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Tensions sur les dépenses publiques : ce big bang fiscal à côté duquel la France est encore en train de passer
©JOEL SAGET

Défi budgétaire

Le gouvernement a annoncé en moins de 24 h qu'il allait baisser les impôts de 7 milliards en 2018 Edouard Philippe) et baisser les dépenses publiques dans le même temps (Bruno Le Maire).

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Atlantico : Comment le gouvernement compte-t-il faire pour atteindre ces deux objectifs en apparence assez contradictoires ?

Jean-Yves Archer : La semaine dernière, tant l'opinion publique que les milieux économiques ont été déçus de voir le gouvernement d'Edouard Philippe se focaliser sur les seuls déficits pour le budget 2018 au détriment de l'application des baisses d'impôts promises par le candidat Macron.‬‬

D'aucuns avaient raillé l'inexpérience du jeune président et sa capacité à céder, à faire passer des préoccupations de comptables avant les véritables enjeux économiques. Pour notre part, nous avions estimé qu'il valait mieux alourdir exceptionnellement notre dette de 15 milliards ( soit 0,67% des 2.200 mds que nous aurons tôt ou tard à juguler, pour partie ) que de prendre le risque de casser la dynamique de l'embellie conjoncturelle. ‬‬‬‬‬

" Je suis convaincu qu’on peut à la fois baisser les dépenses publiques et baisser les impôts pour les Français et pour les entreprises françaises. Je plaide auprès du Premier ministre, auprès du président de la République pour qu’on suive cette ligne-là ». Bruno Le Maire s'est ainsi exprimé aux Rencontres d'Aix-en-Provence pilotées par le Cercle des Economistes et notamment par Jean-Hervé Lorenzi.

Compte-tenu du cadeau empoisonné de François Hollande, il va falloir trouver 6 milliards d'économies d'ici à fin 2017 hors tenue d'un collectif budgétaire qui aurait pourtant permis d'enclencher plus rapidement la nouvelle politique économique. Dès lors, des gels de crédits et des reports d'investissements publics vont être effectués. L'Etat va ressortir ses légendaires coups de rabot.

L'équation va se compliquer en 2018 : en effet, la volonté de stabiliser les dépenses publiques, hors inflation, parait – à ce stade – difficile à conjuguer avec des baisses d'impôts.

Ces dernières devraient essentiellement concerner l'exonération partielle de taxe d'habitation et la suppression de la partie valeurs mobilières de l'ISF. Autant dire un total de manque à gagner de plus de 10 milliards suivant le niveau du curseur retenu.

Or, 2018 va voir – mécaniquement – un dérapage budgétaire issu des mesures prises par le gouvernement Valls : je fais ici référence aux charges sécuritaires ( recrutements police et armées, équipements, Opex ), à l'étalement du plan Guyane, etc. 

Le gouvernement table incontestablement sur la croissance ( 1,8% ? ) qui lui permettra d'engranger davantage de recettes fiscales ( + 8 milliards ) mais pour l'heure, il apparait bien une impasse budgétaire de près de 10 milliards. Sur ce sujet, Edouard Philippe a un peu dévoilé sa tactique : faire adopter des mesures dans le PLF pour 2018 avec date d'effet au début de 2019.

Le problème de ces mesures prises à la "va-vite" n'est-il pas qu'elles se contentent de petits ajustements, un peu comme ce que faisait le Président François Hollande au lieu d'engager une vraie réforme prenant en compte les problèmes globaux qui pèsent sur la France ?

Le président de Total, Patrick Pouyanné, a déclaré : " En ce moment, le monde entier admire la France. Il y a un regain de confiance, d’optimisme dans ce pays. Ce que j’attends de ce gouvernement, c’est qu’il maintienne cette confiance (…), cet optimisme, de façon à ce que justement les Français consomment un peu plus et que les entreprises investissent ".

L'objectif est clair : confiance donc consommation et investissements. C'est ce lien que le gouvernement ne doit pas casser en se précipitant vers des hausses d'impôts. Or, la CSG et sa hausse sensible ( +1,7 point ) ne sera pas neutre et sera votée dès l'exercice 2018.

Parallèlement, l'Etat n'aura pas le temps matériel de passer au scanner tous les replis des ministères où se localisent des dépenses superflues. Comme vous l'indiquez, il s'agira de coups de rabot dans la tradition aussi classique que peu porteuse d'un schéma d'ensemble.

Quelles seraient les solutions pour éviter un nouveau "coup dans l'eau" de la part de notre gouvernement ?

Dans tous les cas de figure, le gouvernement Philippe n'aura pas le temps matériel, d'ici à l'automne et à la future loi de finances pour 2018, de s'attaquer à l'étiologie (http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/étiologie    ) de la dépense publique.

