrats gaziers "désavantageux" signés par Ioulia Timochenko, à l'époque Premier ministre. Après des mois de crise du gaz entre Moscou et Kiev, Timochenko et Vladimir Poutine, Premier ministre russe, aboutissent à un accord rétablissant l'approvisionnement en gaz de l'Ukraine et de l'Europe. Ces accords entre l'entreprise russe Gazprom et l'ukrainienne Naftogaz affirmaient notamment que l'Ukraine devait bénéficier de réductions de 20% du prix du gaz en 2009 avant un alignement sur les prix et tarifs européens en 2010. Timochenko et Poutine ont également exprimé leur volonté de supprimer les intermédiaires, visant par-là l'entreprise fortement opaque RosUkrEnergo.

Cette compagnie de droit suisse faisait office d'intermédiaire entre les pays producteurs de gaz comme le Turkménistan, le Kazakhstan ou la Russie, notamment, et les pays d'Europe Centrale et Orientale, en premier lieu l'Ukraine. Si l'on sait qu'elle est une filiale à 50% de Gazprom, l'autre moitié est détenue par une holding appelée Centragas, représentant des actionnaires ukrainiens dont les noms, pour certains, demeurent confidentiels. D'autres noms sont connus et notamment celui de Dmytro Firtash, vice-président de RosUkrEnergo, député du Parti des Régions de Viktor Ianoukovitch et proche de Semion Mogilevitch, parrain de la mafia russe.

En dépit de cette opacité, cette entreprise, créée en juillet 2004 à la suite d'un accord entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue ukrainien pro-russe Leonid Koutchma, a été chargée de 2006 à janvier 2009 de transporter le gaz russe et turkmène à travers l'Ukraine, jusqu'en Europe.

Dès 2006, dans une interview à la BBC, Ioulia Timochenko dénonçait les connexions entre RosUkrEnergo et Semion Mogilevitch, par l'intermédiaire de Dmytro Firtash.

En 2010, un câble diplomatique américain dévoilé par Wikileaks corroborait les accusations de Ioulia Timochenko. Ce câble, rédigé par un diplomate américain en poste à Vienne, Scott F. Kilner, relatait les confidences de hauts responsables de la banque autrichienne Raiffeisen, chargée des deals gaziers entre l'Ukraine et la Russie en 2006. Les responsables de la Raffeisen ainsi que les diplomates américains accusaient RosUkrEnergo d'être contrôlée par Semyon Mogilevitch, et les dirigeants de la banque autrichienne nommaient les deux bénéficiaires principaux de la manne de RosUkrEnergo: Dmytro Firtash et Ivan Fursin, devenu par la suite chef du cabinet du président Ianoukovitch.

Dans ce contexte, on comprend mieux les enjeux du procès Timochenko. L'ancienne Premier ministre a mis en 2009 un terme au rôle de RosUkrEnergo en tant qu'intermédiaire du secteur gazier, fermant ainsi le robinet alimentant le parrain russe Semion Mogilevitch et le Parti des Régions du président Viktor Ianoukovitch via Dmytro Firtash et Ivan Fursin. On peut donc voir le danger pour le gouvernement en place. Le procureur en charge du dossier, qui a déclaré lors de sa nomination en novembre 2010 que sa mission exclusive consistait à servir le président de la République, et les juges ont d'ailleurs été à de nombreuses reprises félicités par Viktor Ianoukovitch.

L'Europe aurait tort de prendre ces affaires à la légère. Car derrière ce procès se joue non seulement l'avenir politique et démocratique d'un pays faisant partie de son voisinage direct, mais également des enjeux énergétiques décisifs quant à l'approvisionnement européen (l'Ukraine étant l'un des principaux pays de transit du gaz russe) et des enjeux criminels particulièrement importants (Semyon Mogilevicth étant recherché par le FBI depuis plusieurs années). Les condamnations diplomatiques ne peuvent donc suffire, il faut à présent passer aux sanctions.

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