Pour attaquer sérieusement la situation, il faut réaliser un audit de toutes les agences et autres organismes qui vivent de taxes non votées par le Parlement car exclues du strict périmètre budgétaire. Ce sont donc toutes les entités qui fonctionnent sur un mode dit " débudgétisé " : on parle alors de fiscalité " affectée ".

La fiscalité affectée relève d'une pratique assez ancienne et dérogatoire et regroupe les taxes qui servent à assurer le fonctionnement matériel du foisonnement d'agences et organismes publics tels que les économies d'énergies et l'Ademe, le CNC : Centre national du cinéma, les Voies navigables de France, etc. Le montant de ces taxes affectées était de 112 milliards d'euros en 2011 et est estimé à un peu plus de 128 milliards pour l'année 2017.

Ce qui est désolant en ces temps d'efforts budgétaires, c'est le montant des dérives de la fiscalité affectée. Elle représente près de 13% du total des prélèvements obligatoires et plus de 5 % du PIB. Or, un rapport du CPO ( Conseil des prélèvements obligatoires présidé par le premier Président de la Cour des comptes ) publié le 4 Juillet 2013 rapportait déjà que tout cet ensemble de taxes a cru de 27,6% entre 2007 et 2011. La lecture attentive de ce document est édifiante ( http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/La-fiscalite-affectee-constats-enjeux-et-reformes )  dans la mesure où l'on découvre qu'un effort total de 600 millions d'euros ( rapportés à 112 milliards ) a été demandé aux bénéficiaires de ces taxes, soit une fraction infinitésimale de l'effort qui devrait être " logiquement " requis de la part des ministres de tutelle.

En fait, chacun a compris que dans la plupart des cas, c'est un moyen pour débudgétiser les dépenses en créant des taxes qui irriguent un flot de dépenses aux évolutions contestables. Ainsi, à titre d'exemple, le CNC est alimenté par une taxe qui s'est accrue de 30% en 2011. Le total des 309 ( trois cent neuf ) taxes affectées à plus de 453 entités ont suivi une hausse de 4,5% par an à comparer au 1,2% par an du budget général de l'Etat stricto sensu. 

Quand Edouard Philippe dit que la France subit une addiction à la dépense publique, il ferait mieux de tourner son regard vers le laxisme des agences plutôt que sur la stricte gestion de l'Etat stricto sensu. En " grattant " 10% de la fiscalité affectée, c'est une manne de 11 milliards qui serait acquise.

De même, alors que les effectifs de l'Etat ont baissé ( entre 2007 et 2012 ) de près de 6%, les effectifs des agences et autres ont augmenté de 10,4%.

A ce stade, le lecteur a compris le manquement global au regard de la discipline budgétaire que réclame pourtant notre situation nationale. On nous dit que tout a été fait en matière de " serrage des boulons " pour les finances publiques. La question de la fiscalité affectée démontre le contraire. 

Car, il y a toujours plus instructif : la masse salariale entre 2008 et 2011 a décru de 2% pour l'Etat ( avant les mesures du PLF pour 2017 et du cadeau empoisonné de François Hollande ) mais a augmenté de 17% pour les agences financées par taxe affectée et de 10% pour celles qui sont financées par des dotations budgétaires.

Là réside un défi démocratique et non pas seulement technique et financier. Comme l'écrit le Conseil des prélèvements obligatoires ces taxes échappent pour leur quasi-totalité au contrôle du Parlement ce qui " porte non seulement atteinte au fondement de la démocratie parlementaire mais s'oppose également à la nécessité d'une gestion rigoureuse des deniers publics, particulièrement importante en période de crise budgétaire ". On ne peut être plus clair sauf à préciser la lettre de l'article 24 de la Constitution qui énonce en fin de premier alinéa que le Parlement " évalue les politiques publiques " car derrière ces sommes collectées par taxes affectées, il serait probablement doté de pertinence de retracer, en bon contrôle de gestion digne d'une PME, les modalités effectives des dépenses.

Pour ma part, j'accorderai de la crédibilité à un discours de restriction de la dépense publique quand Messieurs Le Maire et Darmanin engageront une sérieuse réforme de la fiscalité affectée.

A défaut de vouloir stranguler notre édifice collectif des finances publiques et par ricochet la pérennité de notre modèle social, il serait probablement judicieux d'y injecter une dose de rectitude et de lucidité gestionnaire.

L'ancien ministre de l'Education, Vincent Peillon, dans toutes ses déclarations, avait prétendu pouvoir réaliser sa réforme des rythmes scolaires via un budget de 250 millions d'euros. La Cour des comptes a confirmé qu'il s'agit en fait d'une dépense de près de 1,3 milliards. Ah ! les chiffres et leur lot de contrariétés… 

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